Le combat de Tchika pour la mémoire d'une esclave
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Le combat de Tchika pour la mémoire d'une esclave
Kanyurhi T. Tchika devant la rue Sainte-Thérèse, dans... (Photo: Alain Roberge, La Presse)
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Kanyurhi T. Tchika devant la rue Sainte-Thérèse, dans le Vieux-Montréal, où Marie-Josèphe Angélique est morte et a vécu.
Photo: Alain Roberge, La Presse
Jean-Christophe Laurence
La Presse
Marie-Josèphe Angélique, ça vous dit quelque chose? Pas vraiment? Pas étonnant.
Hormis une plaque timide dans le Vieux-Montréal, quelques mentions par les historiens Marcel Trudel et Paul Brown et un livre de Denyse Beaugrand-Champagne paru en 2004 (Le procès de Marie-Josèphe Angélique), son nom reste à peu près inconnu. Sans doute parce qu'elle évoque une part sombre et cachée de l'histoire du Québec: exécutée en 1734 pour avoir causé le grand incendie de Montréal, Marie-Josèphe Angélique fut la première esclave noire jamais répertoriée dans la province.
«Elle est la preuve qu'il y avait des esclaves dès l'époque de la Nouvelle-France, souligne l'actrice Tchetchena Bellange, qui vient de lui consacrer le docudrame Les mains noires, diffusé à RDI. Le mythe du Québec qui accueillait les esclaves américains en fuite, c'est vrai. Mais c'était au XIXe siècle. Il ne faut pas oublier que l'esclavage n'a été aboli ici qu'en 1834.»
Pour Kanyurhi T. Tchika, il est clair que le personnage mérite plus de reconnaissance. Après avoir réussi à faire nommer une rue de Québec en l'honneur de Mathieu Da Costa, ce Congolais d'origine s'est donc lancé dans une nouvelle croisade en faveur de la martyre méconnue. Voilà deux ans qu'il harcèle la Ville de Montréal pour que Marie-Josèphe Angélique ait une rue à son nom.
M. Tchika admet que cette bataille est moins «évidente» cette fois-ci. Contrairement à Mathieu Da Costa, premier Noir à avoir foulé le sol de la Nouvelle-France (avec Champlain, dès 1603), Angélique n'avait rien d'une aventurière ou d'une héroïne. Mais son cas n'en demeure pas moins emblématique. «Elle est la première esclave noire de l'histoire du Québec sur qui on a écrit, dit-il. Et on l'a brûlée...»
Selon Denyse Beaugrand-Champagne, la cause de M. Tchika est d'autant plus justifiée qu'Angélique fut vraisemblablement accusée à tort. Son train de vie anticonformiste et sa relation affichée avec un homme blanc en faisaient la victime idéale. Montréal se reconstruisait à peine d'un incendie précédent. «Il fallait un coupable», résume l'historienne, qui a décortiqué chaque détail du procès qui constitue la seule trace de son existence. Au dire de Mme Beaugrand-Champagne, l'esclave aurait finalement été condamnée après le témoignage d'une enfant de 5 ans...
Pas dans le Vieux
La Ville a reconnu d'emblée l'initiative de M. Tchika. En juin dernier, Marie-Josèphe Angélique est allée rejoindre les centaines d'autres noms sur la «liste d'attente» du Bureau du patrimoine, de la toponymie et de l'expertise. Mais les deux parties ne se sont toujours pas entendues sur le lieu qui lui sera attribué.
M. Tchika a tout fait pour qu'on rebaptise la petite rue Sainte-Thérèse, dans le Vieux-Montréal, où elle est morte et a vécu. Il a même obtenu l'appui officiel de la Fédération des femmes du Québec, qui a son siège dans l'artère en question. Peine perdue. «J'ai vite compris que le Vieux-Montréal était sacré, sourit M.Tchika. Ils m'ont bien fait comprendre que j'aurais plus de chances dans de nouveaux développements.»
«La Ville essaie généralement d'éviter les changements de nom à cause de tous les problèmes que cela pose, confirme Dominique Dufort, conseiller en aménagement au Bureau du patrimoine. Mais c'est certain que l'ancienneté du quartier joue aussi. M. Tchika aurait sans doute plus de chances en périphérie où il y a encore des espaces à nommer, comme Pierrefonds ou Pointe-aux-Trembles...»
L'idée ne réjouit pas le Congolais qui, pour d'évidentes raisons historiques, souhaite demeurer dans l'arrondissement de Ville-Marie. Aux dernières nouvelles, M.Tchika avait plutôt des visées sur le secteur Griffintown, où des transformations en profondeur sont à prévoir dans les prochaines années. «L'essentiel, dit-il, c'est qu'on ne la mette pas dans un petit coin où personne n'en saura rien.»
L'essentiel, c'est surtout qu'on sache qui elle était, renchérit Denyse Beaugrand-Champagne. Car «nommer une rue c'est une chose, mais passer à côté sans savoir de qui il s'agit, c'en est une autre. Le problème, c'est qu'ici, contrairement à la France, on ne précise pas qui étaient les gens sur nos plaques. Alors une rue Angélique, oui. Mais il faudrait quand même préciser que c'est une esclave qui a vécu entre 1705 et 1734. Sinon à quoi bon?»
On ne soulignera jamais assez le caractère étonnant de la démarche. Car il faut bien admettre qu'on ne voit pas souvent des immigrants congolais se mêler de l'histoire du Québec. M. Tchika lui, s'étonne que personne n'y ait songé avant lui. «Nos élus noirs sont très peu militants. Ou alors il faut que ça concerne leur pays d'origine, généralement Haïti. C'est tout le contraire des États-Unis», déplore l'ancien écrivain, qui a fui le Congo au milieu des années 80, et qui dirige aujourd'hui le magazine politico-économique Transatlantique.
Chose certaine, Kanyurhi T. Tchika n'est pas prêt à lâcher le morceau. Même que d'autres noms lui sont déjà venus à la tête. Sa prochaine croisade?
«Boule Noire, pourquoi pas?»
***
Peu de rues noires au Québec
Si l'on en juge par les registres de la Commission de toponymie, peu d'endroits au Québec rappellent la mémoire de Noirs célèbres. Une recherche poussée - mais non exhaustive - menée par les historiens de la Commission recensait en 2009 une vingtaine de lieux pour à peine une douzaine de personnages.
Outre Mathieu Da Costa, récemment honoré à Québec, on a recensé à Montréal la rue Charles-Biddle (jazzman, 1926-2003), le parc Toto-Bissainthe (artiste haïtienne, 1934-1994), la rue Henri-Christophe (révolutionnaire haïtien, 1767-1820), l'avenue Olivier-Lejeune (premier esclave de Nouvelle-France, 1633-1654), la rue Karl-Lévesque (leader et missionnaire haïtien, 1937-1986), le parc et la rue Toussaint-Louverture (révolutionnaire haïtien, 1743-1803), le parc Charlemagne-Péralte (nationaliste haïtien, 1886-1919), la rue Rufus-Rockhead (fondateur du jazz club Rockhead's Paradise, 1899-1981) et le parc Léopold-Senghor (poète et politicien sénégalais, 1906-2001). En Outaouais, un lac, un barrage et un ruisseau portent le nom d'un certain John Bull (homme fort, descendant d'esclaves), et l'ancien empereur d'Éthiopie Hailé Sélassié a donné son nom à deux lacs et à un barrage en Mauricie.
Étrangement, il n'y a à Montréal aucune rue du nom de Jackie Robinson, premier Noir à jouer dans le baseball majeur, après un passage «déclencheur» chez les Royaux de Montréal.
Ni de rue Oscar-Peterson, qui a cependant une salle de spectacle à son nom à l'Université Concordia.
http://www.cyberpresse.ca/actualites/regional/montreal/201102/26/01-4374239-le-combat-de-tchika-pour-la-memoire-dune-esclave.php
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Kanyurhi T. Tchika devant la rue Sainte-Thérèse, dans le Vieux-Montréal, où Marie-Josèphe Angélique est morte et a vécu.
Photo: Alain Roberge, La Presse
Jean-Christophe Laurence
La Presse
Marie-Josèphe Angélique, ça vous dit quelque chose? Pas vraiment? Pas étonnant.
Hormis une plaque timide dans le Vieux-Montréal, quelques mentions par les historiens Marcel Trudel et Paul Brown et un livre de Denyse Beaugrand-Champagne paru en 2004 (Le procès de Marie-Josèphe Angélique), son nom reste à peu près inconnu. Sans doute parce qu'elle évoque une part sombre et cachée de l'histoire du Québec: exécutée en 1734 pour avoir causé le grand incendie de Montréal, Marie-Josèphe Angélique fut la première esclave noire jamais répertoriée dans la province.
«Elle est la preuve qu'il y avait des esclaves dès l'époque de la Nouvelle-France, souligne l'actrice Tchetchena Bellange, qui vient de lui consacrer le docudrame Les mains noires, diffusé à RDI. Le mythe du Québec qui accueillait les esclaves américains en fuite, c'est vrai. Mais c'était au XIXe siècle. Il ne faut pas oublier que l'esclavage n'a été aboli ici qu'en 1834.»
Pour Kanyurhi T. Tchika, il est clair que le personnage mérite plus de reconnaissance. Après avoir réussi à faire nommer une rue de Québec en l'honneur de Mathieu Da Costa, ce Congolais d'origine s'est donc lancé dans une nouvelle croisade en faveur de la martyre méconnue. Voilà deux ans qu'il harcèle la Ville de Montréal pour que Marie-Josèphe Angélique ait une rue à son nom.
M. Tchika admet que cette bataille est moins «évidente» cette fois-ci. Contrairement à Mathieu Da Costa, premier Noir à avoir foulé le sol de la Nouvelle-France (avec Champlain, dès 1603), Angélique n'avait rien d'une aventurière ou d'une héroïne. Mais son cas n'en demeure pas moins emblématique. «Elle est la première esclave noire de l'histoire du Québec sur qui on a écrit, dit-il. Et on l'a brûlée...»
Selon Denyse Beaugrand-Champagne, la cause de M. Tchika est d'autant plus justifiée qu'Angélique fut vraisemblablement accusée à tort. Son train de vie anticonformiste et sa relation affichée avec un homme blanc en faisaient la victime idéale. Montréal se reconstruisait à peine d'un incendie précédent. «Il fallait un coupable», résume l'historienne, qui a décortiqué chaque détail du procès qui constitue la seule trace de son existence. Au dire de Mme Beaugrand-Champagne, l'esclave aurait finalement été condamnée après le témoignage d'une enfant de 5 ans...
Pas dans le Vieux
La Ville a reconnu d'emblée l'initiative de M. Tchika. En juin dernier, Marie-Josèphe Angélique est allée rejoindre les centaines d'autres noms sur la «liste d'attente» du Bureau du patrimoine, de la toponymie et de l'expertise. Mais les deux parties ne se sont toujours pas entendues sur le lieu qui lui sera attribué.
M. Tchika a tout fait pour qu'on rebaptise la petite rue Sainte-Thérèse, dans le Vieux-Montréal, où elle est morte et a vécu. Il a même obtenu l'appui officiel de la Fédération des femmes du Québec, qui a son siège dans l'artère en question. Peine perdue. «J'ai vite compris que le Vieux-Montréal était sacré, sourit M.Tchika. Ils m'ont bien fait comprendre que j'aurais plus de chances dans de nouveaux développements.»
«La Ville essaie généralement d'éviter les changements de nom à cause de tous les problèmes que cela pose, confirme Dominique Dufort, conseiller en aménagement au Bureau du patrimoine. Mais c'est certain que l'ancienneté du quartier joue aussi. M. Tchika aurait sans doute plus de chances en périphérie où il y a encore des espaces à nommer, comme Pierrefonds ou Pointe-aux-Trembles...»
L'idée ne réjouit pas le Congolais qui, pour d'évidentes raisons historiques, souhaite demeurer dans l'arrondissement de Ville-Marie. Aux dernières nouvelles, M.Tchika avait plutôt des visées sur le secteur Griffintown, où des transformations en profondeur sont à prévoir dans les prochaines années. «L'essentiel, dit-il, c'est qu'on ne la mette pas dans un petit coin où personne n'en saura rien.»
L'essentiel, c'est surtout qu'on sache qui elle était, renchérit Denyse Beaugrand-Champagne. Car «nommer une rue c'est une chose, mais passer à côté sans savoir de qui il s'agit, c'en est une autre. Le problème, c'est qu'ici, contrairement à la France, on ne précise pas qui étaient les gens sur nos plaques. Alors une rue Angélique, oui. Mais il faudrait quand même préciser que c'est une esclave qui a vécu entre 1705 et 1734. Sinon à quoi bon?»
On ne soulignera jamais assez le caractère étonnant de la démarche. Car il faut bien admettre qu'on ne voit pas souvent des immigrants congolais se mêler de l'histoire du Québec. M. Tchika lui, s'étonne que personne n'y ait songé avant lui. «Nos élus noirs sont très peu militants. Ou alors il faut que ça concerne leur pays d'origine, généralement Haïti. C'est tout le contraire des États-Unis», déplore l'ancien écrivain, qui a fui le Congo au milieu des années 80, et qui dirige aujourd'hui le magazine politico-économique Transatlantique.
Chose certaine, Kanyurhi T. Tchika n'est pas prêt à lâcher le morceau. Même que d'autres noms lui sont déjà venus à la tête. Sa prochaine croisade?
«Boule Noire, pourquoi pas?»
***
Peu de rues noires au Québec
Si l'on en juge par les registres de la Commission de toponymie, peu d'endroits au Québec rappellent la mémoire de Noirs célèbres. Une recherche poussée - mais non exhaustive - menée par les historiens de la Commission recensait en 2009 une vingtaine de lieux pour à peine une douzaine de personnages.
Outre Mathieu Da Costa, récemment honoré à Québec, on a recensé à Montréal la rue Charles-Biddle (jazzman, 1926-2003), le parc Toto-Bissainthe (artiste haïtienne, 1934-1994), la rue Henri-Christophe (révolutionnaire haïtien, 1767-1820), l'avenue Olivier-Lejeune (premier esclave de Nouvelle-France, 1633-1654), la rue Karl-Lévesque (leader et missionnaire haïtien, 1937-1986), le parc et la rue Toussaint-Louverture (révolutionnaire haïtien, 1743-1803), le parc Charlemagne-Péralte (nationaliste haïtien, 1886-1919), la rue Rufus-Rockhead (fondateur du jazz club Rockhead's Paradise, 1899-1981) et le parc Léopold-Senghor (poète et politicien sénégalais, 1906-2001). En Outaouais, un lac, un barrage et un ruisseau portent le nom d'un certain John Bull (homme fort, descendant d'esclaves), et l'ancien empereur d'Éthiopie Hailé Sélassié a donné son nom à deux lacs et à un barrage en Mauricie.
Étrangement, il n'y a à Montréal aucune rue du nom de Jackie Robinson, premier Noir à jouer dans le baseball majeur, après un passage «déclencheur» chez les Royaux de Montréal.
Ni de rue Oscar-Peterson, qui a cependant une salle de spectacle à son nom à l'Université Concordia.
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