Du chauvinisme ayisien et du paradoxe de l'oeuf et de la poule

Quand j'étais beaucoup plus jeune, j'écoutais les plus vieux d'entre nous discuter avec passion de la rivalité entre Nemours et Sicot. Or, il n'en était rien car, en dépit de leurs querelles, Nemours et Sicot ne s'étaient jamais proclamés les maîtres absolus de leurs genres respectifs.

Coupé Cloué n'avait jamais écouté de la musique africaine (sic) et avait été déconcerté non seulement par son succès et sa popularité dans le continent noir mais il avait découvert la vraie âme de sa musique au contact de l'Afrique.

Des amis africains de très longue date me disaient que jeunes, ils écoutaient souvent la musique haïtienne à la maison que leurs pères se procuraient.

Les Antillais affirment qu'il fut un temps que la musique haïtienne occupait les ondes chez eux à 90%. Je sais par exemple que plusieurs Martiniquais et Guadeloupéens vénèrent la musique ayisienne et y sont même plus attachés qu'au zouk.

J'ai déjà été maladroit de dire à une Africaine que les Congolais n'avaient rien inventé en parlant du soukous que je considère avec le zouk comme des styles dérivés de rythmes clairement identifiables chez le Super Jazz des Jeunes (pour le zouk) et les Loups Noirs et le Tabou Combo (pour le soukous).

Il n'y a pas de quoi être fier jusqu'au chauvinisme quand les autres rejouent notre musique. Il faut savoir faire montre de modestie devant leur appréciation et se juger heureux qu'ils (elles) acceptent de transporter ou de transposer la musique ayisienne qui évolue mal au pays à part qu'elle constitue en ce siècle-ci un tremplin pour se lancer dans une autre carrière au théâtre des marionnettes... Hum!

C'est bien d'applaudir ces Africaines dans une adaptation d'une chanson de Ti-Manno, mais, entre nous, mezanmi, elles reprennent leur propre musique. N'est-ce pas? Et puis, écoutez ces choeurs féminins que je n'ai jamais connues dans la musique haïtienne.

Je m'attendais à un peu plus de la part des locataires de la maison d'en face sur le plan critique. Où sont nos groupes de femmes à nous? Existe-t-il de bonnes instrumentistes haïtiennes? De bonnes choristes à défaut d'un bon groupe vocal? Quand je pense à cette multitude de bonnes artistes jeunes et moins jeunes qui émergent des pays africains pendant que nous... hum!

Qui suis-je donc pour me plaindre et pour critiquer? Moi qui n'ai jamais considéré Emeline Michel comme "la" superstar, je suis obligé de reconnaître son mérite même quand elle n'est pas sobre, qu'elle se cabre en tournant aux spectateurs son immense derrière, et qu'elle se prend pour Cassandra Wilson.

Pour résumer, disons que les Ayisiens commencent à peine à sortir de l'ignorance et du chauvinisme (mâle et ethnocentriste). Oh oui, nous avons du chemin à faire. Cela ne sert à rien de se croire meilleur que les autres quand on est si médiocre, et si rétrograde chez soi.

Et, qui plus est, ces Africaines jouent mieux le konpa que moi-même.