Forum Haiti : Des Idées et des Débats sur l'Avenir d'Haiti


Rejoignez le forum, c’est rapide et facile

Forum Haiti : Des Idées et des Débats sur l'Avenir d'Haiti
Forum Haiti : Des Idées et des Débats sur l'Avenir d'Haiti
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment :
Display Star Wars Unlimited Ombres de la Galaxie : ...
Voir le deal

Rassoul Labuchin et son expérience du marxisme avec les grands leaders du monde

Aller en bas

Rassoul Labuchin et son expérience du marxisme avec les grands leaders du monde Empty Rassoul Labuchin et son expérience du marxisme avec les grands leaders du monde

Message  Rico Ven 26 Sep 2008 - 17:31

"Je demeure un marxiste moderne"


Par ces temps où il manque d'articulation sur les grands thèmes nationaux, le poète Rassoul Labuchin relance de grands débats sur les idéologies, les voyages, les arts, le rôle organique de l'intellectuel. Il a rencontré Kroutchev, Mao, Ho Chi Min, Chou En Lai, Jacques Duclos. Il parle du conflit sino-soviétique, de la Place Rouge, de Jacques Stéphen Alexis. Entrevue avec le réalisateur d' « Anita », premier film réussi dans l'histoire de la cinématographie haïtienne, selon Le Larousse.

Nouvelliste : Rassoul Labuchin, on se rencontre à un moment tragique du pays. Nous subissons des catastrophes naturelles qui emportent des vies, des biens et ce qui nous reste d'agriculture. Vous avez écrit Le Ficus en collaboration avec votre femme d'alors, Michaelle Lafontant. C'était une superbe allégorie de la lutte de l'arbre menacé de désastres. Comment questionner le poète et l'idéologue sans commencer par ce drame national ?

Rassoul Labuchin : C'est vraiment un drame national. Les intellectuels ont toujours été les gardiens de cette terre. Il y a certes parmi eux qui ont collaboré pour leurs intérêts personnels. On a tort de penser que c'est la force militaire qui a soutenu ce pays. Les poètes, les artistes ont toujours été aux postes de combat. Jacques Stéphen Alexis a payé de sa vie un rêve révolutionnaire de remettre Haïti debout. Jacques Roumain a écrit Gouverneurs de la Rosée qui est une lutte contre la dégradation de l'écologie. Je suis un marxiste moderne. Je vois ce drame en termes réels et objectifs, mais aussi par les outils subjectifs liés à notre mentalité.

L.N. : Qu'entendez-vous par « outils subjectifs » ?

R.L. : Notre manière de vivre sur cette terre est liée à un comportement prédateur. C'est le panier à crabes. Je demeure persuadé qu'à chaque fois qu'une lumière naît, elle est jetée dans une situation de noirceur qu'il faut combattre par la volonté collective. A coté d'outils physiques (machines agricoles, infrastructures...) nous avons aussi besoin d'outils subjectifs pour orienter notre destin. Le marxisme explore aussi les domaines de l'anthropologie, de la psychanalyse, de la linguistique pour les mettre au service du développement humain.

L.N. : Rassoul Labuchin est votre nom de plume. Votre vrai nom est Joseph Yves Médard.

R.L. : J'ai trois noms de saints. Le romancier Cesbron a écrit un livre titré : « Les saints vont en enfer ». Il traduit le drame des prêtres ouvriers qui, dans la pratique des luttes syndicales ont pu découvrir le vrai visage du patronnat. Je suis né dans une famille de chrétiens catholiques. J'étais chez Les frères de l'Instruction chrétienne qui passait, à l'époque, pour une des meilleures institutions primaires du pays. Très jeune, je commençais à voir des films de Fernandel (Les gueux au paradis...) de Charlie Chaplin. Mon premier choc avec les Frères était ceci : du coté paternel, les gens étaient très noirs et d'obédience musulmane. Les Médard ont été les premiers à établir dans le pays des mosquées islamiques à Terrier Rouge dans le Nord. J'ai toujours une curiosité pour savoir en quoi consiste une telle religion. La littérature chevaleresque française du Moyen-Age m'a poussé à me demander pourquoi cette barbarie contre les arabes et l'islamisme. C'était, en fait, une guerre de conquête qui avait sa connotation littéraire. Ces croisés allaient à la recherche d'épices et d'autres biens...
L.N. : On dit aussi que les croisés recherchaient le « Graal »...

R.L. : Ce mythe du Graal était monté de toutes pièces comme ce Joseph d'Arimathie aurait recueilli le sang du Christ dans un vase et conservé, caché, dans un château. Depuis, des chrétiens venant de partout, se mettent à enquêter pour trouver ce vase sacré avec l'idée qu'une fois récupéré ils connaîtront le bonheur. Ils n'ont jamais eu le Graal. Le bonheur donc n'existe pas sur cette terre. C'est Stéphan Sweig qui a écrit ce fameux roman : « 24 heures de la vie d'une femme ». La protagoniste a eu une aventure amoureuse avec un jeune homme qui avait l'age de son fils. C'était le bonheur sentimental et existentiel de courte durée.

L.N. : Aviez-vous connu des moments de bonheur durant votre prime jeunesse ?

R.L. : je me souviens de ces vers que j'ai écrits dans « Le Ficus » : « L'enfance n'a pas connu que des jours heureux ; mes cerfs-volants manquaient de l'aile, mes dimanches creux connurent des larmes. J'avais huit ans, j'aimais d'amour une gracieuse dame qui me gâtait. L'amour est fou, en vérité. »

L.N. : C'était vers quelle année, cette enfance-là ?


R.L. : C'était sous Estimé. L'époque créait en moi le goût des loisirs. Certes, Dumarsais Estimé n'a pas travaillé à changer le système semi féodal et semi colonial. Mais, il a fait avancer bien des choses. Par exemple le paiement de la dette de 5 millions. Il voulait à tout prix s'en débarrasser. Cela a créé chez les jeunes un sentiment nationaliste très fort. Estimé n'est pas monté au pouvoir avec la majorité. Il était timide bien qu'il fût avocat. Il rasait les murs, comme on disait à l'époque. Quelque mois après, il s'était imposé. Les femmes du peuple sortaient avec leur robe carabella en chantant dans les rues « Mwen fout bezwen oraison Estimé ». N'oubliez pas que j'ai vécu la fin de Lescot. Nous avions payé la dette. Il restait au président de l'argent pour construire le bicentenaire, un grand espace de loisirs pour toutes les couches sociales et pour les enfants. J'y allais pour assister à des sérénades de Martha Jean Claude, de Célia Cruz, haïtienne d'origine qui s'appelait Célia Delacroix et d'autres artistes noirs américains.

L.N. : Vous parliez de vos parents paternels musulmans.

R.L. : C'est là que j'ai trouvé mon nom arabe, Rassoul, qui signifie l'Etre entre les dieux et les hommes. Du coté maternel, ils étaient plutôt d'origine juive. Je me souviens d'Elmire, ma grand-mère, qui ne cessait de nous raconter des histoires des juifs. Marx, Jésus, Einstein et bien d'autres fortes personnalités sont juifs. L'histoire de l'holocauste et d'autres persécutions avant et après le nazisme a dû jouer un rôle dans le développement de leur intelligence. Jean Paul Sartre, dans son fameux livre « La question juive » a expliqué à sa manière le phénomène avec ses moments de déboires et de résurrection. Selon moi, le peuple haïtien devrait être considéré comme les juifs noirs de l'Amérique. La question de couleur pour moi n'a jamais été assimilée. Dans ma famille, il n'y a jamais eu de complexe de division clanique noir/mulâtre.

L.N. : Nous savons que vous avez beaucoup voyagé dans les pays communistes.

R.L. : J'ai aussi beaucoup voyagé dans les pays capitalistes et du tiers-monde. En URSS, j'ai eu la chance de rencontrer Eugénie Galperina, la présidente de la Maison des écrivains dans les années 1959-1960. J'ai côtoyé aussi Vladnen, le Recteur de l'Université Patrice Lumumba. Rassoul, un écrivain soviétique connu pour son talent de poète et sa vaste culture. C'était l'époque de la grande crise sino-soviétique. Trois ou quatre jours après mon arrivée en URSS, on allait enlever les dépouilles de Joseph Staline sur la Place Rouge. Nous avions eu le privilège d'assister à l'événement. Des vétérans pleuraient comme des enfants. Après l'URSS on a été en Chine populaire. Au cours du trajet Moscou-Pékin, on a fait escale à Irkroust, en Sibérie. C'est là , à l'aéroport que j'ai remarqué la présence de Ho Chi Min, un petit homme mince, comme René Philoctète. On a discuté ensemble. Ho Chi Min nous a dit que l'histoire d'Haïti l'a beaucoup marqué et même influencé dans ses luttes contre le colonialisme et l'impérialisme. On s'est laissé à Pékin.

L.N. : Comment, à l'époque de la guerre froide, étiez-vous arrivé à effectuer ces voyages ?

R.L. : A l'époque, même François Duvalier ne pensait qu'on pouvait exister comme parti de gauche en Haïti. Il était tellement branché sur la répression contre les déjoistes, les fignolistes, les jumellistes qui représentaient un poids assez lourd dans la balance politique. Nous autres, marxistes, on nous ignorait.On a eu la chance de jouer dans le contexte. On était clandestins, méconnus, inaperçus. J'ai eu mon visa de sortie en 59-60 pour la Suisse et j'accompagnais David Lainé, un leader paysan. C'est en Suisse qu'on est resté dans l'attente de Jacques Stéphen Alexis. François Duvalier interdisait que le romancier laisse le pays. Il a écrit la fameuse lettre à Duvalier. Finalement, dans un grand hôtel de luxe de Berne, Suisse, payé par la Chine populaire, le téléphone sonne. Jacques Stéphen Alexis arrivait finalement en Suisse.

L.N. : Est-ce que vous avez des informations au sujet du visa obtenu pour son voyage ?

R.L. C'est en Haïti que j'ai pu savoir comment il avait procéder pour voyager. Un jeune du parti qui lui ressemblait comme deux gouttes et qui devait partir étudier à l'université Patrice Lumumba à Moscou a consenti le sacrifice de passer son passeport à Jacques. Il s'appelait Bernac Célestin. Cela lui a coûté dix ans de prison à Fort Dimanche où il a parlé à Jacques dans la cellule voisine. Le romancier était rentré en Haïti de façon clandestine et arrété a Bonbardopolis pour être conduit à Fort Dimanche.

L.N. : Quelles sont les autres personnalités que vous aviez rencontrées ?

R.L. : A part Ho Chi Min et le poète russe Rassoul, j'ai fait la connaissance de Kroutchev, Souslov, un grand idéologue marxiste de l'époque, Mao Tse Tong et Chou En Lai. Nous sommes arrivés en Chine au moment de la grande polémique entre les deux grandes puissances socialistes. Mao clamait que l'impérialisme est un tigre en papier. Souslov répliquait pour préciser que l'impérialisme a des « dents atomiques ». Cette situation me troublait. Je ne comprenais pas le bien fondé de cette guerre idéologique.

L.N. : Jacques Stéphen Alexis aurait-il pris position dans la polémique ?

R.L. : Lors de la rencontre entre notre délégation et celle du parti communiste chinois, j'ai constaté que notre brillant écrivain tremblotait en présence de Mao. Il tirait de grandes bouffées de cigarette. Quand il a trouvé son aplomb, il a affirmé que le conflit peut créer des crises dans les milieux de gauche en Amérique latine et dans le Tiers -monde. Il a aussi convaincu Mao à arriver à une rencontre entre le parti chinois, celui de l'URRS et les autres partis frères. Cette rencontre a eu lieu et Jacques a joué le rôle principal. Mao a demandé à Jacques de tendre la main aux camarades du PPLN (Parti popopulaire de libération nationale)...

La suite au prochain numéro : Rassoul Labuchin parlera du fonctionnement des partis de la gauche haïtienne, évoquera son parcours d'écrivain, argumentera sur son féminisme avoué et sur le rôle des intellectuels en Haïti

Propros recueillis par Pierre Clitandre

Source: Le Nouvelliste

Rico
Rico
Super Star
Super Star

Masculin
Nombre de messages : 8954
Localisation : inconnue
Loisirs : néant
Date d'inscription : 02/09/2006

Feuille de personnage
Jeu de rôle: dindon de la farce

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum