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Haiti en Marche et "l'Habitation sucriere dominguoise&q

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Message  gwotoro Mer 23 Mai 2007 - 7:55

Esclaves au paradis colonial de Saint-Domingue !

LIVRE & HISTOIRE

JACMEL, 18 Mai
- Les Américains apprécient une expression : c'est qu'on vient de loin (" we've come a long way baby "). A quoi s'ajoute cette autre très française : et pourtant, on n'est toujours pas sorti de l'auberge !

C'est aussi à quoi l'on pense dès les premières pages de l'ouvrage de Michel Philippe Lerebours " L'Habitation sucrière dominguoise ".

Expliquant le comportement irrespectueux et même vandale des Marines américains après la récente prise de Bagdad, ses musées et ses palais, on fait remarquer que les Américains sont un peuple jeune.

Et nous alors ! Pensez que nous sommes sortis, nous autres, il y a deux cents ans à peine du régime esclavagiste de Saint-Domingue et que, de plus, rien n'ait jamais été fait pour que nous puissions en sortir vraiment.

Et que nous pouvons encore y reconnaître le visage de nos arrière grands-pères et grands-mères.

La plantation sucrière de Saint-Domingue est ici revisitée d'une manière à la fois si vivante et si rigoureuse, exquise, qu'elle nous fait savoir mieux que tout : ce qui a pu exister auparavant, ce que nous sommes. Un peuple qui a été soumis aux pires violences jamais imaginées, au plus grand crime de l'histoire. Et qui forcément en porte encore les stigmates sous toutes les formes, sous toutes les coutures, au plus profond de lui-même.

Cette histoire pourrait tenir en deux mots. Le nègre a été introduit dans la colonie de Saint-Domingue pour l'industrie du sucre. Ni plus, ni moins. Il y excella. En peu de temps, la colonie française devient la championne toutes catégories du sucre, la Perle des Antilles. " En 1715, Saint-Domingue aurait exporté vers la France quelque 7.000 tonnes de sucre, 10.000 tonnes en 1721, 43.000 tonnes en 1743... La production sucrière de 1743 égale celle de toutes les îles anglaises réunies. "

Rien ne se perd...

Ce succès sans précédent ne tient à aucune découverte technologique, ni aucune doctrine économique révolutionnaire. Mais uniquement au pire régime esclavagiste de l'Histoire, le " deuxième esclavage " écrit Lerebours, pour le distinguer de celui qui était déjà pratiqué en Afrique, entre Africains eux-mêmes, par les pharaons égyptiens et arabes nomades et commerçants.

Non seulement l'exploitation sauvage, mais le mépris de l'homme par l'homme à la dimension de la race. Un Caradeux, dont le domaine couvrait la région appelée aujourd'hui Tabarre, en banlieue de Port-au-Prince, s'amusait à châtier ses esclaves comme spectacle pour ses invités.

Mais l'Africain était d'abord une machine économique, une machine unique pour laquelle on n'avait besoin de payer ni pour la gazoline, ni pour l'entretien.

Tandis que la canne est elle aussi unique, rien ne se perd.

Oyez plutôt : Le travail commencé au lever du soleil, dure jusqu'au soir avec une pause à midi pour un repas, mais qui parfois, quand les places à vivres sont en rupture de stock, consiste en quelques morceaux de canne.

La moindre négligence, la moindre hésitation est immédiatement sanctionnée par le fouet.

Pas de temps mort...

La production sucrière est déjà un esclavage en elle-même. Ecoutons : Il n'y a pas de temps mort, pas de morte saison (en un mot pas de congé, ni vacances) sur une habitation sucrière. D'un bout à l'autre de l'année, l'on nettoie ou l'on défonce la terre, l'on fouille, l'on fume à la fois (car le colon utilise la terre au maximum sans souci de son épuisement, il se considère de passage), déposant des boutures dans les fosses fumées que l'on recouvre de terre, on sarcle, enfin au bout de quelque 16 mois (un rythme qui bien entendu épuise les hommes encore plus vite que la terre), on coupe les tiges, on les débarrasse de leurs feuilles pour les envoyer à la manufacture (moulin et sucrerie). Cependant que la même opération reprend automatiquement : on fouille, on défonce, on sarcle, on enfouit, on fume tout à la fois.

C'est que la canne est une plante méchante, qui atteint sa maturité entre quatorze et dix-huit mois. Ensuite, c'est une denrée extrêmement périssable, qui doit être utilisée dans l'immédiat. Donc l'habitation est en effervescence toute l'année. Ecoutons : la transformation industrielle de la canne doit obligatoirement avoir lieu sur les lieux mêmes de la culture, et ceci dans l'instant qui suit immédiatement la récolte, puisque la canne se dessèche et commence à perdre de sa valeur dès l'instant où on la coupe. C'est pourquoi il convient de la passer sans délai au moulin. Ensuite, le jus qui résulte du broyage de la canne n'étant à son tour ni conservable, ni transportable, il faut le soumettre sur le champ au processus du raffinage.

Après la coupe, commence immédiatement le travail industriel qui est réservé aux nègres à talent. Situation enviable sur l'habitation. Ceux-là sont mieux " soignés ". Mais leur sort n'en est pas moins pénible. Au moulin, on perd rapidement une main, un avant-bras, tout le bras.

Prisonnier de cette île qu'il ne peut que haïr !...

Dans ce processus, rien n'est perdu, rien ne se perd. Tout est utilisé. Les rejets du moulin, appelés bagasse, servent comme combustible. Tout est " reprocessed ", recyclé, y compris l'eau qui actionne le moulin. Quant aux excréments, ils sont les seuls engrais que se paie le colon. Et ce sont les esclaves qui les récoltent de leurs mains. A quoi bon la charrue.

Oyez plutôt : En seulement 13 ans (de 1700 à 1713), le nombre des esclaves passait de 9.000 à 24.000... Toutefois ceci n'est rien à côté de la véritable explosion que l'on va connaître par la suite : 110.000 en 1739, 206.000 en 1764 et 465.000 en 1789 (l'année de la Révolution française).

Pour une habitation utilisant plusieurs centaines d'esclaves, il suffit de 5 ou 6 blancs, le colon, son contremaître, un économe, un mécanicien ou autre. C'est que l'esclave est prisonnier dans sa tête, prisonnier de cette île (entre parenthèses et nous le disons à dessein : qu'il ne peut que haïr), dont tout un océan le sépare de son Afrique natale.

Oui, normalement l'Africain ne peut que tout haïr sur cette terre et de cette terre où il a été amené de force (seule différence avec notre bracero en République dominicaine) et pour y subir le traitement le plus cruel, le plus violent, le plus injuste, le plus inhumain et le plus humiliant qui soit.

Et cela fait seulement deux cents ans. Et rien n'a jamais été fait pour l'aider à sortir de cet enfer mental, sinon ce que le prochain chapitre du livre appelle " La survie difficile. " Oui, nous sommes depuis en régime de survie difficile. Comment en sortir ? En sortir ou pas ?

Des séquelles partout visibles...

Le préfacier Laennec Hurbon en voit avec raison maintes séquelles dans notre comportement le plus quotidien : l'éducation des enfants avec l'usage du fouet, les violences contre les femmes, le marronnage comme une seconde nature, la soumission servile vis à vis de certains despotes, la pratique des restavèk ou petits domestiques non rétribués et bons à tout faire...

Mais on peut y déceler aussi le peu de conscience chez nos élites - aussi bien politiques que économiques et autres - de l'épuisement des hommes et du sol national proprement dit, ainsi que le peu de considération pour la force de travail, le désintéressement pour l'investissement public, l'absence de réinvestissement et le transfert des capitaux en terre étrangère, toujours de passage comme autrefois etc.

Tout comme l'impossibilité d'un vrai sentiment commun national qui soit porteur de progrès et d'avenir, c'est-à-dire un sentiment national autre que celui issu de l'esclavage de Saint-Domingue qui reste encore, après deux cents ans, notre seul repère. En un mot comment créer un homme haïtien nouveau.

Et le handicap principal, ne serait-ce pas la même rancune de l'esclave des plantations vis-à-vis de l'esclave " domestique " plus proche et souvent chouchou et espion du maître. D'où le proverbe : depi lan ginen, nèg rayi nèg. (Depuis toujours, le nègre est l'ennemi du nègre !).

" Esclaves au paradis "...

Enfin, ce livre paraît juste au moment où se tient à Paris l'exposition-colloque " Esclaves au paradis " (sur des photos de Céline Anaya Gauthier), une description des conditions de vie abominables faites aux coupeurs de canne haïtiens dans les plantations de la République dominicaine voisine.

Des torses et bras tailladés, des handicapés de mains ou de bras, des hommes en haillons, des gamins tout nus qui ne vont pas à l'école, des familles vivant à plusieurs dans une même chambrette, sans eau courante, ni toilette. Et comme pour leurs ancêtres de Saint-Domingue prisonniers d'une île entourée d'eau (excusez le pléonasme), les gardiens dominicains ne laissent personne s'échapper. " Esclaves au paradis ". Au paradis du tourisme, dans lequel la république voisine a su intelligemment aussi réinvestir une partie de son pactole sucrier.

Mais la grande question : comment ceux qui ont renversé l'enfer de la canne il y a déjà deux cents ans, ont-ils faits pour s'y emprisonner à nouveau ?

La réponse se trouve peut-être dans le livre de Michel Philippe Lerebours " L'Habitation sucrière dominguoise ", 235 pages, édité aux Presses Nationales d'Haïti, Collection Mémoire Vivante.

D'autres Boukman...

Soudain, au milieu de cette peinture cruelle donnée à voir par l'exposition photographique de Paris " Esclaves au paradis ", nous dit l'agence haïtienne Alterpresse, se dressent quelques-uns de ces hommes et de ces femmes gardant devant la caméra toute leur dignité. Ce sont d'autres Boukman, Toussaint Louverture, Dessalines et Capois !

Pour finir, nous ne pouvons ne pas évoquer le nouveau plan américain d'inscrire Haïti dans un projet continental de production d'éthanol pour remplacer peu à peu le pétrole. Et que c'est du Brésil que part cette initiative, celui-ci étant le plus grand producteur d'éthanol à base de canne à sucre.

Cependant l'ouvrage de Lerebours nous rappelle que c'est du Brésil aussi que partit l'industrie sucrière au début du 17e siècle. Mais que c'est à Saint-Domingue qu'elle connut son heure de gloire au siècle suivant. Grâce à l'esclavage à outrance. Drôle de coïncidence ?

Enfin si nous avons choisi de privilégier l'aspect historique du livre, il en comprend beaucoup d'autres : ethnographique, architectural, documentariste, recherchiste, touristique, une vaste étude comme il en paraît peut-être une chez nous tous les quarts de siècle, agrémentée de photos, de lithographies authentiques et de plans, et nourrie auprès des plus importants témoins de l'époque. A vous procurer toutes affaires cessantes si l'on veut donner un sens à notre présence dans cette moitié d'île chaque jour plus infernale. Car depuis toujours, hélas, le nègre est l'ennemi du nègre...

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