le journal Le Nouvelliste complice

Réponse à M. François-Nicolas Duvalier
Le Nouvelliste

| Publié le :22 avril 2013 Geneviève Michel

Monsieur,

C'est avec grand étonnement et beaucoup d'horreur que j'ai pris connaissance des quelques lignes que vous avez écrites et publiées dans le Nouvelliste des 20 et 21 Avril 2013. Pour avoir moi-même eu des grands-parents exceptionnels, je peux comprendre l'attachement d'un petit-fils à un grand-père, qu'il l'ait connu ou non, mais il est des sentiments qui malgré toute leur profondeur méritent d'être tus. Nous sommes de la même génération. Comme vous, je n'ai pas connu la terreur et la peur qui ont sévi pendant trente ans sur ce pays, un pays que l'on m'a appris à chérir et à placer au-dessus de tout, dès mon plus jeune âge; mais j'ai eu la chance d'avoir une famille qui a su briser le silence et toujours me rappeler les évènements monstrueux qui semblent vouloir tomber dans l'oubli. Moi je vous dis que, heureusement il existe encore des gens, de vrais Haïtiens de coeur, pour qui ce mot n'a aucun sens et qui n'oublieront pas. Je veux bien vous accorder le bénéfice du doute et espérer que vous avez rédigé ce texte en toute bonne foi. Cependant, bien que le bon sens ne soit pas forcément inné et que certains traits de caractère et d'intelligence doivent s'acquérir, j'aurais supposé que vous auriez su quand vous taire et quand parler. Pour avoir fréquenté les bancs de l'Ecole des vraies valeurs Républicaines et grandi en France, république mère des droits de l'homme et des libertés individuelles, avec tout le respect que je vous dois, je me permets de vous dire que l'enseignement que vous avez reçu n'a pas porté de fruits. La Raison, si chère à l'éducation française, ne vous a pas habilité à faire l'équilibre entre la tradition orale familiale et des faits historiques rapportés, publics, avérés, et documentés. Je ne vous en veux pas. Il est louable de votre part de vouloir peut-être rétablir le nom de votre grand-père et c'est sans doute faire preuve de courage que de prendre une telle position en n'ayant pas honte de vos origines. Mais avant d'agir, vous auriez dû prendre conseil, du moins ailleurs que chez les fanatiques écervelés de votre grand-père. Nul besoin de vous rappeler que les paroles s'envolent mais que les écrits restent. Vous auriez dû contacter le petit-fils du Général Pinochet, et lui demander de partager avec vous l'expérience qu'il a vécue après un discours similaire aux funérailles de son grand-père. Toutes les qualités de coeur et d'esprit qu'aurait pu posséder le Dr. François Duvalier ont été annihilées par ses actes. Et, ne vous en déplaise, si à présent Haïti souffre, Haïti lutte, Haïti patine, si le Devoir de Mémoire est mis en veilleuse, que vous l'admettiez ou non, c'est à cause de la présidence de votre grand-père, dont la naissance a été notre plus grand malheur. Nous ne finirons jamais d'en payer les conséquences, car on ne rattrape pas le temps perdu. Que de vies, de cerveaux, de bras, d'élans réduits à néant... Je prends d'autant plus plaisir à vous répondre que, si votre famille régnait encore, je n'aurais pas pu le faire, sous peine de disparaître à tout jamais sans que les miens n'aient aucun recours. Et vous aussi, remerciez ceux qui ont lutté et ceux qui ne se sont pas tus, c'est grâce à eux et à leur combat pour la Démocratie, qu'il est possible pour vous de rendre à votre grand-père cet hommage dans la presse, en toute quiétude. Je ne m'étendrai pas, espérant que cela vous ouvrira les yeux et les oreilles. Le silence est souvent la meilleure des retraites. Au nom de tout ceux qui sont tombés, au nom de tous ceux qui se souviennent, et parce qu'aujourd'hui je ne saurais me taire, je vous dit : Chut !

Geneviève Michel