La saga des Libanais en Haïti Par Roberto KHATLAB
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La saga des Libanais en Haïti Par Roberto KHATLAB
À la fin du XIXe siècle, plusieurs Libanais ont pris le chemin de l’émigration du port de Beyrouth à Port-au-Prince, capitale d’Haïti, qui partage une île des Grandes Antilles de l’Amérique avec la République dominicaine.Haïti est un pays dont la su- perficie de 28 000 km2 est près du triple de celle du Liban, et compte 8 millions d’habitants. Ses belles montagnes lui ont donné son nom « Ayiti », qui signifie dans la langue locale « la montagne dans la mer » ou encore « la terre des hautes mon- tagnes ». Haïti est devenue en 1804 la première république indépendante d’Amérique à population majoritairement noire après la révolution haï- tienne (1791-1803), à la suite de laquelle l’armée de Napo- léon a quitté le territoire. Ce pays est aujourd’hui en proie à des difficultés économiques qui en font le plus pauvre du grand continent.Portrait de John (Hanna) Boulos, arrivé en Haïti à la fin du XIXe siècle. Mais c’est un pays qui a captivé les Libanais et mal- gré la discrimination qui à l’époque frappait les Levan- tins, ils se sont établis à partir de 1880 notamment dans le quartier du « Bord de Mer » à Port-au-Prince, qui était depuis plusieurs décennies un grand centre commercial tenu par la bourgeoisie haïtienne, les Français, les Allemands, les Italiens et les Américains. De condition modeste, les Libanais se sont éparpillés à travers tout le territoire. Comme le plus souvent ils étaient vendeurs de pacotilles et colporteurs, ils furent sur- nommés avec mépris « Arab bwèt nan do » (Arabes por-tant une boîte sur leur dos, en langue créole).
Ils ont vite gagné de l’argent et c’est alors que les persécutions de la part de la bourgeoisie haïtienne commencèrent contre ces commerçants étrangers, ces nouveaux hommes blancs qui réussissaient dans les affai- res. Ils furent même appelés « Arab manje koulèv » (Ara- bes mangeurs de serpents) ! La pression devenait telle qu’une loi gouvernementale fut votée en 1903, les visant directement. L’article 1 de cette loi stipulait qu’aucun « individu dit syrien » ou ainsi dénommé dans le langage populaire « ne sera admis sur le territoire de la république » !
On leur donna six mois pour liquider leurs affaires com- merciales et plusieurs d’entre eux furent expulsés sous les gouvernements de Nord Alex et de Cincinnatus Leconte. Ils revinrent avec les Améri- cains, qui ont occupé le pays de 1915 à 1934. Ces derniers voyaient en eux de bons com- merçants. Par la suite, sous la dictature de François Duva- lier, on les considéra comme des alliés politiques face à la bourgeoisie opposante, et continuèrent ainsi de résider tranquillement dans le pays.
Viviane Boulos, haïtienne d’origine libanaise et inter- prète de profession (français, anglais et créole), nous racon- telasagadesafamille:«Mon père est libanais et ma mère pa- lestinienne. Mon grand-père, John (Hanna) Boulos, est né à Alexandrette (Iskenderun), à l’époque en Syrie, de parents li- banais, mais je n’ai aucune idée de son village d’origine, au Li- ban. Parti vers les États-Unis à Ohio, à la fin du XIXe siècle, il s’est rendu à Haïti à la recherche d’une femme dont il était tombé amoureux, Nahjeh Tarabein, originaire de Becharré. Il l’a re- trouvée, l’a épousée et a investi son argent à Haïti, devenant un grand homme d’affaires. Il est mort en 1935, laissant 9 enfants. Voulant d’abord re- tourner au Liban, ma grand- mère a alors embarqué sur un navire avec ses fils et filles, Émile, Édouard, Lily, Vic-tor (mon père), John, George, Ramez, Hélène et Alfred. Elle a fait escale à New York et un ami de la famille, John Saada, l’a convaincue que là, elle aurait plus de facilités à élever ses en- fants. Il l’aida alors à acheter un immeuble à Brooklyn où elle s’installa. Plus tard, mon père Victor, renouvelant l’histoire de mon grand-père, fut le seul à revenir à Haïti, à la demande de ma mère, Victoria Chamiyeh, qu’il avait rencontrée et épousée à New York, mais qui refusait d’y vivre. »
Viviane Boulos s’est rendue au Liban en 2005, accom- pagnée du réalisateur Mario Delatour, pour tourner un film documentaire : Un certain bord de mer : un siècle d’immi- gration en Haïti. Le film ra- contait l’histoire de l’immi- gration et de l’intégration des Levantins arabes aux Caraï- bes. Recueillant, entre autres, les témoignages de Libanais et de descendants de Libanais à Haïti, il montre la transfor- mation de la ville de Port-au- Prince, devenue aujourd’hui pauvre, alors qu’elle était dans les années 50 une des méga- poles du tourisme et de la culture du Caribe.
L’écrivain haïtienne de père français, Paulette Poujol Oriol, raconte : « Je dois vous dire que j’ai grandi ici au “Bord de mer”... Et je me souviens très bien de ces familles arabes, à qui l’on reprochait beaucoup de cho- ses ; mais il faut aussi dire que ce ont de rudes travailleurs, et que leurs fortunes ne sont pas venues comme ça. » De son côté, l’his- torien Michel Soukar, petit- fils de Libanais de Becharré, raconte une petite anecdote : « On m’a souvent raconté que les Arabes prononcent la lettre “p” comme le “b” dans leur lan- gue. Arrivant à Marseille, ils entendaient la langue française, et alors plusieurs noms prêtaient à confusion. Port-au-Prince devenait “Bord au Brince ”, comme si c’était une ville bré- silienne, et beaucoup sont arri- vés en Haïti en pensant qu’ils étaient au Brésil. »
Puis Paulette Oriol parle des colporteurs : « Je me sou- viens très jeune de cette image des Arabes qui faisaient du por- te-à-porte. Ils étaient solidaires et travaillaient en famille. En raison de la discrimination, un certain nombre d’entre eux ont décidé de s’installer en province, prenant des femmes noires com- me épouses, et provoquant des métissages. Les noirs voyaient dans ces Arabes, qui donnaient naissance à des “mulâtres”, un moyen d’accéder à une classe so- ciale supérieure. C’est là je pense que les immigrants ont gagné le pari. En s’associant au peuple, ils ont appris à maîtriser le créo- le, ce qui les a énormément aidés dans le commerce. Chose que nous autres mulâtres n’avons pas fait. » Soukar ajoute de son côté : « Oui, ceci est vrai, mais il ne faut pas oublier que le Libanais a le commerce dans e sang. Il sait fidéliser son client. Il a introduit en Haïti, par exemple, le crédit, avec une attention toujours spéciale pour ceux avec qui il traitait.
Un autre commentateur, Georges Saati, note que « les Américains, pendant leur occu- pation du pays, les protégeaient pour les amener à acheter de la marchandise chez eux plutôt que d’Europe. En revanche, le président Vincent s’est révélé moins brillant, votant en 1930 une nouvelle loi empêchant les Arabes d’évoluer dans ce genre de commerce, et les poussant à liquider leurs affaires et s’en aller. Une mesure qui a ruiné Haïti, la bourgeoisie locale n’arrivant pas à reprendre ces affaires en main, car elle n’en- tretenait pas les memes rapports avec avec la population ».
« La plupart des Libanais d’Haïti ont réussi dans la vie.Ce ne sont plus des vendeurs de tissus, mais des professionnels, des industriels, des banquiers, des médecins. Le “Bord de mer” a malheureusement sombré dans le chaos, mais nous voyons qu’ils ont évolué dans le bon sens».
Certains sont aussi entrés en politique, comme le mé- decin Carlos Boulos, qui fut ministre de la Santé publique ou Jean Deeb, ancien maire de Port-au-Prince. Même si aucun cercle culturel arabe n’a été fondé dans ce pays, les Libanais et leurs descendants n’oublient pas le Liban qui, comme Haïti, est aussi un pays de hautes montagnes.
À la fin du XIXe siècle, plusieurs Libanais ont pris le chemin de l’émigration du port de Beyrouth à Port-au-Prince, capitale d’Haïti, qui partage une île des Grandes Antilles de l’Amérique avec la République dominicaine.
Haïti est un pays dont la su- perficie de 28 000 km2 est près du triple de celle du Liban, et compte 8 millions d’habitants. Ses belles montagnes lui ont donné son nom « Ayiti », qui signifie dans la langue locale « la montagne dans la mer » ou encore « la terre des hautes mon- tagnes ». Haïti est devenue en 1804 la première république indépendante d’Amérique à population majoritairement noire après la révolution haï- tienne (1791-1803), à la suite de laquelle l’armée de Napo- léon a quitté le territoire.
Ce pays est aujourd’hui en proie à des difficultés économiques qui en font le plus pauvre du grand continent.Portrait de John (Hanna) Boulos, arrivé en Haïti à la fin du XIXe siècle. Mais c’est un pays qui a captivé les Libanais et mal- gré la discrimination qui à l’époque frappait les Levan- tins, ils se sont établis à partir de 1880 notamment dans le quartier du « Bord de Mer » à Port-au-Prince, qui était depuis plusieurs décennies un grand centre commercial tenu par la bourgeoisie haïtienne, les Français, les Allemands, les Italiens et les Américains. De condition modeste, les Libanais se sont éparpillés à travers tout le territoire.
Comme le plus souvent ils étaient vendeurs de pacotilles et colporteurs, ils furent sur- nommés avec mépris « Arab bwèt nan do » (Arabes por-tant une boîte sur leur dos, en langue créole). Ils ont vite gagné de l’argent et c’est alors que les persécutions de la part de la bourgeoisie haïtienne commencèrent contre ces commerçants étrangers, ces nouveaux hommes blancs qui réussissaient dans les affai- res. Ils furent même appelés « Arab manje koulèv » (Ara- bes mangeurs de serpents) !
La pression devenait telle qu’une loi gouvernementale fut votée en 1903, les visant directement. L’article 1 de cette loi stipulait qu’aucun « individu dit syrien » ou ainsi dénommé dans le langage populaire « ne sera admis sur le territoire de la république » !
On leur donna six mois pour liquider leurs affaires com- merciales et plusieurs d’entre eux furent expulsés sous les gouvernements de Nord Alex et de Cincinnatus Leconte. Ils revinrent avec les Améri- cains, qui ont occupé le pays de 1915 à 1934. Ces derniers voyaient en eux de bons com- merçants. Par la suite, sous la dictature de François Duva- lier, on les considéra comme des alliés politiques face à la bourgeoisie opposante, et continuèrent ainsi de résider tranquillement dans le pays.
Viviane Boulos, haïtienne d’origine libanaise et inter- prète de profession (français, anglais et créole), nous racon- telasagadesafamille:«Mon père est libanais et ma mère pa- lestinienne. Mon grand-père, John (Hanna) Boulos, est né à Alexandrette (Iskenderun), à l’époque en Syrie, de parents li- banais, mais je n’ai aucune idée de son village d’origine, au Li- ban. Parti vers les États-Unis à Ohio, à la fin du XIXe siècle, il s’est rendu à Haïti à la recherche d’une femme dont il était tombé amoureux, Nahjeh Tarabein, originaire de Becharré. Il l’a re- trouvée, l’a épousée et a investi son argent à Haïti, devenant un grand homme d’affaires. Il est mort en 1935, laissant 9 enfants.
Voulant d’abord re- tourner au Liban, ma grand- mère a alors embarqué sur un navire avec ses fils et filles, Émile, Édouard, Lily, Vic-tor (mon père), John, George, Ramez, Hélène et Alfred. Elle a fait escale à New York et un ami de la famille, John Saada, l’a convaincue que là, elle aurait plus de facilités à élever ses en- fants. Il l’aida alors à acheter un immeuble à Brooklyn où elle s’installa. Plus tard, mon père Victor, renouvelant l’histoire de mon grand-père, fut le seul à revenir à Haïti, à la demande de ma mère, Victoria Chamiyeh, qu’il avait rencontrée et épousée à New York, mais qui refusait d’y vivre. »
Viviane Boulos s’est rendue au Liban en 2005, accom- pagnée du réalisateur Mario Delatour, pour tourner un film documentaire : Un certain bord de mer : un siècle d’immi- gration en Haïti. Le film ra- contait l’histoire de l’immi- gration et de l’intégration des Levantins arabes aux Caraï- bes. Recueillant, entre autres, les témoignages de Libanais et de descendants de Libanais à Haïti, il montre la transfor- mation de la ville de Port-au- Prince, devenue aujourd’hui pauvre, alors qu’elle était dans les années 50 une des méga- poles du tourisme et de la culture du Caribe.
L’écrivain haïtienne de père français, Paulette Poujol Oriol, raconte : « Je dois vous dire que j’ai grandi ici au “Bord de mer”... Et je me souviens très bien de ces familles arabes, à qui l’on reprochait beaucoup de cho- ses ; mais il faut aussi dire que ce ont de rudes travailleurs, et que leurs fortunes ne sont pas venues comme ça. » De son côté, l’his- torien Michel Soukar, petit- fils de Libanais de Becharré, raconte une petite anecdote : « On m’a souvent raconté que les Arabes prononcent la lettre “p” comme le “b” dans leur lan- gue. Arrivant à Marseille, ils entendaient la langue française, et alors plusieurs noms prêtaient à confusion. Port-au-Prince devenait “Bord au Brince ”, comme si c’était une ville bré- silienne, et beaucoup sont arri- vés en Haïti en pensant qu’ils étaient au Brésil. »
Puis Paulette Oriol parle des colporteurs : « Je me sou- viens très jeune de cette image des Arabes qui faisaient du por- te-à-porte. Ils étaient solidaires et travaillaient en famille. En raison de la discrimination, un certain nombre d’entre eux ont décidé de s’installer en province, prenant des femmes noires com- me épouses, et provoquant des métissages. Les noirs voyaient dans ces Arabes, qui donnaient naissance à des “mulâtres”, un moyen d’accéder à une classe so- ciale supérieure.
C’est là je pense que les immigrants ont gagné le pari. En s’associant au peuple, ils ont appris à maîtriser le créo- le, ce qui les a énormément aidés dans le commerce. Chose que nous autres mulâtres n’avons pas fait. » Soukar ajoute de son côté : « Oui, ceci est vrai, mais il ne faut pas oublier que le Libanais a le commerce dans e sang. Il sait fidéliser son client. Il a introduit en Haïti, par exemple, le crédit, avec une attention toujours spéciale pour ceux avec qui il traitait.
Un autre commentateur, Georges Saati, note que « les Américains, pendant leur occu- pation du pays, les protégeaient pour les amener à acheter de la marchandise chez eux plutôt que d’Europe. En revanche, le président Vincent s’est révélé moins brillant, votant en 1930 une nouvelle loi empêchant les Arabes d’évoluer dans ce genre de commerce, et les poussant à liquider leurs affaires et s’en aller. Une mesure qui a ruiné Haïti, la bourgeoisie locale n’arrivant pas à reprendre ces affaires en main, car elle n’en- tretenait pas les memes rapports avec avec la population ».
« La plupart des Libanais d’Haïti ont réussi dans la vie.Ce ne sont plus des vendeurs de tissus, mais des professionnels, des industriels, des banquiers, des médecins. Le “Bord de mer” a malheureusement sombré dans le chaos, mais nous voyons qu’ils ont évolué dans le bon sens».
Certains sont aussi entrés en politique, comme le mé- decin Carlos Boulos, qui fut ministre de la Santé publique ou Jean Deeb, ancien maire de Port-au-Prince. Même si aucun cercle culturel arabe n’a été fondé dans ce pays, les Libanais et leurs descendants n’oublient pas le Liban qui, comme Haïti, est aussi un pays de hautes montagnes.
Ils ont vite gagné de l’argent et c’est alors que les persécutions de la part de la bourgeoisie haïtienne commencèrent contre ces commerçants étrangers, ces nouveaux hommes blancs qui réussissaient dans les affai- res. Ils furent même appelés « Arab manje koulèv » (Ara- bes mangeurs de serpents) ! La pression devenait telle qu’une loi gouvernementale fut votée en 1903, les visant directement. L’article 1 de cette loi stipulait qu’aucun « individu dit syrien » ou ainsi dénommé dans le langage populaire « ne sera admis sur le territoire de la république » !
On leur donna six mois pour liquider leurs affaires com- merciales et plusieurs d’entre eux furent expulsés sous les gouvernements de Nord Alex et de Cincinnatus Leconte. Ils revinrent avec les Améri- cains, qui ont occupé le pays de 1915 à 1934. Ces derniers voyaient en eux de bons com- merçants. Par la suite, sous la dictature de François Duva- lier, on les considéra comme des alliés politiques face à la bourgeoisie opposante, et continuèrent ainsi de résider tranquillement dans le pays.
Viviane Boulos, haïtienne d’origine libanaise et inter- prète de profession (français, anglais et créole), nous racon- telasagadesafamille:«Mon père est libanais et ma mère pa- lestinienne. Mon grand-père, John (Hanna) Boulos, est né à Alexandrette (Iskenderun), à l’époque en Syrie, de parents li- banais, mais je n’ai aucune idée de son village d’origine, au Li- ban. Parti vers les États-Unis à Ohio, à la fin du XIXe siècle, il s’est rendu à Haïti à la recherche d’une femme dont il était tombé amoureux, Nahjeh Tarabein, originaire de Becharré. Il l’a re- trouvée, l’a épousée et a investi son argent à Haïti, devenant un grand homme d’affaires. Il est mort en 1935, laissant 9 enfants. Voulant d’abord re- tourner au Liban, ma grand- mère a alors embarqué sur un navire avec ses fils et filles, Émile, Édouard, Lily, Vic-tor (mon père), John, George, Ramez, Hélène et Alfred. Elle a fait escale à New York et un ami de la famille, John Saada, l’a convaincue que là, elle aurait plus de facilités à élever ses en- fants. Il l’aida alors à acheter un immeuble à Brooklyn où elle s’installa. Plus tard, mon père Victor, renouvelant l’histoire de mon grand-père, fut le seul à revenir à Haïti, à la demande de ma mère, Victoria Chamiyeh, qu’il avait rencontrée et épousée à New York, mais qui refusait d’y vivre. »
Viviane Boulos s’est rendue au Liban en 2005, accom- pagnée du réalisateur Mario Delatour, pour tourner un film documentaire : Un certain bord de mer : un siècle d’immi- gration en Haïti. Le film ra- contait l’histoire de l’immi- gration et de l’intégration des Levantins arabes aux Caraï- bes. Recueillant, entre autres, les témoignages de Libanais et de descendants de Libanais à Haïti, il montre la transfor- mation de la ville de Port-au- Prince, devenue aujourd’hui pauvre, alors qu’elle était dans les années 50 une des méga- poles du tourisme et de la culture du Caribe.
L’écrivain haïtienne de père français, Paulette Poujol Oriol, raconte : « Je dois vous dire que j’ai grandi ici au “Bord de mer”... Et je me souviens très bien de ces familles arabes, à qui l’on reprochait beaucoup de cho- ses ; mais il faut aussi dire que ce ont de rudes travailleurs, et que leurs fortunes ne sont pas venues comme ça. » De son côté, l’his- torien Michel Soukar, petit- fils de Libanais de Becharré, raconte une petite anecdote : « On m’a souvent raconté que les Arabes prononcent la lettre “p” comme le “b” dans leur lan- gue. Arrivant à Marseille, ils entendaient la langue française, et alors plusieurs noms prêtaient à confusion. Port-au-Prince devenait “Bord au Brince ”, comme si c’était une ville bré- silienne, et beaucoup sont arri- vés en Haïti en pensant qu’ils étaient au Brésil. »
Puis Paulette Oriol parle des colporteurs : « Je me sou- viens très jeune de cette image des Arabes qui faisaient du por- te-à-porte. Ils étaient solidaires et travaillaient en famille. En raison de la discrimination, un certain nombre d’entre eux ont décidé de s’installer en province, prenant des femmes noires com- me épouses, et provoquant des métissages. Les noirs voyaient dans ces Arabes, qui donnaient naissance à des “mulâtres”, un moyen d’accéder à une classe so- ciale supérieure. C’est là je pense que les immigrants ont gagné le pari. En s’associant au peuple, ils ont appris à maîtriser le créo- le, ce qui les a énormément aidés dans le commerce. Chose que nous autres mulâtres n’avons pas fait. » Soukar ajoute de son côté : « Oui, ceci est vrai, mais il ne faut pas oublier que le Libanais a le commerce dans e sang. Il sait fidéliser son client. Il a introduit en Haïti, par exemple, le crédit, avec une attention toujours spéciale pour ceux avec qui il traitait.
Un autre commentateur, Georges Saati, note que « les Américains, pendant leur occu- pation du pays, les protégeaient pour les amener à acheter de la marchandise chez eux plutôt que d’Europe. En revanche, le président Vincent s’est révélé moins brillant, votant en 1930 une nouvelle loi empêchant les Arabes d’évoluer dans ce genre de commerce, et les poussant à liquider leurs affaires et s’en aller. Une mesure qui a ruiné Haïti, la bourgeoisie locale n’arrivant pas à reprendre ces affaires en main, car elle n’en- tretenait pas les memes rapports avec avec la population ».
« La plupart des Libanais d’Haïti ont réussi dans la vie.Ce ne sont plus des vendeurs de tissus, mais des professionnels, des industriels, des banquiers, des médecins. Le “Bord de mer” a malheureusement sombré dans le chaos, mais nous voyons qu’ils ont évolué dans le bon sens».
Certains sont aussi entrés en politique, comme le mé- decin Carlos Boulos, qui fut ministre de la Santé publique ou Jean Deeb, ancien maire de Port-au-Prince. Même si aucun cercle culturel arabe n’a été fondé dans ce pays, les Libanais et leurs descendants n’oublient pas le Liban qui, comme Haïti, est aussi un pays de hautes montagnes.
À la fin du XIXe siècle, plusieurs Libanais ont pris le chemin de l’émigration du port de Beyrouth à Port-au-Prince, capitale d’Haïti, qui partage une île des Grandes Antilles de l’Amérique avec la République dominicaine.
Haïti est un pays dont la su- perficie de 28 000 km2 est près du triple de celle du Liban, et compte 8 millions d’habitants. Ses belles montagnes lui ont donné son nom « Ayiti », qui signifie dans la langue locale « la montagne dans la mer » ou encore « la terre des hautes mon- tagnes ». Haïti est devenue en 1804 la première république indépendante d’Amérique à population majoritairement noire après la révolution haï- tienne (1791-1803), à la suite de laquelle l’armée de Napo- léon a quitté le territoire.
Ce pays est aujourd’hui en proie à des difficultés économiques qui en font le plus pauvre du grand continent.Portrait de John (Hanna) Boulos, arrivé en Haïti à la fin du XIXe siècle. Mais c’est un pays qui a captivé les Libanais et mal- gré la discrimination qui à l’époque frappait les Levan- tins, ils se sont établis à partir de 1880 notamment dans le quartier du « Bord de Mer » à Port-au-Prince, qui était depuis plusieurs décennies un grand centre commercial tenu par la bourgeoisie haïtienne, les Français, les Allemands, les Italiens et les Américains. De condition modeste, les Libanais se sont éparpillés à travers tout le territoire.
Comme le plus souvent ils étaient vendeurs de pacotilles et colporteurs, ils furent sur- nommés avec mépris « Arab bwèt nan do » (Arabes por-tant une boîte sur leur dos, en langue créole). Ils ont vite gagné de l’argent et c’est alors que les persécutions de la part de la bourgeoisie haïtienne commencèrent contre ces commerçants étrangers, ces nouveaux hommes blancs qui réussissaient dans les affai- res. Ils furent même appelés « Arab manje koulèv » (Ara- bes mangeurs de serpents) !
La pression devenait telle qu’une loi gouvernementale fut votée en 1903, les visant directement. L’article 1 de cette loi stipulait qu’aucun « individu dit syrien » ou ainsi dénommé dans le langage populaire « ne sera admis sur le territoire de la république » !
On leur donna six mois pour liquider leurs affaires com- merciales et plusieurs d’entre eux furent expulsés sous les gouvernements de Nord Alex et de Cincinnatus Leconte. Ils revinrent avec les Améri- cains, qui ont occupé le pays de 1915 à 1934. Ces derniers voyaient en eux de bons com- merçants. Par la suite, sous la dictature de François Duva- lier, on les considéra comme des alliés politiques face à la bourgeoisie opposante, et continuèrent ainsi de résider tranquillement dans le pays.
Viviane Boulos, haïtienne d’origine libanaise et inter- prète de profession (français, anglais et créole), nous racon- telasagadesafamille:«Mon père est libanais et ma mère pa- lestinienne. Mon grand-père, John (Hanna) Boulos, est né à Alexandrette (Iskenderun), à l’époque en Syrie, de parents li- banais, mais je n’ai aucune idée de son village d’origine, au Li- ban. Parti vers les États-Unis à Ohio, à la fin du XIXe siècle, il s’est rendu à Haïti à la recherche d’une femme dont il était tombé amoureux, Nahjeh Tarabein, originaire de Becharré. Il l’a re- trouvée, l’a épousée et a investi son argent à Haïti, devenant un grand homme d’affaires. Il est mort en 1935, laissant 9 enfants.
Voulant d’abord re- tourner au Liban, ma grand- mère a alors embarqué sur un navire avec ses fils et filles, Émile, Édouard, Lily, Vic-tor (mon père), John, George, Ramez, Hélène et Alfred. Elle a fait escale à New York et un ami de la famille, John Saada, l’a convaincue que là, elle aurait plus de facilités à élever ses en- fants. Il l’aida alors à acheter un immeuble à Brooklyn où elle s’installa. Plus tard, mon père Victor, renouvelant l’histoire de mon grand-père, fut le seul à revenir à Haïti, à la demande de ma mère, Victoria Chamiyeh, qu’il avait rencontrée et épousée à New York, mais qui refusait d’y vivre. »
Viviane Boulos s’est rendue au Liban en 2005, accom- pagnée du réalisateur Mario Delatour, pour tourner un film documentaire : Un certain bord de mer : un siècle d’immi- gration en Haïti. Le film ra- contait l’histoire de l’immi- gration et de l’intégration des Levantins arabes aux Caraï- bes. Recueillant, entre autres, les témoignages de Libanais et de descendants de Libanais à Haïti, il montre la transfor- mation de la ville de Port-au- Prince, devenue aujourd’hui pauvre, alors qu’elle était dans les années 50 une des méga- poles du tourisme et de la culture du Caribe.
L’écrivain haïtienne de père français, Paulette Poujol Oriol, raconte : « Je dois vous dire que j’ai grandi ici au “Bord de mer”... Et je me souviens très bien de ces familles arabes, à qui l’on reprochait beaucoup de cho- ses ; mais il faut aussi dire que ce ont de rudes travailleurs, et que leurs fortunes ne sont pas venues comme ça. » De son côté, l’his- torien Michel Soukar, petit- fils de Libanais de Becharré, raconte une petite anecdote : « On m’a souvent raconté que les Arabes prononcent la lettre “p” comme le “b” dans leur lan- gue. Arrivant à Marseille, ils entendaient la langue française, et alors plusieurs noms prêtaient à confusion. Port-au-Prince devenait “Bord au Brince ”, comme si c’était une ville bré- silienne, et beaucoup sont arri- vés en Haïti en pensant qu’ils étaient au Brésil. »
Puis Paulette Oriol parle des colporteurs : « Je me sou- viens très jeune de cette image des Arabes qui faisaient du por- te-à-porte. Ils étaient solidaires et travaillaient en famille. En raison de la discrimination, un certain nombre d’entre eux ont décidé de s’installer en province, prenant des femmes noires com- me épouses, et provoquant des métissages. Les noirs voyaient dans ces Arabes, qui donnaient naissance à des “mulâtres”, un moyen d’accéder à une classe so- ciale supérieure.
C’est là je pense que les immigrants ont gagné le pari. En s’associant au peuple, ils ont appris à maîtriser le créo- le, ce qui les a énormément aidés dans le commerce. Chose que nous autres mulâtres n’avons pas fait. » Soukar ajoute de son côté : « Oui, ceci est vrai, mais il ne faut pas oublier que le Libanais a le commerce dans e sang. Il sait fidéliser son client. Il a introduit en Haïti, par exemple, le crédit, avec une attention toujours spéciale pour ceux avec qui il traitait.
Un autre commentateur, Georges Saati, note que « les Américains, pendant leur occu- pation du pays, les protégeaient pour les amener à acheter de la marchandise chez eux plutôt que d’Europe. En revanche, le président Vincent s’est révélé moins brillant, votant en 1930 une nouvelle loi empêchant les Arabes d’évoluer dans ce genre de commerce, et les poussant à liquider leurs affaires et s’en aller. Une mesure qui a ruiné Haïti, la bourgeoisie locale n’arrivant pas à reprendre ces affaires en main, car elle n’en- tretenait pas les memes rapports avec avec la population ».
« La plupart des Libanais d’Haïti ont réussi dans la vie.Ce ne sont plus des vendeurs de tissus, mais des professionnels, des industriels, des banquiers, des médecins. Le “Bord de mer” a malheureusement sombré dans le chaos, mais nous voyons qu’ils ont évolué dans le bon sens».
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