TIRE DE HAITI EN MARCHE
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TIRE DE HAITI EN MARCHE
Un Haïtien dans la guérilla du Che
Le samedi 25 avril 2009 un vibrant hommage a été rendu par l’Ambassade d’Haïti à Cuba et la municipalité de Artemisa à la mémoire du médecin
haïtien Adrien Sansaricq, mort en Haïti le 14 avril 1969 dans la lutte contre la tyrannie de Duvalier. Au cours d’une cérémonie spéciale, un buste a été
dévoilé dans la salle principale de la polyclinique « Adrien Sansaricq » qu’avait dirigé ce médecin. Adrien Sansaricq fut aussi un combattant internationaliste.
En 1965 il accompagna Che Guevara au Congo dans le cadre de la préparation d’un mouvement de guerrilla dans ce pays.
Par Jorge Berenguer Cala
Adrien Sansaricq Laforest arriva à Cuba attiré par la
Révolution, qui avait triomphé en 1959; il partit pour le Congo
avec le commandant Ernesto Che Guevara et mourut dans son
pays natal, Haïti, dans la lutte contre le dictateur François
Duvalier.
études de médecine, ce qu’il fit sans rencontrer
de grandes difficultés. Ce n’était pas uniquement
aux études qu’il voulait se consacrer; si tel avait
été le cas, il lui aurait été plus facile d’étudier en
France ou au Mexique (A). Tout au contraire
Adrien représentait en ces moments le jeune
révolutionnaire en accord avec un processus
politique qui lui paraissait prometteur et réel. On
le vit se joindre aux autres étudiants
universitaires qui se mobilisaient pour combattre
l’impérialisme nord-américain durant les journées
de la Crise d’octobre; euphorique, en leur
compagnie dans un camion chargé, il entonnait
l’hymne Le Drapeau Rouge, comme se le
rappellent quelques uns de ses compagnons.
Une fois diplômé en médecine, il n’était
pas astreint à accomplir le service social en milieu
rural, comme ses collègues cubains. Mais il
exigea de pouvoir aller là où il le fallait et il fut
envoyé dans la Sierra Maestra, du côté de
Perseverancia et de Santo Domingo, pour
soigner les paysans. Étant donné les conditions
sociales et les violentes séquelles qu’avait
laissées la guerre contre le tyran Fulgencio
Batista, certains habitants des lieux avaient
coutume de résoudre leurs problèmes de façon
tout aussi violente, et c’est ainsi qu’à cause de
différends entre eux et le médecin en poste
antérieurement ils avaient mis le feu à ce qui faisait
office de clinique. L’occupant, qui heureusement ne s’y
trouvait pas, dut partir précipitamment. Pour parvenir à l’endroit
en question, à cette époque, il était nécessaire de traverser
des rivières en crue, des chemins impraticables. Le transport
par excellence, pour ne pas dire l’unique, se faisait à dos de
mulets qui transportaient les produits de et vers cette région
montagneuse.
Adrien partit pour la Sierra Maestra, fit les
consultations sous un arbre ou ailleurs, suivant le cas; il gagna
l’amitié et le respect de ces farouches paysans, autrefois si
chatouilleux. Pendant une année il remplit sa tâche de médecin
dans ces difficiles conditions.
Nous ne pouvons affirmer s’il fut membre ou non du
Comité central du Parti communiste haïtien, mais nous pouvons
certifier qu’en 1965 il était militant du Parti communiste cubain,
c’est-à-dire l’un des premiers, car c’est en cette année-là que
fut constitué le Comité central du Parti.
Ceux qui ont connu Adrien Sansaricq Laforest le
décrivent comme quelqu’un de grande taille, mince mais fort;
il avait le teint clair mais on voyait bien qu’il était métis; c’était
un homme très serein, peu bavard, qui réfléchissait à ce qu’il
allait dire et s’exprimait ensuite avec fermeté. Sa personnalité
se manifestait d’elle-même, par son comportement, sa modestie,
ses rapports respectueux et raffinés; il était capable d’aborder
les sujets les plus variés, d’apprécier la musique et de bavarder
avec ses amis qui n’étaient pas nombreux. Il imposait le respect
par son caractère affable qui établissait les limites.
En 1965 le commandant Ernesto Che Guevara arriva
au Congo avec un groupe de guérilleros et l’idée de former
une armée révolutionnaire avec les Simbas et d’autres ethnies
de la région. Tatu, qui signifie trois en swahili, fut le nom de
guerre qu’il adopta. Les noms étaient donnés suivant l’ordre
d’arrivée et bien qu’il fût parmi les premiers, il réserva les deux
nombres antérieurs pour ses compagnons Víctor Dreque et
José M. Martínez qui l’accompagnaient.
À ce groupe révolutionnaire se joignait Adrien au
mois de septembre, approximativement cinq mois après l’arrivée
du Che. Son incorporation était principalement due à sa qualité
de médecin, tâche qu’il alternait avec celle de traducteur grâce
à ses connaissances du français.
Le lac Tanganika est frontalier de plusieurs pays
africains. Pour arriver au Congo par la voie qu’empruntèrent
les guérilleros, il était nécessaire de parcourir d’abord de
grandes distances par terre en Tanzanie et d’atteindre ensuite
l’important port de Kigoma, à partir duquel ils s’embarquèrent
pour traverser sur une distance d’environ 70 kilomètres
l’immense étendue d’eau, voyageant presque toujours de nuit
pour tromper la vigilance de l’ennemi, et risquant en maintes
fois de faire naufrage, étant donné la fragilité des embarcations
et des eaux agitées du lac.
Avant d’arriver à Kigoma, en territoire tanzanien, il
existe un village appelé Kasulu, et sur l’autre rive, au Congo, il
en existe un autre du même nom. Ce fut le nom de guerre
assigné par le Che à Adrien Sansaricq: Kasulu dans la guérilla.
Au début on avait utilisé les chiffres par ordre d’arrivée, mais
par la suite on prit des noms de localités comme dans le cas de
Fizi, le médecin Diego Lagomasino qui allait aussi prendre part
aux événements et qui nous a relaté ces détails.
Il est fort probable que l’utilisation de noms de
villages était influencée par une telle pratique dans la Sierra
Maestra, bien que là ce fut la provenance des combattants qui
était prise en considération.
Quelques mois auparavant, arrivé au terme de son
affectation dans la Sierra Maestra, Sansaricq avait été remplacé
par un autre jeune médecin. Ils étaient restés ensemble pendant
une semaine et s’étaient séparé avec une forte et fraternelle
accolade, de sorte que la surprise fut d’autant plus grande de
part et d’autre quand, à la base de la guérilla en Afrique, ce fut
précisément ce médecin, Rafael Zerquera Palacios, Kumi, de
son pseudonyme en swahili, qui reçut Adrien et qui allait
devenir un de ses meilleurs amis.
proche d’une haute montagne,
en territoire congolais, fut
établie une base de la guérilla
en un lieu connu sous le nom
de Kibamba. Là et à la base
principale, distante de
plusieurs kilomètres, dans les
montagnes couvertes de
forêts, Sansaricq allait remplir
ses fonctions de médecin et de
traducteur de français.
À la fin du mois de
novembre la situation se
compliqua sur le théâtre
africain à la suite des accords
de l’OUA concernant la nonintervention
dans les affaires
internes des pays africains. La
Tanzanie demandait le retrait
des internationalistes cubains
et à cela s’ajoutait la
disposition prise par les
Congolais de cesser la lutte. Le
groupe révolutionnaire revint à
Cuba. Les précurseurs de la
lutte révolutionnaire
n’échouent pas, ils sèment; la
récolte se fera postérieurement
même si nous n’en connaissons
pas le moment.
La décennie des
années soixante du XX siècle
fut particulièrement tragique
pour le peuple haïtien. Dès
l’arrivée au pouvoir en 1957 du dictateur François Duvalier, sa
tyrannie saigna à blanc la vie d’hommes et de femmes honnêtes
: les vagues d’assassinats, emprisonnements, tortures et
persécutions furent une constante des quatorze années de
Papa Doc. Dès le début tout ce qui pouvait ressembler à
l’opposition fut cruellement réprimé. Ainsi la famille d’Adrien
Sansaricq fut anéantie dans sa presque totalité.
zaïroise avait raffermi et préparé Sansaricq pour
le but que comme révolutionnaire il s’était fixé.
Au cours de son court séjour en Afrique en
compagnie du Che, il fit montre de qualités
exceptionnelles et l’on peut dire qu’il gagna
l’estime d’un homme aussi exigeant que l’était
Ernesto Guevara qui, lui, faisant une évaluation
des événements, s’exprimait ainsi : (p.222)
Je voudrais laisser ici les noms de ces
compagnons sur lesquels j’ai toujours senti que
je pouvais m’appuyer, en raison de leur
personnalité, de leur foi en la Révolution et de la
décision de faire leur devoir quoi qu’il arrivât.
Certains d’entre eux, à la dernière minute, avaient
eux aussi faibli, mais nous oublierons cette minute
finale, car cette faiblesse concernait leur foi, non
leur décision de se sacrifier. Il y eut certainement
d’autres camarades dans cette catégorie mais
n’ayant pas eu de rapports très proches avec
eux, je ne peux pas le certifier. C’est une liste
incomplète, personnelle, très influencée par des
facteurs subjectifs; que ceux qui n’y figurent pas
et pensent qu’ils étaient de la même catégorie ne
m’en veuillent pas : Moja, Mbili, Pombo, Azi,
Mafu, Tunaime, Ishirini, Tiza, Alau, Aziri, Agane,
Hukumu, Ami, Amia, Singida, Alaziri, Semori,
Amnane, Angalla, Bodolo, les médecins Kumi,
Fizi, Morogoro et Kasulu … (1)
journal : « (…) un médecin haïtien, Kasulu, qui nous fut d’une
grande utilité (sans vouloir discréditer sa science, il nous fut
plus utile pour sa maîtrise du français que pour ses
connaissances médicales) .»
Avec la ferme volonté de continuer la lutte partout
où ce serait nécessaire, Adrien revint d’Afrique. Il ne resta
que peu de mois à La Havane où il se maria et, vers le mois de
mai il disparut.
La dernière fois qu’il rendit visite au docteur
Zerquera, Kumi, il ne fit mention d’aucun plan, mais l’intuition
de l’ami médecin lui fit comprendre que ce n’était point là une
visite quelconque; il avait habité dans cette maison, il n’y
avait pas si longtemps, pendant un mois, et Zerquera le
connaissait bien. Sans doute est-ce pourquoi il n’y eut pas de
troisième accolade qui, outre l’émotion, l’aurait trahi. Tout
simplement il disparut et s’en alla remplir son devoir. En 1968 il
retourna dans sa patrie.
Nous ignorons les détails des événements en Haïti.
Cela va de soi que Sansariq s’y joignit à d’autres
révolutionnaires pour organiser la lutte. Un jour où étaient
réunis les dirigeants du Parti communiste haïtien dans la
clandestinité, dans un lieu secret non loin de Pétionville, ils
furent dénoncés par un traître qui, jusqu’à ce moment-là,
occupait le poste de responsable de la Commission militaire
du Parti. Cet individu, du nom de Frank Essalem, avait
évidemment été recruté par un appareil de renseignements
beaucoup plus puissant que les services secrets de Duvalier.
Une fois réactivé le Parti communiste haïtien, ses
membres avaient effectué des actions politiques et militaires
d’une certaine importance, mais le groupe révolutionnaire fut
contrôlé par un agent qui connaissait très bien l’organisation
et les mouvements de ses principaux dirigeants. L’information
concernant la tenue de cette réunion, qui était connue et jusqu’à
un certain point coordonnée par Frank Essalem, fut transmise
aux tontons macoutes. Ces derniers encerclèrent la maison et
ordonnèrent à ses occupants de se rendre. Se rendre signifiait
la torture et finalement la mort. Ils décidèrent de combattre.
Les soldats de Duvalier disposaient de bonnes armes, dont
un char de guerre qui bombarda l’endroit.
Les révolutionnaires encerclés tombèrent au cours
de cet affrontement inégal qui dura des heures. Parmi eux se
trouvait un jeune frère d’Adrien, nommé Daniel, qui s’était
préparé en République dominicaine et s’était joint au reste du
groupe pour mener la lutte en Haïti. Adrien parvint à sortir de
la maison mais il fut intercepté alors qu’il se dirigeait vers Portau-
Prince et fut tué.
Quelque temps après ses compagnons de l’Université
de La Havane, ses patients de La Sierra Maestra et les
combattants de la guérilla en Afrique apprirent qu’il était tombé
en combattant. Il fut un lien entre l’Afrique, Haïti et Cuba, un
cri de combat contre l’oubli (2).
Notes: Ernesto Che Guevara, Pasajes de la guerra
revolucionaria. Congo, Madrid, Editorial Grijalbo-
Mondadori. (Pour l’édition française : Passages de la guerre
révolutionnaire : le Congo, Paris, Éditions Métailié, sept.
2000.) NdlT Pour ces notes nous avons conversé avec les
personnes suivantes : Rafael Zerquera Palacios, Kumi; Diego
Lagomasino Comesana, Fizi; Héctor Vera Acosta, Hindi;
Arquímedes Martínez, Agano, tous les quatre médecins dans
la guérilla; Carlos Miyares Rodríguez, médecin militaire
retraité qui connut Adrien étudiant; Humbert Dorval,
diplomate et dirigeant du PCH; Narcizo Isa Conde, secrétaire
du Parti Fuerza de la Revolución en Rép. Dominicaine.
(A) Adrien avait dû rester, lors de cette visite, à Cuba
où il compléta ses études en médecine commencées au
Mexique depuis son départ d’Haïti en 1957. NdlT.
Le samedi 25 avril 2009 un vibrant hommage a été rendu par l’Ambassade d’Haïti à Cuba et la municipalité de Artemisa à la mémoire du médecin
haïtien Adrien Sansaricq, mort en Haïti le 14 avril 1969 dans la lutte contre la tyrannie de Duvalier. Au cours d’une cérémonie spéciale, un buste a été
dévoilé dans la salle principale de la polyclinique « Adrien Sansaricq » qu’avait dirigé ce médecin. Adrien Sansaricq fut aussi un combattant internationaliste.
En 1965 il accompagna Che Guevara au Congo dans le cadre de la préparation d’un mouvement de guerrilla dans ce pays.
Par Jorge Berenguer Cala
Adrien Sansaricq Laforest arriva à Cuba attiré par la
Révolution, qui avait triomphé en 1959; il partit pour le Congo
avec le commandant Ernesto Che Guevara et mourut dans son
pays natal, Haïti, dans la lutte contre le dictateur François
Duvalier.
études de médecine, ce qu’il fit sans rencontrer
de grandes difficultés. Ce n’était pas uniquement
aux études qu’il voulait se consacrer; si tel avait
été le cas, il lui aurait été plus facile d’étudier en
France ou au Mexique (A). Tout au contraire
Adrien représentait en ces moments le jeune
révolutionnaire en accord avec un processus
politique qui lui paraissait prometteur et réel. On
le vit se joindre aux autres étudiants
universitaires qui se mobilisaient pour combattre
l’impérialisme nord-américain durant les journées
de la Crise d’octobre; euphorique, en leur
compagnie dans un camion chargé, il entonnait
l’hymne Le Drapeau Rouge, comme se le
rappellent quelques uns de ses compagnons.
Une fois diplômé en médecine, il n’était
pas astreint à accomplir le service social en milieu
rural, comme ses collègues cubains. Mais il
exigea de pouvoir aller là où il le fallait et il fut
envoyé dans la Sierra Maestra, du côté de
Perseverancia et de Santo Domingo, pour
soigner les paysans. Étant donné les conditions
sociales et les violentes séquelles qu’avait
laissées la guerre contre le tyran Fulgencio
Batista, certains habitants des lieux avaient
coutume de résoudre leurs problèmes de façon
tout aussi violente, et c’est ainsi qu’à cause de
différends entre eux et le médecin en poste
antérieurement ils avaient mis le feu à ce qui faisait
office de clinique. L’occupant, qui heureusement ne s’y
trouvait pas, dut partir précipitamment. Pour parvenir à l’endroit
en question, à cette époque, il était nécessaire de traverser
des rivières en crue, des chemins impraticables. Le transport
par excellence, pour ne pas dire l’unique, se faisait à dos de
mulets qui transportaient les produits de et vers cette région
montagneuse.
Adrien partit pour la Sierra Maestra, fit les
consultations sous un arbre ou ailleurs, suivant le cas; il gagna
l’amitié et le respect de ces farouches paysans, autrefois si
chatouilleux. Pendant une année il remplit sa tâche de médecin
dans ces difficiles conditions.
Nous ne pouvons affirmer s’il fut membre ou non du
Comité central du Parti communiste haïtien, mais nous pouvons
certifier qu’en 1965 il était militant du Parti communiste cubain,
c’est-à-dire l’un des premiers, car c’est en cette année-là que
fut constitué le Comité central du Parti.
Ceux qui ont connu Adrien Sansaricq Laforest le
décrivent comme quelqu’un de grande taille, mince mais fort;
il avait le teint clair mais on voyait bien qu’il était métis; c’était
un homme très serein, peu bavard, qui réfléchissait à ce qu’il
allait dire et s’exprimait ensuite avec fermeté. Sa personnalité
se manifestait d’elle-même, par son comportement, sa modestie,
ses rapports respectueux et raffinés; il était capable d’aborder
les sujets les plus variés, d’apprécier la musique et de bavarder
avec ses amis qui n’étaient pas nombreux. Il imposait le respect
par son caractère affable qui établissait les limites.
En 1965 le commandant Ernesto Che Guevara arriva
au Congo avec un groupe de guérilleros et l’idée de former
une armée révolutionnaire avec les Simbas et d’autres ethnies
de la région. Tatu, qui signifie trois en swahili, fut le nom de
guerre qu’il adopta. Les noms étaient donnés suivant l’ordre
d’arrivée et bien qu’il fût parmi les premiers, il réserva les deux
nombres antérieurs pour ses compagnons Víctor Dreque et
José M. Martínez qui l’accompagnaient.
À ce groupe révolutionnaire se joignait Adrien au
mois de septembre, approximativement cinq mois après l’arrivée
du Che. Son incorporation était principalement due à sa qualité
de médecin, tâche qu’il alternait avec celle de traducteur grâce
à ses connaissances du français.
Le lac Tanganika est frontalier de plusieurs pays
africains. Pour arriver au Congo par la voie qu’empruntèrent
les guérilleros, il était nécessaire de parcourir d’abord de
grandes distances par terre en Tanzanie et d’atteindre ensuite
l’important port de Kigoma, à partir duquel ils s’embarquèrent
pour traverser sur une distance d’environ 70 kilomètres
l’immense étendue d’eau, voyageant presque toujours de nuit
pour tromper la vigilance de l’ennemi, et risquant en maintes
fois de faire naufrage, étant donné la fragilité des embarcations
et des eaux agitées du lac.
Avant d’arriver à Kigoma, en territoire tanzanien, il
existe un village appelé Kasulu, et sur l’autre rive, au Congo, il
en existe un autre du même nom. Ce fut le nom de guerre
assigné par le Che à Adrien Sansaricq: Kasulu dans la guérilla.
Au début on avait utilisé les chiffres par ordre d’arrivée, mais
par la suite on prit des noms de localités comme dans le cas de
Fizi, le médecin Diego Lagomasino qui allait aussi prendre part
aux événements et qui nous a relaté ces détails.
Il est fort probable que l’utilisation de noms de
villages était influencée par une telle pratique dans la Sierra
Maestra, bien que là ce fut la provenance des combattants qui
était prise en considération.
Quelques mois auparavant, arrivé au terme de son
affectation dans la Sierra Maestra, Sansaricq avait été remplacé
par un autre jeune médecin. Ils étaient restés ensemble pendant
une semaine et s’étaient séparé avec une forte et fraternelle
accolade, de sorte que la surprise fut d’autant plus grande de
part et d’autre quand, à la base de la guérilla en Afrique, ce fut
précisément ce médecin, Rafael Zerquera Palacios, Kumi, de
son pseudonyme en swahili, qui reçut Adrien et qui allait
devenir un de ses meilleurs amis.
proche d’une haute montagne,
en territoire congolais, fut
établie une base de la guérilla
en un lieu connu sous le nom
de Kibamba. Là et à la base
principale, distante de
plusieurs kilomètres, dans les
montagnes couvertes de
forêts, Sansaricq allait remplir
ses fonctions de médecin et de
traducteur de français.
À la fin du mois de
novembre la situation se
compliqua sur le théâtre
africain à la suite des accords
de l’OUA concernant la nonintervention
dans les affaires
internes des pays africains. La
Tanzanie demandait le retrait
des internationalistes cubains
et à cela s’ajoutait la
disposition prise par les
Congolais de cesser la lutte. Le
groupe révolutionnaire revint à
Cuba. Les précurseurs de la
lutte révolutionnaire
n’échouent pas, ils sèment; la
récolte se fera postérieurement
même si nous n’en connaissons
pas le moment.
La décennie des
années soixante du XX siècle
fut particulièrement tragique
pour le peuple haïtien. Dès
l’arrivée au pouvoir en 1957 du dictateur François Duvalier, sa
tyrannie saigna à blanc la vie d’hommes et de femmes honnêtes
: les vagues d’assassinats, emprisonnements, tortures et
persécutions furent une constante des quatorze années de
Papa Doc. Dès le début tout ce qui pouvait ressembler à
l’opposition fut cruellement réprimé. Ainsi la famille d’Adrien
Sansaricq fut anéantie dans sa presque totalité.
zaïroise avait raffermi et préparé Sansaricq pour
le but que comme révolutionnaire il s’était fixé.
Au cours de son court séjour en Afrique en
compagnie du Che, il fit montre de qualités
exceptionnelles et l’on peut dire qu’il gagna
l’estime d’un homme aussi exigeant que l’était
Ernesto Guevara qui, lui, faisant une évaluation
des événements, s’exprimait ainsi : (p.222)
Je voudrais laisser ici les noms de ces
compagnons sur lesquels j’ai toujours senti que
je pouvais m’appuyer, en raison de leur
personnalité, de leur foi en la Révolution et de la
décision de faire leur devoir quoi qu’il arrivât.
Certains d’entre eux, à la dernière minute, avaient
eux aussi faibli, mais nous oublierons cette minute
finale, car cette faiblesse concernait leur foi, non
leur décision de se sacrifier. Il y eut certainement
d’autres camarades dans cette catégorie mais
n’ayant pas eu de rapports très proches avec
eux, je ne peux pas le certifier. C’est une liste
incomplète, personnelle, très influencée par des
facteurs subjectifs; que ceux qui n’y figurent pas
et pensent qu’ils étaient de la même catégorie ne
m’en veuillent pas : Moja, Mbili, Pombo, Azi,
Mafu, Tunaime, Ishirini, Tiza, Alau, Aziri, Agane,
Hukumu, Ami, Amia, Singida, Alaziri, Semori,
Amnane, Angalla, Bodolo, les médecins Kumi,
Fizi, Morogoro et Kasulu … (1)
journal : « (…) un médecin haïtien, Kasulu, qui nous fut d’une
grande utilité (sans vouloir discréditer sa science, il nous fut
plus utile pour sa maîtrise du français que pour ses
connaissances médicales) .»
Avec la ferme volonté de continuer la lutte partout
où ce serait nécessaire, Adrien revint d’Afrique. Il ne resta
que peu de mois à La Havane où il se maria et, vers le mois de
mai il disparut.
La dernière fois qu’il rendit visite au docteur
Zerquera, Kumi, il ne fit mention d’aucun plan, mais l’intuition
de l’ami médecin lui fit comprendre que ce n’était point là une
visite quelconque; il avait habité dans cette maison, il n’y
avait pas si longtemps, pendant un mois, et Zerquera le
connaissait bien. Sans doute est-ce pourquoi il n’y eut pas de
troisième accolade qui, outre l’émotion, l’aurait trahi. Tout
simplement il disparut et s’en alla remplir son devoir. En 1968 il
retourna dans sa patrie.
Nous ignorons les détails des événements en Haïti.
Cela va de soi que Sansariq s’y joignit à d’autres
révolutionnaires pour organiser la lutte. Un jour où étaient
réunis les dirigeants du Parti communiste haïtien dans la
clandestinité, dans un lieu secret non loin de Pétionville, ils
furent dénoncés par un traître qui, jusqu’à ce moment-là,
occupait le poste de responsable de la Commission militaire
du Parti. Cet individu, du nom de Frank Essalem, avait
évidemment été recruté par un appareil de renseignements
beaucoup plus puissant que les services secrets de Duvalier.
Une fois réactivé le Parti communiste haïtien, ses
membres avaient effectué des actions politiques et militaires
d’une certaine importance, mais le groupe révolutionnaire fut
contrôlé par un agent qui connaissait très bien l’organisation
et les mouvements de ses principaux dirigeants. L’information
concernant la tenue de cette réunion, qui était connue et jusqu’à
un certain point coordonnée par Frank Essalem, fut transmise
aux tontons macoutes. Ces derniers encerclèrent la maison et
ordonnèrent à ses occupants de se rendre. Se rendre signifiait
la torture et finalement la mort. Ils décidèrent de combattre.
Les soldats de Duvalier disposaient de bonnes armes, dont
un char de guerre qui bombarda l’endroit.
Les révolutionnaires encerclés tombèrent au cours
de cet affrontement inégal qui dura des heures. Parmi eux se
trouvait un jeune frère d’Adrien, nommé Daniel, qui s’était
préparé en République dominicaine et s’était joint au reste du
groupe pour mener la lutte en Haïti. Adrien parvint à sortir de
la maison mais il fut intercepté alors qu’il se dirigeait vers Portau-
Prince et fut tué.
Quelque temps après ses compagnons de l’Université
de La Havane, ses patients de La Sierra Maestra et les
combattants de la guérilla en Afrique apprirent qu’il était tombé
en combattant. Il fut un lien entre l’Afrique, Haïti et Cuba, un
cri de combat contre l’oubli (2).
Notes: Ernesto Che Guevara, Pasajes de la guerra
revolucionaria. Congo, Madrid, Editorial Grijalbo-
Mondadori. (Pour l’édition française : Passages de la guerre
révolutionnaire : le Congo, Paris, Éditions Métailié, sept.
2000.) NdlT Pour ces notes nous avons conversé avec les
personnes suivantes : Rafael Zerquera Palacios, Kumi; Diego
Lagomasino Comesana, Fizi; Héctor Vera Acosta, Hindi;
Arquímedes Martínez, Agano, tous les quatre médecins dans
la guérilla; Carlos Miyares Rodríguez, médecin militaire
retraité qui connut Adrien étudiant; Humbert Dorval,
diplomate et dirigeant du PCH; Narcizo Isa Conde, secrétaire
du Parti Fuerza de la Revolución en Rép. Dominicaine.
(A) Adrien avait dû rester, lors de cette visite, à Cuba
où il compléta ses études en médecine commencées au
Mexique depuis son départ d’Haïti en 1957. NdlT.
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