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Haiti: Les premiers resistants

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Message  gwotoro Sam 2 Déc 2006 - 23:52

Les premiers resistants

par Ghislaine Charlier (tire de la revue Reference referencemagazine@hotmail.com, volume 2, numero 4, decembre 2002 - fevrier 2003)

D’après Pierre de Vaissiere (historien dont l' oeuvre date du 18e siec1e), Saint-Domingue, édition de 1909, p. 234-235: « ... On sait ce qu'est le marronnage: c'est l'etat de 1'esclave qui a rompu son ban, et vit en outlaw dans les montagnes. Mais il n'y vit jamais seul. » Partant marron, il va rejoindre d'autres esclaves qui subsistent en bandes dans les bois, fortifies en des sortes de camps retranches, femmes par des palissades clisses en lianes et entoures de fosses de 12 a 15 pieds de profondeur, sur 8 ou 10 de large, et garnis au fond de pieux aiguises. A certains moments tels de ces groupes de marrons comptent jusqu' à 1500 ou 2000 noirs et quantité de mulâtresses et forment un véritable danger pour la colonie.

Le Marronnage a Saint-Domingue.

Nos premiers historiens, en particulier Thomas Madiou, ont longuement parlé du marronnage. Ce dernier nous a laissé maints détails concernant ses membres et les noms de nombreux chefs dont les exploits étaient encore connus a l'époque ou il écrivait sa monumentale «Histoire d'Haïti». Il n'est pas le seul, on peut consulter les auteurs français ou anglais surtout Moreau de Saint-Mery ainsi que 1'historien Semexan Rouzier et quelques autres. La documentation en la matière est relativement abondante. Si l'on ne connait pas le Dictionnaire de Bibliographie Haïtienne de Max Bissainthe, on devrait pouvoir le trouver dans une ou plusieurs bibliothèques des Etats-Unis ou l’on peut photocopier les pages que l’on compte utiliser.

Au cours du 20e siècle, le père Adolphe Cabon et Etienne D. Charlier ont traite du marronnage. Au lieu, comme disait le philosophe Alain, «de faire des objections avec les diverses pièces de son ignorance», il faut se donner la peine de lire nos écrivains et leurs devanciers dans l'histoire de notre île, d'autant plus qu'il est facile de trouver leurs celles-là dans les bibliothèques du Canada et surtout des U. S. A.

Etienne D. Charlier, dans son «Aperçu Sur La Formulation Historique De La Nation Haïtienne» a parle principalement du marronnage de la page 23 a la page 33 incluses. Voici comment il envisage le sujet: «Cependant, ce serait ne présenter qu'un aspect fragmentaire de la réalité, ne donner qu'une idée affaiblie de cette tension des rapports sociaux, qui va faire éclater la société esclavagiste saint-domingoise que de ne pas appuyer davantage sur les hors-la-loi du régime, ceux-là qui ne 1'ont jamais accepte et qui, au prix d'une résistance prolongée et héroïque, ont su toujours maintenir de-ci, de-la, des foyers de liberté. Jean Fouchard vient de nous doter d'un livre émouvant sur l'Histoire de Saint-Domingue: Les Marrons du Syllabaire. il reste a en écrire un autre peut-être plus important, car il présentera une fresque épique et gigantesque, la toile de fond du mouvement d'émancipation de notre communauté: Les Marrons de la Liberté»

L'esclavage comme Ie marronnage se perd dans la nuit des temps. Mais <<l'amour de la liberté qui sommeille au coeur de tout être humain» n’a cesse de se manifester de manières diverses au cours des ages.

Sur notre île, on l’a vu de très tôt. En mai 1522, trente ans après la découverte, une centaine d’esclaves en majorité noirs, se révoltèrent sur l'habitation de Diego Diegue, près de Santo-Domingo. Apres avoir mis le feu a quelques habitations du voisinage, ils s’en allèrent trouver Ie cacique Henri.

Il semble que jusqu'alors, les esclaves s’enfuyaient individuellement et rejoignaient les lndiens dans les montagnes ou selon un chef espagnol, «ils leur apprenaient tout le mal dont ils étaient capables», ce qui signifie en clair que les noirs incitaient les naturels du pays a se défendre contre les oppresseurs et que les opprimes se partageaient leur expérience de lutte.

Voici un autre exemple des méthodes qui ont aujourd'hui encore cours chez les oppresseurs et leurs complices: «En effet, nous dit Charlier, déjà parmi les résistants du Cacique se trouvaient des negres qui inquiétaient a ce point les espagnols que Barrio-Nuevo exigea la collaboration du Chef lndien pour leur capture». Il faut supposer que l'operation n'eut pas tout le succès escompte ou tout au moins, que ces premiers marrons negres eurent de dignes successeurs, car rendant compte de la situation de l'île de Saint-Domingue en 1665, Charlevoix écrit : «On comptait en 1665 dans l'Ile de Saint-Domingue, environ 1400 Espagnols, Métis et Mulâtres libres, et on prétendait que le nombre des esclaves était plus grand. Outre cela a 7 heures de la capitale, il y avait environ 1200 negres fugitifs qui étaient cantonnés et retranchés sur une montagne presque' inaccessible et qui faisaient contribuer tout le pays et la ville même (Voir Ie Père de Charlevoix, Histoire de l'Isle Espagnole ou de Saint-Domingue, édition M. D. C. C, XXX, tome premier, pages 90 et suivantes.). En 1679, Padrejean dans la région de Saint-Louis a Port-Margot, fugitif de la partie espagnole quoique affranchi, souleva les esclaves venus eux aussi de l’est. Retranchés sur une haute montagne appelée: Tatare, ils faisaient dans la plaine des incursions qui frappaient de terreur ses habitants. Délogés enfin par une vingtaine de flibustiers, ils regagnèrent la partie espagnole. Selon Moreau de Saint-Mery, «en mai 1677, trois cents esclaves noirs ayant formé Ie dessein de tuer leurs maîtres, se soulevèrent au Quartier Morin. Poissy, gouverneur par intérim étouffa la révolte». D'après le Père Cabon cité par Charlier, il semble que les membres d'un complot forme en 1691 par 200 negres au Cul-de-Sac pour massacrer tous leurs maitres et s'emparer des habitations furent sévèrement réprimés aussi. «Il est vraisemblable qu'ils commencèrent au Bahoruco cette retraite de Negres Marrons qui fut un continuel danger pour les cantons voisins jusqu'en 1783. En 1701, ils avaient leurs avant-gardes au morne noir, les chasseurs de la région afin de les poursuivre, s'y refusèrent; on accusa ces chasseurs d'avoir intérêt a maintenir ce refuge de negres marrons a qui, disait-on, ils fournissaient, a grand profit, des fusils et de la poudre. Galifet ordonna en 1702 une expédition contre les marrons de cette région.» (Charlevoix 254-255). Comme on le sait, la maréchaussée était composée de negres et mulâtres libres avec en plus des esclaves aux yeux desquels on faisait miroiter une liberté éventuelle. Cependant, lorsqu'en 1724, Chastenoye voulut déloger les marrons dont se plaignaient les habitants, les affranchis refusèrent de marcher contre ceux qu'ils appelaient leurs allies; «il fallut, écrit Cabon, une ordonnance du gouverneur du Cap» assortie d'ailleurs de menaces de peines sévères. Le chef des marrons, Colas J ambes Coupées fut pris au Morne à Montegre entre la Grande Rivière et Limonade et exécuté au bois de Lance.

La répression n'empêcha pas le marronnage de s'amplifier dans les deux colonies partageant notre île, l'espagnole et la française. Des battues au Bahoruco se multiplièrent. Les marrons de Nippes, atteignirent la Grand' Anse vers 1730 et ravagèrent les habitations. Leur chef Plymouth fut tué au cours d'une battue. Quant a Polydor et sa bande qui terrorisaient le quartier du Trou-de-Nippes, un esclave a qui on attribua ensuite la liberté, le fit pendre et tuer.

Bref, on tenta de finir avec cette menace constante. Des envoyés espagnols et français se rendirent au Bahoruco le 28 mai 1785 et conclurent une traite au nom de leur gouverneur respectif avec Ie chef des Marrons, Santyague. Et, d' après Cabon: «Ce traite fut ratifie par les administrateurs Ie 12 juin 1785 et confirme par Ie ministre quand on en vint a l’exécution en février 1786 les marrons ''refusèrent de quitter leurs établissements, mais ils tinrent leur promesse de vivre désormais en paix. Ils continuèrent à jouir de la même indépendance qu'ils s'étaient précédemment assurée. Ainsi finit après 80 ans d’alarmes cette menace constante de déprédation qui pesait sur toute la plaine du Cul-de-Sac et sur la dépendance de Jacmel. Dix ans après leur soumission, ils formèrent, au milieu des troubles de la Révolution, le noyau des bandes qui s’opposèrent dans les hauteurs de Port-au-Prince aux troupes de Rigaud et de Toussaint ».

Voici pour clore les citations comment Etienne Charlier apprécie en définitive le rôle joue par le marronnage: «La révolution de 1789 qui libère les forces explosives de la société de Saint-Domingue, va permettre aux Marrons du Bahoruco de sortir de leur forteresse, d' agglomérer a leur noyau les esclaves révoltes et de peser d'un poids énorme dans la balance: les Romaine-la-Prophetesse, les Halaou, les Lamour Derance surgissent sur la scène comme des Chefs entreprenants, qui s'opposent souvent a la Coloniale dans un duel a mort; le duel des Negres Bossales et des Negres Créoles, et l'Histoire officielle est infiniment injuste vis a vis de ces hommes frustes et en général, plonges dans les superstitions les plus grossières mais qui avaient su briser les chaînes de l'esclavage bien avant 1793.», Charlier op. Cit. p.29-30.

Plusieurs subordonnes de chefs marrons ont pris part a la guerre d'indépendance et s'y sont illustres. Madiou les cite au fur et a mesure. Il y en avait un peu partout dans l’armée indigène; cette armée d’anciens esclaves en haillons, sans souliers ni chapeau, des va-nu-pieds comme celle de 1789. Cette armée qui, avec Dessalines et ses proches a conquis cette indépendance que nous risquons sans cesse de perdre depuis.

N.B. En fait, les bandes de marrons se réunissaient souvent et vivaient à la manière africaine. Ils allaient au combat avec femmes et enfants. Leurs camps regorgeaient de mulâtresses. On n'avait pas encore assez d'imbéciles pour tenter de les persuader qu'en ne s'attachant qu'aux blancs de préférence, elles «amélioraient la race» comme cela s’est produit plus tard surtout dans la capitale et les villes cotieres.

On sait qu'il y avait d'autres formes de résistance a l'esclavage: suicides, empoisonnements (cas de Makendal) et, s’agissant des femmes, l’avortement.

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