Forum Haiti : Des Idées et des Débats sur l'Avenir d'Haiti


Rejoignez le forum, c’est rapide et facile

Forum Haiti : Des Idées et des Débats sur l'Avenir d'Haiti
Forum Haiti : Des Idées et des Débats sur l'Avenir d'Haiti
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -50%
-50% sur les sacs à dos pour ordinateur ...
Voir le deal
19.99 €

Haïti : paysan presque esclave, presque libre

Aller en bas

Haïti : paysan presque esclave, presque libre Empty Haïti : paysan presque esclave, presque libre

Message  Sasaye Ven 6 Juin 2008 - 13:52

| Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine |
http://risal.collectifs.net/spip.php?article1315


Haïti : paysan presque esclave, presque libre
par João A. Peschanski
30 mars 2005

Sedwàn Louis s’est réveillé à 3h30 et a commencé à se préparer pour aller travailler. Il a mis ses vêtements, cherché ses outils. Il est revenu à lui : il ne travaillait plus. Après 26 ans passés à couper la canne à sucre à Batahona, en République Dominicaine, le paysan, né en Haïti, n’arrive pas à se défaire de la routine des champs. Il n’arrive pas à dormir plus longtemps.

« En République Dominicaine, j’étais presque esclave, presque libre ». C’est comme ça que Louis explique sa routine de 15 heures de travail par jour, recevant, en moyenne, 40 pesos (près de deux dollars) par journée. Parfois, il ne recevait rien. Il dormait dans un taudis, avec trente autres paysans. Ils dormaient par terre, car il n’y avait pas de lit. Ils étaient réveillés tous les matins par des coups de fouet et des seaux d’eau gelée. « Les gorilles des propriétaires terriens changeaient les horaires auxquels ils venaient nous réveiller. On pouvait jamais être prêts à l’heure. »

En 2002, Louis a été expulsé de Batahona par des policiers dominicains. « Ils ont dit que j’étais illégal, que je n’avais pas de papiers et que je devais retourner en Haïti ». Il pensa qu’il n’aurait pas comment survivre dans son pays natal, qu’il avait abandonné à cause de la misère et de la sécheresse. Il pensa que le motif de son expulsion était son âge - 45 ans - et que le patron ne voulait plus de lui, puisqu’il pourrait engager quelqu’un de plus jeune.

Rencontre familiale

Il a été laissé à la frontière, dans la région de la Selle, dans le sud-ouest haïtien. Il n’avait personne à qui s’adresser. Il ne lui restait plus qu’à retourner à Belle Fontaine, le village où il est né, pour essayer de retrouver quelqu’un de sa famille. Il avait appris que son unique frère était décédé récemment.

Il a marché pendant un mois. Par gentillesse de leur part, il dormait dans le jardin de petits agriculteurs, dans les villages qu’il traversait. Il n’avait rien d’autre que les vêtements qu’il portait sur lui. « Il n’y avait jamais d’argent. Il y a un marché dans la ferme, où nous sommes obligés d’acheter. Le prix est très élevé, et on dépense tout là-bas. On a même des dettes. » Il n’avait pas d’épouse, il n’avait pas d’enfants.

A Belle Fontaine, il a trouvé la misère et la sécheresse. Comme il s’y attendait. Il a frappé à la porte de paysans du village, pour demander des informations. L’un d’eux l’a emmené à une maison où il trouverait des gens de sa famille. Une petite nièce. Il se présenta. Elle avait entendu parler de lui. « Elle m’a laissé rester, ce qui m’a donné beaucoup de bonheur. »

La maison, sans fenêtres, est faite de pierres en calcaire, appelées tifs. Il n’y a pas de peinture. Il n’y a pas de ciment. A l’intérieur, deux commodes. Pas de salle de bain, pas de cuisine. Une table. Deux chaises. Treize personnes. Pour ne pas déranger, Louis a improvisé une cabane en paille, à l’extérieur, où il dort.

L’histoire de Louis a une fin heureuse, selon ses propres dires. Il a retrouvé sa famille. Pour 300 mille haïtiens, le dénouement est tout autre. Expulsés de grandes propriétés en République dominicaine, où ils travaillent souvent depuis des dizaines d’années ou même où ils sont nés, ils ne trouvent pas de moyens pour survivre en Haïti.

Sans identité

« Ils sont expulsés par les employeurs qui, très souvent, les maintenaient sous un régime d’esclavage, mais qui leur donnaient un minimum de nourriture. Ce sont des personnes qui ont subi un accident quelconque, et qui ne peuvent plus travailler. Des personnes qui sont tombées malades ou qui sont considérées comme trop vieilles. Elles sont renvoyées, et on met quelqu’un de plus jeune et de plus fort à leur place », explique Colette Lespinasse, du Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR), qui travaille avec ces paysans.

En Haïti, les paysans n’ont pas de moyens ni de contacts pour survivre. Plusieurs deviennent mendiants. Certains entrent dans des coopératives organisées par le GARR. D’autres essayent, désespérément, de retourner en République dominicaine. Beaucoup meurent. « La violence contre eux est à tous les niveaux. Ils ne sont pas acceptés dans le pays où ils ont passé la majeure partie de leur vie, et ils ne s’adaptent pas à la vie en Haïti. Ils n’ont plus d’identité » commente Colette.

Sans terre, sans argent, sans famille, sans identité, sans pays. « La plupart des travailleurs n’ont pas le choix. Ils errent et survivent, seuls », affirme la membre du GARR.


--------------------------------------------------------------------------------

En République Dominicaine : exploitation

Fuyant la sécheresse et la misère, des centaines de milliers de paysans et de jeunes abandonnent Haïti tous les ans. Ils vont à la recherche de nourriture, d’emploi, d’argent. La plupart prend le chemin de la République Dominicaine voisine. Ils vont travailler comme braceros, coupeurs de canne à sucre, acceptant des salaires plus bas que ceux des travailleurs locaux. Selon une étude du Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR), les Haïtiens représentent 83,4% de la main d’œuvre dans les champs dominicains.

Quand ils partent pour les exploitations agricoles du pays voisin, les Haïtiens ne savent pas combien ils vont gagner. Ils entendent de la part des buscones, les fonctionnaires des grands propriétaires dominicains chargés du recrutement de travailleurs, qu’ils vont devenir riches. C’est le désespoir, dans le pays le plus pauvre du continent américain, qui amène les Haïtiens à y croire.

« J’ai été naïf », reconnaît le paysan Aristomon Jules. En 2004, il a abandonné sa famille, à Belle Fontaine, dans l’ouest d’Haïti, pour tenter sa chance en République dominicaine. « Notre pire problème, c’est la faim. J’ai décidé de partir et de faire quelque chose pour ne pas voir mes enfants mourir ».

En traversant la frontière

Jule a payé un des buscones, qui l’a amené à la frontière. Dans le camion, il voyait les barrages de la police dominicaine, qui laissaient passer le véhicule, sans l’inspecter. Ils faisaient un signe de la tête. Avec lui, à l’arrière, des dizaines de travailleurs, sous une couverture, qui les empêchait de respirer. « J’ai failli m’évanouir, car on était nombreux, serrés les uns contre les autres. Une personne nous empêchait de mettre la tête dehors », raconte-t-il.

Selon Colette Lespinasse, du Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés, la traversée de la frontière est faite de façon illégale, puisque les travailleurs n’ont pas les papiers exigés par l’Etat dominicain. « Il ne s’agit pas, cependant, d’une traversée clandestine, puisque le phénomène est généralisé et consenti par les autorités des deux pays », explique-t-elle.

Jules se souvient que, en arrivant à Batahona, en République dominicaine, il a été poussé à l’extérieur du camion. Des hommes armés, qu’il reconnaîtrait plus tard comme étant des fonctionnaires de l’exploitation agricole, l’ont fait entrer dans un baraquement, où il habiterait. Il faisait sombre, il est entré.

Condition inhumaine

Le jour suivant, il a été réveillé par un coup de fouet. Il entrait dans la statistique du Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés, selon laquelle 36% des travailleurs haïtiens sont battus dans les fermes dominicaines. Le coup lui a laissé une cicatrice permanente dans le dos. Sans manger, sans boire, il a été emmené aux champs.
« Ils m’ont donné un outil, qui ressemblait à une machette, plus grand peut-être, et ils m’ont dit de commencer à couper. Ils m’ont dit de me pas me plaindre et de ne pas parler, car j’avais la chance d’avoir été employé, parce que j’étais un haïtien inutile », raconte Jules. Le premier jour, il a travaillé 17 heures. On ne l’a pas payé. Il ne serait d’ailleurs pas payé toute la première semaine. « Ils m’ont dit que c’était un essai, mais du coup je n’avais rien pour manger. C’était pour qu’on s’endette sur le marché du propriétaire terrien, comme ça on aurait quelque chose contre nous, une dette, et on devrait se sentir obligé à travailler », explique-t-il.

En gagnant quelque chose comme deux dollars par jour, le paysan a tenu deux mois. Il s’est enfui. Il a été poursuivi par les fonctionnaires de la ferme. Ils ne l’ont pas trouvé. Aussi pauvre que quand il en était parti, il est retourné à Belle Fontaine. Et il dit : « Je n’ai appris qu’une chose. Combien l’humiliation fait mal ».


--------------------------------------------------------------------------------

Malgré la sécheresse, il y a de l’espoir

Le lieu semble recouvert par une couche de poussière. Belle Fontaine, à l’ouest d’Haïti, n’a rien à voir avec son nom. C’est une des régions les plus sèches du pays. Là-bas vivent approximativement cent mille personnes, « considérées misérables mêmes par les Haïtiens, qui sont eux-mêmes pauvres », analyse Marius Saint-Pierre, un paysan de la région. Les rivières, autrefois grandes, ont disparu, résultat de la dévastation de la forêt, qui a commencé dans les années 60.

Pour arriver à Belle Fontaine, il faut marcher six heures. Les voitures ne montent pas les côtes. La population, isolée, regarde avec curiosité tout étranger. Elle salue. Elle offre de l’eau. Elle discute. Les plantations, principale source de revenu et de nourriture, sont de cactus. L’unique végétation qui pousse sur le sol sec de la région.

Pour empêcher l’érosion de la terre, les paysans construisent de petits murs de pierre. Vues de loin, les collines, serpentées par les barrières, semblent nous faire faire un détour dans le temps. Elles font penser à la préhistoire. A côté des constructions, quelques têtes de bétail. Pour leur donner à boire, les femmes doivent faire cinq kilomètres à pied, jusqu’à la rivière la plus proche.

Tradition de lutte

Les paysans de Belle Fontaine avaient toutes les raisons pour perdre leur motivation et tout leur espoir. Cependant, ils ont décidé de lutter. Ils ont intégré, selon Marius Saint-Pierre, la lutte des travailleurs du passé. La région a été la scène des premières résistances des esclaves, qui s’étaient enfuis des grandes propriétés terriennes coloniales, connues comme les marronnages. Aujourd’hui encore, beaucoup des villages de la région portent les noms des leaders de ces révoltes, comme Dérance et Télange.

En 1986, les habitants de la région ont créé une organisation qui coordonne les activités et les responsabilités de tous dans la communauté. « Collectivement, on s’occupe de la production, de la restauration des routes, de l’éducation des enfants. Nous nous occupons nous-mêmes de nos problèmes », dit Mauria Béatrice, coordonnatrice de l’organisation, appelée Fédération des communautés paysannes de Belle Fontaine.

En assemblées hebdomadaires, ils discutent des besoins immédiats des villages. Ils s’occupent de l’alimentation des enfants et des personnes âgées. Ils divisent la production. Ils programment des activités culturelles. « Toute organisation est le résultat d’un principe fondamental, tel que l’unité, la coordination, la force, et principalement, la volonté de vaincre », nous apprend Mauria.

Occupation du siège

Dominant le haut de la colline, se trouve le siège de la Fédération. C’est une construction différente des autres. Des briques blanches, du ciment, des fenêtres. Trois étages, avec terrasse. A l’intérieur, cinq salles de bain. « Nous ne l’avons pas construite, nous l’occupons », raconte Saint-Pierre. La maison a été construite au début des années 90 par des fonctionnaires américains de l’USAID (US Agency for International Development), une entité accusée de financer des dictateurs haïtiens. « Ils disaient qu’ils étaient venus réaliser avec nous un projet pour la conservation de l’eau. On a attendu jusqu’en 1998. Comme ils ne faisaient rien, on les a expulsés et on a pris la construction », raconte Mauria.

En plus de siège, l’espace sert aussi d’école. Dans les salles de classe, fréquentées par des enfants et des adultes, après les cours de mathématique et de créole, le professeur donne un cours très spécial sur les luttes et les conquêtes des habitants de la région : « L’Espoir de Belle Fontaine ».



En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous:

Source : Brasil de Fato (http://www.brasildefato.com.br/), édition n°104, du 24/02 au 02/03/2005.

Traduction : Isabelle Dos Reis, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
Sasaye
Sasaye
Super Star
Super Star

Masculin
Nombre de messages : 8252
Localisation : Canada
Opinion politique : Indépendance totale
Loisirs : Arts et Musique, Pale Ayisien
Date d'inscription : 02/03/2007

Feuille de personnage
Jeu de rôle: Maestro

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum