Haiti du 19eme au 21eme siecle

Haiti du 19eme au 21eme siecle

Par Ghislaine Charlier (tire de la revue Reference www.referencemagazine.com edition de mars-avril 2005, volume 4 , numero 2)

Pour un analyste superficiel ou prévenu, des troubles incessants sont les preuves manifestes d'une incapacité congénitale. Au contraire, pour l’observateur attentif dénué de préjugé, c’est l’expression constante du mécontentement populaire, du désir inassouvi de justice et de liberté d'un peuple sans cesse frustre de ses droits fondamentaux. On le constate a travers la lutte d'un Gonan dans la Grande-Anse, laquelle a poussé le président Pétion, puis le roi Christophe à faire un partage des terres «partiel et partial», comme 1'a dit Louis Joseph Janvier et comme cela s'était toujours fait ailleurs. Mais un tel partage ne pouvait pas satisfaire la masse des anciens esclaves. De la, les révoltes des Cacos dans le Nord et des Piquets dans le Sud.

Il semble que l'Etat haïtien était, jusqu' au début du 20eme siècle, le principal propriétaire terrien du pays. Pourtant, i1 n'a jamais tenté de mettre ses terres en valeur, se contentant parfois de les affermer a des paysans dépourvus de moyens et d’outils adéquats pour les cultiver convenablement. Nos dirigeants ont toujours été trop préoccupés par la recherche de titres, d'influence et d’autres manières d'impressionner et d’exploiter producteur et intermédiaire.

C’est à cause de leur déficience à gouverner avec un mini¬mum d’efficacité ainsi qu’aux menées des puissances étrangères que le peuple, découragé, n'a pas réagi suite de 1'occupation américaine de 1915. Si des patriotes, des intel¬lectuels ont vite protesté, ils n’ont pas eu grand écho. A la chambre, seul le député Cabèche des Gonaives et mon grand-père Auguste Garoute de Jérémie ont refusé de signer la con¬vention qui nous assujettissait à l’envahisseur. Le peuple n’avait, lui, aucune raison de se fier a son élite. Il a fallu le rétablissement de la corvée, lequel rappelait trop fâcheusement 1'esclavage honni pour inciter les paysans d'une partie importante du pays a se révolter sous la conduite de Charlemagne Péralte et son lieutenant Benoît Batraville. D' où massacres, guet-apens et camp de concentration de la part des oppresseurs. Les autres classes sociales n’ont guère soutenu les combattants, elles avaient bien trop peur du peuple. Ce n’est que vers la fin des années 20 que la tuerie des paysans de Marchaterre provoqua une grève suivant celle des étudiants de l’école d’agronomie de Damien et incita une contestation générale au niveau urbain. Ce fut le résultat des agitations entretenues depuis bien des années par l’action patriotique, groupement relativement bien structure et dirige par Georges Sylvain et d'autres patriotes dont les revendica¬tions furent diffusées dans les villes par le chanteur Candio, sa soeur et l’orateur Joseph Jolibois, ces deux messieurs uti¬lisant magnifiquement la langue créole.

Les «marines» enfin partis, laissèrent sur place la garde d'Haïti instituée pour d'abord écraser les Cacos et, avec les méthodes apprises de l'occupant, régenter le pays. Cette prétendue Armée d'Haïti, ainsi nommée par la suite, allait appuyer toutes les dictatures qui se sont succédées jusqu' au mouvement de Janvier 1946 et au-delà.

Ce mouvement de Janvier, à très forte participation popu¬laire, a vu le jour grâce a la propagande de la gauche et des autres secteurs patriotes qui ont sans cesse soutenu les reven¬dications populaires et les ont diffusées a travers le pays.

Alors, des petits bourgeois opportunistes regroupes autour de la «question de couleur» appuyèrent la prise du pouvoir par une junte militaire, la première, depuis 1915, d'une série de nombreux coups d'état militaires. Des élections frauduleuses, le renversement brutal du gouvernement de Dumarsais Estime par le général Paul Magloire vivement soutenu par les hommes d'affaires de l’ancienne bourgeoisie, aggravèrent la dégradation des institutions publiques. Enfin, de nouvelles élections encore plus frauduleuses que les précédentes et accompagnées de tueries dans les faubourgs de Port-au-Prince perpétrées par le général Antonio Kebreau firent tomber Haïti dans les griffes de François Duvalier dit Papa Doc. Certain secteur du peuple auquel il avait fait des injec¬tions contre le pian dans les services américains, trompés par l'idéologie noiriste, lui ont été au début, favorables, jusqu'a ce que les exactions, persécutions et tueries continuelles de ses macoutes eurent provoqué des protestations générales auxquelles il mit fin avec sa férocité habituelle. Le gouvernement de son fils Jean-Claude dit Baby Doc, ne valait pas mieux, nonobstant le ralliement de la majorité des bourgeois. Ce fut encore le pillage des deniers publics, l'arbitraire, la torture et l’emprisonnement dans les geôles immondes, la plus connue étant le Fort Dimanche. De nombreux patriotes y ont perdu la vie dans des conditions épouvantables, entre autres le médecin et romancier Jacques Alexis. Comme entre temps l’émigration s’était étendue a l’ensemble du territoire, tant la misère avait augmenté, la protestation contre la dictature héréditaire s’amplifia. Les revendications populaires soutenues par la propagande de la gauche, l’action du secteur patriote de l’église catholique éveillé par la théologie de libération ainsi que d’autres chrétiens sincères, ont pu mettre fin au règne de Baby Doc et à la république exterminatrice.

Une bataille pour la démocratie aboutit cette fois à des élections libres en 1990 et à la désignation de Jean-Bertrand Aristide par un vote populaire massif. La joie et l’espoir renaissent. Hélas! les ennemis intérieurs et extérieurs ont vite fait de faire renverser le gouvernement élu par un général Cédras qui, naturellement, y alla d'un nouveau massacre.

Depuis, avec une période de répit, on en est revenu à ce que l’on voit se dérouler sous les yeux de patriotes humiliés et écœurés. Toutefois, nous sommes certains, (et déjà la vérité se fait jour, tant en Haïti qu'a l’étranger) qu’en nous dévouant a la promotion de la vraie démocratie, a la liberté du peuple haïtien dont la vaillance, la constance dans l’effort ne font aucun doute, les patriotes seront au nombre des artisans d'un mieux-être futur pour Haïti et pour Ie monde entier.

Comme l’a écrit mon mari Etienne D. Charlier, «l'amour de la liberté qui sommeille au coeur de tout être humain, est, chaque fois qu'il se réveille et l'incite à l'action, un incomparable facteur de progrès pour tous les humains vivants et pour leurs successeur».

Bonne chance et vive Haiti!