Haiti en Marche: JEA est-il victime de sa propre reussite ?

gwotoro Mer 16 Avr 2008 - 21:44

Jacques E. Alexis est-il victime de sa propre réussite?</B>

LA BATAILLE POUR 2011 EST OUVERTE

PORT-AU-PRINCE, 13 Avril - A la fin du vote de censure pris contre lui samedi (12 avril) au Sénat, le Premier ministre sortant Jacques Edouard Alexis a dit que le pays pourra toujours "compter sur lui."

Cela nous rappelle une phrase attribuée à l'ex-président français Georges Pompidou.

Premier ministre de De Gaule au moment des événements de Mai 68, Pompidou fut forcé de démissionner.

La presse lui prêta peu après ces propos devenus célèbres par la suite: " Je suis en réserve de la république. "

Cependant les Gaullistes historiques le lui firent bien voir. On se mit à multiplier des chausse-trapes pour le futur prétendant, dont une fameuse " affaire Markovic ", avec photomontages à l'appui, pour essayer de discréditer le couple Pompidou.

Depuis lors a été popularisée l'expression: " en réserve de la république. "

La dernière phrase d'Alexis au Sénat semble nous y renvoyer.

Allure d'un homme d'Etat...

Pour tout le monde, Jacques Edouard Alexis est un aspirant quasi-naturel aux présidentielles de 2011. Après avoir été le chef du gouvernement de René Préval au cours de deux mandats présidentiels, il a déjà l'allure d'un homme d'Etat. A la fois aux yeux de ses concitoyens et des partenaires internationaux.

Cadre universitaire de formation et de carrière et travailleur infatigable, le vote du Sénat le surprend entre deux voyages à l'étranger pour affaires gouvernementales, dont le dernier le ramène de Washington où il a été à la fois au siège de l'OEA, auprès des institutions de financement (rencontre avec le nouveau numéro 1 du FMI, Dominique Strauss-Khan) et du gouvernement américain (reçu par la Secrétaire d'Etat Condoleezza Rice) négocier le nouveau programme économique réalisé avec les partenaires internationaux sous le nom de DSNCRP (Dossier stratégique national pour la croissance et la réduction de la pauvreté).

Tout est fin prêt pour le sommet des bailleurs fixé le 25 de ce mois (la semaine prochaine) dans la capitale haïtienne pour finaliser ce programme dont Haïti espère 2 milliards de dollars pour commencer. Déclarations du Premier ministre Alexis à son retour de Washington.

Protégez-moi de mes amis...

Peu auparavant, il représentait Haïti à un sommet historique du Groupe de Rio dans la capitale dominicaine Santo Domingo (où a été solutionné le récent différend entre la Colombie et ses deux voisins le Venezuela et l'Equateur), et au cours duquel Haïti est devenue officiellement membre de cette importante association sud-américaine. Il représente aussi couramment le président Préval aux sommets de nos voisins de la CARICOM.

L'homme commence à prendre du poil de la bête au niveau international.

Mais à l'intérieur, c'est pas aussi facile, c'est même bigrement complexe. Jacques Edouard Alexis dirige un gouvernement de coalition. Où, faut-il ajouter, les prétendants aux présidentielles de 2011 tout naturellement se bousculent (sans compter les nombreux autres à l'extérieur du pouvoir. Tenez au Sénat, par exemple). Or on connaît le précepte: mon Dieu, protégez-moi de mes amis, et quant à mes ennemis je m'en charge!
Les amis ne vous frappent pas forcément, mais ils peuvent vous livrer à vos ennemis.

Par exemple, au sénateur Youri Latortue, un natif de l'Artibonite comme Jacques Edouard Alexis et qui, comme tout le monde le sait, ne peut pas blairer son co-citadin même à cent mille lieues à la ronde.

Un " pouvoir de " leadership "...

Samedi a été pour Youri Latortue son jour de gloire. Toute la presse internationale était suspendue à ses déclarations où il dénonçait le Premier ministre sortant comme ayant été une sorte de toutou de René Préval alors que, estime le sénateur du parti Latibonit an Aksyon , la constitution donne au Premier ministre un véritable pouvoir de " leadership. "

Jacques Edouard Alexis a-t-il été trop complaisant envers le président Préval?

Probablement. Car la face cachée du vote de censure des sénateurs c'est un certain nombre de frustrations vis-à-vis du gouvernement Préval-Alexis.

Arrivé au pouvoir en mai 2006, le nouveau chef de l'Etat n'a à ce jour procédé à aucun remaniement d'envergure au sein de l'Administration. Ce sont pratiquement les mêmes têtes arrivées avec le gouvernement non constitutionnel de l'ex-Premier ministre Gérard Latortue qui remplissent aujourd'hui encore les fonctions de délégués (ou représentants officiels de l'exécutif dans les 11 départements), de directeurs généraux et d'ambassadeurs plénipotentiaires ou consuls généraux...

Or le pouvoir est un jeu de " give and take. " Cela sous tous les cieux. Les parlementaires (sénateurs et députés) ont toujours leurs poches remplies de petits billets, de nombreuses sollicitations grandes ou petites de la part de leurs mandants.

L'administration Préval-Alexis semble se faire un point d'honneur de rester fermée à toute sollicitation.

Culture politique du panier de crabes...

Qui plus est, elle est prompte à encourager les rapports sur la corruption (députés ayant réclamé 47 pneus pour sa seule voiture en une année. Allons donc, on sait que ces pneus disparaissent en un clin d'œil lors de la fête patronale)...

Ou encore les enquêtes sur la double nationalité. Etc

Alors le Parlement répond en ne laissant jamais respirer le gouvernement. Ce sont des convocations à n'en plus finir. Jusqu'au vote fatidique du samedi 12 avril.

Mais ce n'est encore rien. Plus importante est notre culture politique du panier de crabes. Dès que l'un essaie de sortir, tous s'accrochent à ses basques et le ramènent en arrière vers eux.

Quitte à ce que tout le monde y perde... ou y disparaisse.

Le président Préval a présenté mercredi (et à nouveau samedi) un programme pour la relance de la production agricole qui a été mis en circulation depuis deux mois déjà par le bureau du Premier ministre Jacques Edouard Alexis (crédits aux petits producteurs et subvention jusqu'à 50 pour cent de l'achat des engrais et intrants agricoles etc).

Outre les magasins communautaires, restaurants universitaires et autres qui pourraient bénéficier à ce propos des tonnes de produits alimentaires offerts aujourd'hui par les pays " amis " (Brésil, Argentine, Venezuela, France...), tout cela figurant dans le programme d'urgence annoncé le vendredi 4 avril par le Premier ministre après l'éclatement des premières émeutes dans la ville des Cayes (190 km au sud de la capitale).

N'avoir pas les moyens de sa politique...

Mais ses déclarations n'ont pas eu l'écho escompté. Pourquoi? La population ne croit pas dans les promesses du chef du gouvernement parce qu'elles n'ont jamais été suivies d'effet.

Et jusqu'à la veille des émeutes, le chèque pour un décaissement de 400 millions de gourdes annoncé par Alexis n'était toujours pas entièrement approuvé.

Le Premier ministre n'avait pas les moyens de sa politique?

Ou au contraire avait-il tellement peur de commettre le moindre faux-pas pouvant nuire à ses ambitions futures?

Peut-être les deux.

En tout cas, une certitude: les tombeurs d'Alexis, quels qu'ils soient, ne pourront sûrement pas faire mieux.

Georges Pompidou ne faisait pas peur quand le général de Gaule le prit comme assistant pendant sa traversée du désert.

Ce diplômé de Normal Sup, agrégé ès lettres et directeur des banques Rothschild n'avait rien semblant le destiner à une grande carrière politique.

Mais doué d'une intelligence fine, il avait su également s'entourer de jeunes gens qui lui resteront loyaux jusqu'après sa mort. L'un d'eux s'appelait Jacques Chirac.

Le seul crime d'Alexis...

En conclusion, être en réserve de la république c'est pas facile à porter. Et c'est sans doute le seul crime d'Alexis. Rien qu'à voir l'embarras qui caractérise la lettre d'interpellation des 16 sénateurs. A propos de ces derniers, on dit qu'il a fallu les chambrer tous ensemble la veille du samedi 12 avril. Leur servir le même repas, les faire assister d'un même médecin de peur que l'un d'eux ne fasse faux-bond pour cause de maladie ou d'avoir attrapé un quelconque microbe diarrhéique.

Haïti est une jungle politique peu commune. Où la république se prend plus facilement d'assaut (à la hussarde comme le samedi 12 avril 2008 par exemple) qu'en étant en réserve et quelque brillante soit-elle...

Marcus, 13 Avril 2008