Un humour noir : Hollande, Haïti et les réparations
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Un humour noir : Hollande, Haïti et les réparations
Un humour noir : Hollande, Haïti et les réparations
11 MAI 2015 | PAR ERIC FASSIN
http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-fassin/110515/un-humour-noir-hollande-haiti-et-les-reparations
À quoi joue François Hollande ? Pour refuser les réparations, il continue de juger l’esclavage « irréparable ». Pourtant, à Pointe-à-Pitre, il se fait applaudir en déclarant : « quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai la dette que nous avons ». Mais son entourage précise aussitôt « qu’il s’agissait d’une "dette morale" ». Le verbe présidentiel, ce n’est pas « pour de vrai ». L’humour noir de François Hollande est une parole blanche.
Le 10 mai 2015, à l’occasion de la journée nationale de commémoration de la traite et de l'abolition de l'esclavage, le Président de la République inaugure le Mémorial ACTe en Guadeloupe. Il n’hésite pourtant pas à évoquer le présent : « de nouveaux négriers monnaient des cargaisons humaines. En Méditerranée, des passeurs criminels remplissent des bateaux d’êtres humains. » Christiane Taubira tente de corriger : l’esclavage qu’on commémore, c’était un système d’État « codifié et régulé ». Et de s’agacer : « on doit combattre l’esclavage aujourd’hui, mais la confusion est mauvaise conseillère, et en plus elle est l’apanage des imbéciles ». Mais n’est-ce pas, pour la Garde des Sceaux comme pour le Président de la République, une manière d’éviter de reconnaître la responsabilité de l’Union européenne, et donc des États actuels ? Car « l’Europe forteresse » est la première responsable des morts en Méditerranée.
Quant à l’héritage de l’histoire, on sait François Hollande opposé aux réparations financières ; il leur préfère les gestes symboliques – moins coûteux. Deux ans plus tôt, le 10 mai 2013, n’a-t-il pas parlé d’« impossible réparation » ? C’était une fin de non recevoir adressée au Conseil représentatif des associations noires (CRAN). Il ajoute aujourd’hui : « Le seul choix possible, le plus digne, le plus grand, c’est la mémoire, la vigilance et la transmission ». Toutefois, l’argument laisse perplexe : à n’en pas douter, la Shoah est irréparable ; pourtant, l’Allemagne pourrait-elle s’exempter de toute réparation ? François Hollande n’en répète pas moins sa formule : « j’ai repris à mon compte il y a déjà longtemps les mots d’Aimé Césaire quant à la nature irréparable du crime. » Pourtant, en 2013, Louis-Georges Tin, président du CRAN, ne mâchait pas ses mots : « François Hollande trahit l’esprit même du texte d’Aimé Césaire car ce texte est favorable aux réparations. Ce n’est pas très honnête. »
Que disait exactement cette grande figure martiniquaise, dans l’entretien accordé en 2005 à Françoise Vergès ? « Ce serait trop facile : “Alors toi, tu as été esclave pendant tant d’années, il y a longtemps, donc on multiplie par tant : voici ta réparation.” Et puis ce serait terminé. Pour moi, l’action ne sera jamais terminée. C’est irréparable. » C’est donc, effectivement, tout le contraire de la lecture de François Hollande. Césaire continue en effet : « Je connais suffisamment les Occidentaux : “Alors, mon cher, combien ? Je t’en donne la moitié pour payer la traite. D’accord ? Tope là.” Puis c’est fini : ils ont réparé. Or, selon moi, c’est tout à fait irréparable. » Sans doute le poète refuse-t-il de jouer les mendiants ; il n’en conclut pas moins : « Je crois que l’Afrique a droit moralement à une réparation. » Le droit moral à une réparation devient, pour François Hollande, le droit à une réparation… (purement) « morale » !
Or en Guadeloupe, la question est toujours d’actualité. Le syndicaliste Élie Domota s’indigne qu’on refuse aux « victimes » les réparations qu’on a accordées aux « bourreaux » en 1848 et dont vivent encore leurs descendants. Autant dire : « la colonisation était une bonne chose, l’esclavage était une bonne chose » ! Car en réalité, quand les responsables français disent « qu’ils sont opposés à la réparation, c’est qu’ils considèrent que la citoyenneté française, c’est la réparation. C’est comme si vous venez chez quelqu’un, vous tuez la famille, vous violez la petite fille, et quelques années après vous lui faites deux enfants, vous vous mariez avec elle et vous considérez que le problème est réglé parce que vous lui donnez votre nom! » Le président campe pourtant sur ses positions : « la seule dette qui doit être réglée, c’est de pouvoir faire avancer l’humanité. »
Toutefois, à Pointe-à-Pitre, il fait aussi une déclaration solennelle concernant Haïti. Le président commence par rappeler l’histoire. « A-t-on suffisamment souligné que quand l’abolition fut acquise, la question de l’indemnisation prit des proportions et surtout une orientation particulièrement surprenante, puisqu’elle était réclamée à cor et à cri non pas par les anciens esclaves, mais par les anciens maîtres qui exigeaient d’être dédommagés pour la perte de la force de travail qu’ils avaient comptabilisée dans leurs écritures comme la valeur de leur cheptel. C’est sous la monarchie, Charles X, 1825, qui réclama même à la jeune République d’Haïti une indemnisation d’État de 150 millions de francs or, afin d’indemniser les anciens colons. »
Effectivement, Haïti s’est ruinée à payer pendant plus d’un siècle (jusqu’en 1952 !) l’équivalent de 17 milliards d’euros à la France. Le reconnaître en 2015, c’est faire écho à Nicolas Sarkozy qui déclarait en 2010, pour la première visite d’un chef d’État français en Haïti depuis l’indépendance en 1804 : « Même si je n’ai pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j’en suis quand même responsable au nom de la France. » Mais l’actuel président semble aller beaucoup plus loin que la simple allusion de son prédécesseur : « Certains ont appelé cette exigence la rançon de l’indépendance. Eh bien, quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ».
En Guadeloupe et dans le monde entier, les applaudissements sont nourris. L’information est aussitôt reprise : par exemple, sur le site de France TV Info ; ou bien sur celui de Jeune Afrique. Mais une dépêche vient doucher les enthousiasmes : « Son entourage a précisé à l'AFP qu’il s’agissait bien d’une ‘dette morale’ ». Autrement dit, c’était pour rire. Les Haïtiens seront payés… en monnaie de singe ! Autant dire qu’ils comptent pour du beurre. Car si le gouvernement grec s’avisait aujourd’hui de déclarer : « j’acquitterai ma dette », pour faire préciser ensuite par des conseillers : « dette morale, bien sûr », que n’entendrait-on ?
Il y a les dettes qu’on honore, et celles qu’on se contente d’acquitter « moralement ». C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre le refus de prendre en compte, à l’inverse, la dette allemande à l’égard de la Grèce. Dans le rapport de domination, les puissants ne doivent jamais rien à personne ; il n’est de dette que des dominés. Mais il y a plus. Ce que suggère François Hollande, en promettant pour aussitôt démentir, en prenant un engagement pour s’en dégager immédiatement, c’est aussi que la parole de l’État est démonétisée. C’est lui-même qui le dit : il ne faut pas le prendre au sérieux. D’ailleurs, il dit bien « ma », et non pas « notre » dette. Le verbe présidentiel, ce n’est pas « pour de vrai » : cela n’engage que lui. Ou plutôt que ceux qui y croient. L’humour noir de François Hollande est une parole blanche.
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Haitiens, soyons vigilants et maintenons la mobilisation pour exiger Justice, Réparations et Restitution de notre lait maternel au représentant de la France négrière!
Restitution-Réparations pour Haiti!
https://youtu.be/v8bRq2Yb5oQ
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À quoi joue François Hollande ? Pour refuser les réparations, il continue de juger l’esclavage « irréparable ». Pourtant, à Pointe-à-Pitre, il se fait applaudir en déclarant : « quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai la dette que nous avons ». Mais son entourage précise aussitôt « qu’il s’agissait d’une "dette morale" ». Le verbe présidentiel, ce n’est pas « pour de vrai ». L’humour noir de François Hollande est une parole blanche.
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Le 10 mai 2015, à l’occasion de la journée nationale de commémoration de la traite et de l'abolition de l'esclavage, le Président de la République inaugure le Mémorial ACTe en Guadeloupe. Il n’hésite pourtant pas à évoquer le présent : « de nouveaux négriers monnaient des cargaisons humaines. En Méditerranée, des passeurs criminels remplissent des bateaux d’êtres humains. » Christiane Taubira tente de corriger : l’esclavage qu’on commémore, c’était un système d’État « codifié et régulé ». Et de s’agacer : « on doit combattre l’esclavage aujourd’hui, mais la confusion est mauvaise conseillère, et en plus elle est l’apanage des imbéciles ». Mais n’est-ce pas, pour la Garde des Sceaux comme pour le Président de la République, une manière d’éviter de reconnaître la responsabilité de l’Union européenne, et donc des États actuels ? Car « l’Europe forteresse » est la première responsable des morts en Méditerranée.
Quant à l’héritage de l’histoire, on sait François Hollande opposé aux réparations financières ; il leur préfère les gestes symboliques – moins coûteux. Deux ans plus tôt, le 10 mai 2013, n’a-t-il pas parlé d’« impossible réparation » ? C’était une fin de non recevoir adressée au Conseil représentatif des associations noires (CRAN). Il ajoute aujourd’hui : « Le seul choix possible, le plus digne, le plus grand, c’est la mémoire, la vigilance et la transmission ». Toutefois, l’argument laisse perplexe : à n’en pas douter, la Shoah est irréparable ; pourtant, l’Allemagne pourrait-elle s’exempter de toute réparation ? François Hollande n’en répète pas moins sa formule : « j’ai repris à mon compte il y a déjà longtemps les mots d’Aimé Césaire quant à la nature irréparable du crime. » Pourtant, en 2013, Louis-Georges Tin, président du CRAN, ne mâchait pas ses mots : « François Hollande trahit l’esprit même du texte d’Aimé Césaire car ce texte est favorable aux réparations. Ce n’est pas très honnête. »
Que disait exactement cette grande figure martiniquaise, dans l’entretien accordé en 2005 à Françoise Vergès ? « Ce serait trop facile : “Alors toi, tu as été esclave pendant tant d’années, il y a longtemps, donc on multiplie par tant : voici ta réparation.” Et puis ce serait terminé. Pour moi, l’action ne sera jamais terminée. C’est irréparable. » C’est donc, effectivement, tout le contraire de la lecture de François Hollande. Césaire continue en effet : « Je connais suffisamment les Occidentaux : “Alors, mon cher, combien ? Je t’en donne la moitié pour payer la traite. D’accord ? Tope là.” Puis c’est fini : ils ont réparé. Or, selon moi, c’est tout à fait irréparable. » Sans doute le poète refuse-t-il de jouer les mendiants ; il n’en conclut pas moins : « Je crois que l’Afrique a droit moralement à une réparation. » Le droit moral à une réparation devient, pour François Hollande, le droit à une réparation… (purement) « morale » !
Or en Guadeloupe, la question est toujours d’actualité. Le syndicaliste Élie Domota s’indigne qu’on refuse aux « victimes » les réparations qu’on a accordées aux « bourreaux » en 1848 et dont vivent encore leurs descendants. Autant dire : « la colonisation était une bonne chose, l’esclavage était une bonne chose » ! Car en réalité, quand les responsables français disent « qu’ils sont opposés à la réparation, c’est qu’ils considèrent que la citoyenneté française, c’est la réparation. C’est comme si vous venez chez quelqu’un, vous tuez la famille, vous violez la petite fille, et quelques années après vous lui faites deux enfants, vous vous mariez avec elle et vous considérez que le problème est réglé parce que vous lui donnez votre nom! » Le président campe pourtant sur ses positions : « la seule dette qui doit être réglée, c’est de pouvoir faire avancer l’humanité. »
Toutefois, à Pointe-à-Pitre, il fait aussi une déclaration solennelle concernant Haïti. Le président commence par rappeler l’histoire. « A-t-on suffisamment souligné que quand l’abolition fut acquise, la question de l’indemnisation prit des proportions et surtout une orientation particulièrement surprenante, puisqu’elle était réclamée à cor et à cri non pas par les anciens esclaves, mais par les anciens maîtres qui exigeaient d’être dédommagés pour la perte de la force de travail qu’ils avaient comptabilisée dans leurs écritures comme la valeur de leur cheptel. C’est sous la monarchie, Charles X, 1825, qui réclama même à la jeune République d’Haïti une indemnisation d’État de 150 millions de francs or, afin d’indemniser les anciens colons. »
Effectivement, Haïti s’est ruinée à payer pendant plus d’un siècle (jusqu’en 1952 !) l’équivalent de 17 milliards d’euros à la France. Le reconnaître en 2015, c’est faire écho à Nicolas Sarkozy qui déclarait en 2010, pour la première visite d’un chef d’État français en Haïti depuis l’indépendance en 1804 : « Même si je n’ai pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j’en suis quand même responsable au nom de la France. » Mais l’actuel président semble aller beaucoup plus loin que la simple allusion de son prédécesseur : « Certains ont appelé cette exigence la rançon de l’indépendance. Eh bien, quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ».
En Guadeloupe et dans le monde entier, les applaudissements sont nourris. L’information est aussitôt reprise : par exemple, sur le site de France TV Info ; ou bien sur celui de Jeune Afrique. Mais une dépêche vient doucher les enthousiasmes : « Son entourage a précisé à l'AFP qu’il s’agissait bien d’une ‘dette morale’ ». Autrement dit, c’était pour rire. Les Haïtiens seront payés… en monnaie de singe ! Autant dire qu’ils comptent pour du beurre. Car si le gouvernement grec s’avisait aujourd’hui de déclarer : « j’acquitterai ma dette », pour faire préciser ensuite par des conseillers : « dette morale, bien sûr », que n’entendrait-on ?
Il y a les dettes qu’on honore, et celles qu’on se contente d’acquitter « moralement ». C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre le refus de prendre en compte, à l’inverse, la dette allemande à l’égard de la Grèce. Dans le rapport de domination, les puissants ne doivent jamais rien à personne ; il n’est de dette que des dominés. Mais il y a plus. Ce que suggère François Hollande, en promettant pour aussitôt démentir, en prenant un engagement pour s’en dégager immédiatement, c’est aussi que la parole de l’État est démonétisée. C’est lui-même qui le dit : il ne faut pas le prendre au sérieux. D’ailleurs, il dit bien « ma », et non pas « notre » dette. Le verbe présidentiel, ce n’est pas « pour de vrai » : cela n’engage que lui. Ou plutôt que ceux qui y croient. L’humour noir de François Hollande est une parole blanche.
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jafrikayiti- Super Star
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Feuille de personnage
Jeu de rôle: Bon neg guinen
Re: Un humour noir : Hollande, Haïti et les réparations
Se ipokrisi sa ki indiye m .nanpwen reparatyon posib pou desandan esklav yo poutan yo tè fè nou peye pou dedomaje ti blan mannan yo ki te kenbe nou nan esklavaj pandan plisyè syek. poutan ou jwen sankoutya ki rayi moun kap di verite.
Le gros roseau- Super Star
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Loisirs : sport ,internet,stock market
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Se ta RADIYES PEMET ke yo ta kite se TOUSSAINT selman ke HOLLANDE ONORE
Bann LEPANDYE toujou ap swiv LIY ansyen KOLON yo ATANSYON.
Gen NEG ki toujou pre pou mete TOUSEN devan DESSALINES ,atansyon.
TOUSEN merite ONORE men DESSALINES menm lan yon KLAS pa limenm.MISYE pa t kite panse EWOPEYEN an two ENFLIYANSE;li lan yon KLAS pa limenm.
Gen jounen Jodi an ,anpil GRADUATE SCHOOL OZETAZINI ki gen ETID sou DESSALINES.
Nou pa p opoze youn a LOT ;men pinga NEG ap voye TOUSEN monte pou diminye DESSALINES.
Se sa ISTORYEN sa ap di ;pou l di ke DESSALINES lan yon KLAS pa LIMENM;pa gen tankou l:
Dessalines invente une liberté double: anticolonialiste et antiesclavagiste
Le Nouvelliste | Publié le : 11 mai 2015
Deborah Jenson, professeur à Duke University et auteur de l’ouvrage Beyond the Slave Narrat Politics, Sex, and Manuscripts in the Haitian Revolution, présente le héros de l’indépendance haïtienne Jean-Jacques Dessalines comme l’inventeur d’une liberté double, anti-colonialiste et anti-esclavagiste. La directrice du Centre d’études latino-américaines et caribéennes, et codirectrice du Centre de recherches sur Haiti, a répondu aux questions de Le Nouvelliste à l’occasion de la visite du président français François Hollande en Haïti.
Deborah Jenson, directrice, Franklin Humanities Institute, Duke University
Duke
Le Nouvelliste: Peut-on parler de liberté au XIX siècle, de la saga de la liberté dans les Amériques, sans citer Jean-Jacques Dessalines?
Deborah Jenson: La révolution dite “américaine” aux Etats-Unis a revendiqué l’indépendance de la métropole anglaise, sans revendiquer l'émancipation des esclaves. La révolution haïtienne est un exemple singulier d’émancipation double: le rejet du colonialisme et de l’esclavage. C’est Jean-Jacques Dessalines qui insiste sur l’invention d’une liberté double, anticolonialiste et antiesclavagiste.
L.N. : Faut-il en 2015 se souvenir de l'esclavage comme c'est le cas avec le mémorial inauguré en Guadeloupe ou célébrer la liberté?
D.J. : Il y a deux points de vue également légitimes. Le psychiatre Louis Mars, fondateur haïtien de l’ethnopsychiatrie dans les années 1940, a demandé, "de cette race abrutie par quatre siècles d'esclavage, c'est-à-dire quatre siècles de refoulement, qu'advient-il de notre psychisme enfin libéré de ces contraintes collectives?” L’adversité contraint le développement au niveau de l’individu et de la société, et l’esclavage réunit la gamme des présentations possibles de l’adversité: il faut donc prévoir des conséquences de longue durée. Mais pour les fondateurs de l’État haïten, la subjectivité n’est pas définie par l’esclavage. Leur futur n’est pas limité à la contingence d’un passé marqué par l’esclavage. Pour les chefs de la révolution haïtienne, il faut se souvenir des motifs et des précisions de l’invention locale de la liberté, bien qu'ils surgissent de l’expérience locale de l’esclavage.
L.N. : Faut-il célébrer l'abolition de l'esclavage de 1848 ou la liberté de 1804?
D.J. : L’abolition de l’esclavage de 1848 a peu de signification par rapport à l’histoire d’Haïti: il faut remonter plus loin, aux dates moins connues de l’histoire des pionniers haïtiens. Léger-Félicité Sonthonax, commissaire de la République française aux îles sous le vent, a décrété la première abolition de l’esclavage à Saint-Domingue (la colonie française dans la partie occidentale de l’île de Saint-Domingue) le 29 août 1793. Toussaint Louverture a écrit lors de cette abolition: «Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. Je travaille à les faire exister.» Mais c’est en 1804 que cette liberté devient proprement haïtienne, nationale, sous le général en chef Jean-Jacques Dessalines, qui unit liberté et indépendance dans l’Acte d’indépendance:
«Ce n'est pas assez d’avoir expulsé de votre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis deux siècles; ce n‘est pas assez d'avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux ; il faut, par un dernier acte d'autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante tout espoir de nous réasservir; il faut enfin vivre indépendants ou mourir.»
L.N. : Haïti a payé à la France un montant pour dédommager les anciens colons. La problématique de la restitution et des réparations concerne-t-elle seulement Haïti ou d'autres pays ont-ils eu à payer et ont été remboursés ?
D.J. : Le cas d’Haïti, où les anciens colonisés dédommagent les anciens colons après avoir gagné leur indépendance dans un contexte militaire est à mon savoir singulier. Mais la question de réparations pour l’esclavage s’applique à beaucoup de régions, peut-être surtout aux USA où les principes d’indépendance ont été souvent contredits par la continuation de l’esclavage. Jusqu’ici, la pratique des réparations ne favorise point les afro-diasporiques dans le contexte euro-américain. C’est une question qui demande beaucoup d’études légales.
AUTEUR
Propos recueillis par Frantz Duval
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Gen NEG ki toujou pre pou mete TOUSEN devan DESSALINES ,atansyon.
TOUSEN merite ONORE men DESSALINES menm lan yon KLAS pa limenm.MISYE pa t kite panse EWOPEYEN an two ENFLIYANSE;li lan yon KLAS pa limenm.
Gen jounen Jodi an ,anpil GRADUATE SCHOOL OZETAZINI ki gen ETID sou DESSALINES.
Nou pa p opoze youn a LOT ;men pinga NEG ap voye TOUSEN monte pou diminye DESSALINES.
Se sa ISTORYEN sa ap di ;pou l di ke DESSALINES lan yon KLAS pa LIMENM;pa gen tankou l:
Dessalines invente une liberté double: anticolonialiste et antiesclavagiste
Le Nouvelliste | Publié le : 11 mai 2015
Deborah Jenson, professeur à Duke University et auteur de l’ouvrage Beyond the Slave Narrat Politics, Sex, and Manuscripts in the Haitian Revolution, présente le héros de l’indépendance haïtienne Jean-Jacques Dessalines comme l’inventeur d’une liberté double, anti-colonialiste et anti-esclavagiste. La directrice du Centre d’études latino-américaines et caribéennes, et codirectrice du Centre de recherches sur Haiti, a répondu aux questions de Le Nouvelliste à l’occasion de la visite du président français François Hollande en Haïti.
Deborah Jenson, directrice, Franklin Humanities Institute, Duke University
Duke
Le Nouvelliste: Peut-on parler de liberté au XIX siècle, de la saga de la liberté dans les Amériques, sans citer Jean-Jacques Dessalines?
Deborah Jenson: La révolution dite “américaine” aux Etats-Unis a revendiqué l’indépendance de la métropole anglaise, sans revendiquer l'émancipation des esclaves. La révolution haïtienne est un exemple singulier d’émancipation double: le rejet du colonialisme et de l’esclavage. C’est Jean-Jacques Dessalines qui insiste sur l’invention d’une liberté double, anticolonialiste et antiesclavagiste.
L.N. : Faut-il en 2015 se souvenir de l'esclavage comme c'est le cas avec le mémorial inauguré en Guadeloupe ou célébrer la liberté?
D.J. : Il y a deux points de vue également légitimes. Le psychiatre Louis Mars, fondateur haïtien de l’ethnopsychiatrie dans les années 1940, a demandé, "de cette race abrutie par quatre siècles d'esclavage, c'est-à-dire quatre siècles de refoulement, qu'advient-il de notre psychisme enfin libéré de ces contraintes collectives?” L’adversité contraint le développement au niveau de l’individu et de la société, et l’esclavage réunit la gamme des présentations possibles de l’adversité: il faut donc prévoir des conséquences de longue durée. Mais pour les fondateurs de l’État haïten, la subjectivité n’est pas définie par l’esclavage. Leur futur n’est pas limité à la contingence d’un passé marqué par l’esclavage. Pour les chefs de la révolution haïtienne, il faut se souvenir des motifs et des précisions de l’invention locale de la liberté, bien qu'ils surgissent de l’expérience locale de l’esclavage.
L.N. : Faut-il célébrer l'abolition de l'esclavage de 1848 ou la liberté de 1804?
D.J. : L’abolition de l’esclavage de 1848 a peu de signification par rapport à l’histoire d’Haïti: il faut remonter plus loin, aux dates moins connues de l’histoire des pionniers haïtiens. Léger-Félicité Sonthonax, commissaire de la République française aux îles sous le vent, a décrété la première abolition de l’esclavage à Saint-Domingue (la colonie française dans la partie occidentale de l’île de Saint-Domingue) le 29 août 1793. Toussaint Louverture a écrit lors de cette abolition: «Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. Je travaille à les faire exister.» Mais c’est en 1804 que cette liberté devient proprement haïtienne, nationale, sous le général en chef Jean-Jacques Dessalines, qui unit liberté et indépendance dans l’Acte d’indépendance:
«Ce n'est pas assez d’avoir expulsé de votre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis deux siècles; ce n‘est pas assez d'avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux ; il faut, par un dernier acte d'autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante tout espoir de nous réasservir; il faut enfin vivre indépendants ou mourir.»
L.N. : Haïti a payé à la France un montant pour dédommager les anciens colons. La problématique de la restitution et des réparations concerne-t-elle seulement Haïti ou d'autres pays ont-ils eu à payer et ont été remboursés ?
D.J. : Le cas d’Haïti, où les anciens colonisés dédommagent les anciens colons après avoir gagné leur indépendance dans un contexte militaire est à mon savoir singulier. Mais la question de réparations pour l’esclavage s’applique à beaucoup de régions, peut-être surtout aux USA où les principes d’indépendance ont été souvent contredits par la continuation de l’esclavage. Jusqu’ici, la pratique des réparations ne favorise point les afro-diasporiques dans le contexte euro-américain. C’est une question qui demande beaucoup d’études légales.
AUTEUR
Propos recueillis par Frantz Duval
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