Haiti en Marche: A quoi joue la presse ?

A quoi joue la presse ?

PORT-AU-PRINCE, 22 Juillet - La presse semble jouer à cache-cache avec l'actualité. Quand quelque chose ne marche pas, elle le dénonce à bon droit. Quand les pouvoirs publics tentent d'y remédier, rapidement elle prend la position contraire à ce qu'elle réclamait jusque-là.

Ceci se voit dans maints domaines. On étale à la une des photos de vendeurs de médicaments des rues débitant leurs pilules subdivisées en mille morceaux sans aucun contrôle, on le dénonce à juste titre comme un danger public, une épée de Damoclès sur la société, à moins de considérer la clientèle de ces apothicaires ambulants comme n'appartenant pas à la même société.

Voici qui est de la bonne presse professionnelle et jouant son rôle social à la perfection.

Mais qu'il arrive aux gouvernants de vouloir y porter remède (heureuse conséquence d'ailleurs du travail critique de ces organes de presse), alors voici ces derniers lancés dans une drôle de manœuvre.

D'abord montrer sans attendre que les mesures gouvernementales - à peine annoncées - n'ont aucun effet (les vendeurs de médicaments continuent leur négoce de plus belle), et qu'elles n'auront probablement aucune suite, et que c'est encore un coup d'épée dans l'eau etc.

D'un extrême à l'autre...

Puis si jamais les responsables se montrent déterminés, alors on prend carrément une position contraire à tout ce qu'on défendait jusqu'ici. Pour un peu on prendrait la tête des manifestations organisées par les petits vendeurs.

Or la manœuvre se déroule de manière si mécanique, si extrême voire extrémiste, d'un extrême à l'autre, qu'elle est évidente. Il ne s'agit pas de défendre les petits vendeurs, dont on demandait hier la disparition pure et simple, serait-ce par une bombe atomique. Mais de faire de la critique pour la critique.

Et cela s'appellerait de la presse objective, totalement indépendante ! Il suffit de toujours prendre le contre-pied de tout en tout, en tout temps et en tout lieu.

Les trompettes de l'hyper nationalisme...

En dernier lieu, ce sont les trafiquants de drogue qui doivent se frotter les mains. Depuis des années, la DEA américaine embarque des compatriotes sous cette accusation sans qu'on ait entendu la moindre observation.

Mais survient l'opération de lundi dernier (16 juillet) contre la résidence de l'ex-chef rebelle Guy Philippe aux Cayes. Celui-ci parvient à s'échapper.

Aussitôt, tous de tomber à bras raccourcis sur l'accord signé entre l'Etat haïtien et les Etats-Unis pour l'extradition des présumés trafiquants (et accord que hier encore, par exemple lors du sommet de Santo Domingo sur la drogue, les mêmes portaient aux nues). Et d'emboucher les trompettes de l'hyper nationalisme. Des manifestations s'annoncent. Qui finance ? Nous conseillerons nous autres d'être prudents, c'est un sujet autrement plus délicat que celui des petits vendeurs de médicaments.

Mais que veut aujourd'hui notre presse et plus exactement, comment savoir ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas ?

Mais pour commencer, est-ce sa propre satisfaction qui est en cause ou celle de la communauté...

Un jeu de cache-cache morbide...

La presse peut-elle aller jusqu'à défendre ce qui n'est pas bon, ce qui est mortel pour la société ? Ce n'est pas le cas ici, du moins nous le présumons, puisqu'au départ elle défend des causes justes, cela commence toujours par la dénonciation de travers et manquements évidents. Mais soudain, pour des raisons que la raison ignore, on se met subitement à dériver, à s'engager dans un jeu de cache-cache,démarche trouble et troublante.

Alors ?

Est-ce la manifestation d'un plus grand souci professionnel que nature ? Comme quoi la presse ne doit jamais, au grand jamais, s'aligner avec les responsables, même quand le destin de la communauté est en jeu. Une sorte de débat de l'éthique et l'esthétique.

Est-ce de l'hypocrisie ? Du fait que c'est encore elle qui par ses critiques, par ailleurs tout à fait fondées, a déclenché les événements.

Est-ce de la politique ? Ce n'est pas seulement du " cache-cache lubin ", c'est de la guérilla médiatique ?

Et cette dernière, est-ce vraiment dans un but esthétique ? Des confrères trop emportés par leur jeunesse. Ou trop vulnérables à la manipulation ?

Editorial, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince