Mars mois de la Femme - Le thème 2010 : " Un siècle de féminisme "
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Mars mois de la Femme - Le thème 2010 : " Un siècle de féminisme "
La femme est à l'honneur en ce mois de Mars et on ne peut que s’en réjouir. Pour commémorer le mois de la femme sur ForumHaiti, il est temps de prendre un peu de recul, prendre une respiration afin de réfléchir pour rendre hommage à la femme haitienne, à notre maman, à notre sœur et à notre femme, enfin à une femme qui occupe une place de choix dans votre coeur. Aussi le thème 2010, "un siècle de féminisme".
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Comme toi, il n'en est qu'un, deviens donc qui tu es.
"Ceux qui ont le pouvoir de faire le mal et qui savent ne pas le faire sont des Seigneurs" (Shakespeare)
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Opinion politique : La séparation des pouvoirs
Loisirs : Lecture, Dormir
Date d'inscription : 20/08/2006
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Le Féminisme selon l'encyclopédie UNIVERSALIS
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FEMME - Le féminisme des années 1970 dans l’édition et la littérature
On peut dater de l’année 1970 une transformation irréversible du rapport des femmes à la littérature. Jusqu’alors l’opinion commune considérait les femmes artistes comme des exceptions. On s’intéressait parfois aux « images de la femme » dans l’histoire des textes littéraires, mais on ignorait presque totalement la pratique des femmes écrivains. Femme image ou reflet d’un désir masculin, voilà ce que le féminisme de la seconde moitié du XXe siècle aura violemment contesté, sous une forme ou sous une autre, au moment même où, dans un système économico-politique qu’il faudrait qualifier plutôt à présent d’« antisexuel » que de « mâle », les médias, la publicité, l’organisation du travail et de la production mettent plus que jamais peut-être en circulation l’objet d’échange et de commerce « femme ». Si bien que l’on se trouve devant le paradoxe suivant : on ne peut parler correctement des textes féminins sans prendre pour point de départ le nouveau féminisme, alors qu’il n’est pas sûr que ce dernier ne soit pas lui-même rapidement devenu l’objet d’un commerce particulièrement lucratif (réel ou symbolique), notamment dans l’édition.
Vers 1970, le nouveau mouvement féministe, né principalement aux États-Unis (au Women’s Rights Movement réformiste des années soixante succède en 1968 le Women’s Liberation Movement, beaucoup plus radical), n’expose plus seulement, comme les rassemblements précédents, des objectifs de lutte contre l’inégalité des sexes, mais s’efforce aussi d’affirmer et de représenter la « différence féminine », différence, disent les féministes, de sexualité, de perception du corps, d’expérience et de langage , si bien que la question culturelle se trouve d’emblée au centre du mouvement. Le nouveau féminisme produit ses propres écrivains et ses propres artistes, dont l’art se définit en fonction d’un a priori féministe, comme Kate Millett ou Adrienne Rich, aux États-Unis, Monique Wittig, Xavière Gauthier ou Hélène Cixous, en France. Il affirme par ailleurs la nécessité de réévaluer les pratiques féminines, traditionnellement mineures : journaux intimes, broderies, couture, cuisine, etc. Le mouvement réactualise enfin les grandes œuvres féminines et en permet une relecture qui prenne en compte le point de vue spécifique d’après lequel elles ont été réalisées : c’est le cas, par exemple, de l’œuvre de Virginia Woolf, ou même, dans une certaine mesure, en France, de celle de Gertrude Stein. Le « féminin » dans la culture n’apparaît ainsi plus seulement comme une fonction négative mais aussi comme un élément dynamique, voire novateur.
1. L’édition féministe
Parmi les causes (entrée massive des femmes dans le monde du travail, débats publics et lois nouvelles sur l’avortement, la contraception, l’égalité des droits civiques et sociaux, etc.) qui ont fait de la question féminine un sujet d’actualité de grande ampleur, l’apparition d’une « édition féministe », consacrée exclusivement aux interventions des femmes, est loin d’être négligeable. Cette édition féministe rend en effet possible un regroupement de textes féminins, crée un foisonnement extrêmement important et ressuscite certaines œuvres (par exemple, des romans américains du XIXe siècle tels que The Awakening , de Kate Chopin, ou Ethan Frome , d’Edith Wharton ; en Italie, Una donna , de Sibilla Alleramo, etc.). Elle a enfin incité les maisons d’édition traditionnelles à ouvrir à leur tour des collections réservées aux femmes. Il en a résulté depuis 1974 environ une prolifération tout à fait extraordinaire de textes écrits ou prononcés par des femmes, dans des domaines aussi différents que l’ethnologie ou la poésie, le témoignage ou le pamphlet, etc.
Issue du mouvement féministe, cette édition révèle la réussite des femmes à se faire entendre. Cela commence aux États-Unis : aux innombrables pamphlets des premières années du Women’s Lib succèdent vers 1969 les journaux, remplacés ou secondés vers 1972 par les revues, les magazines, etc., puis pris en charge vers 1973 par les maisons d’édition, avec les livres, dont la publication devient de plus en plus large. La présentation, la mise en pages, les contenus des journaux initiaux (It Ain’t Me Babe , Of Our Backs , Every Woman ...) indiquaient déjà l’orientation principale des publications féministes futures : plus que de littérature, ou même de journalisme, il s’agit de prises de parole et de témoignages.
En France, les options sont parfois différentes, ou même hostiles au féminisme américain. C’est ainsi que les éditions Des femmes ont refusé le terme de « féminisme » comme sujet à des emplois suspects ou trop limités et ont créé, à partir du groupe Psychanalyse et politique, ce qu’elles appellent le Mouvement des femmes. On retrouve néanmoins dans l’édition française les grands traits de l’édition féministe américaine. Des titres comme Dire nos sexualités (Xavière Gauthier), Parole de femme (Annie Leclerc), L cause (titre d’une revue), La Ventriloque (Claude Pujade-Renaud), Les Mots pour le dire (Marie Cardinal), Les Parleuses (Xavière Gauthier et Marguerite Duras), Les Doigts du figuier , Parole (Jeanne Hyvrard), etc., indiquent assez comment, pour les femmes françaises aussi, la première fonction de l’écriture est de permettre la communication, l’explosion d’une parole enfin libérée du silence ou d’un « bavardage » rendu à ses droits. L’accent est mis sur les caractères « spontané », « direct », prosaïque, ordinaire de cette parole : les femmes écrivent pour parler, simplement, à la première personne, entre elles ou pour se faire entendre d’un destinataire absent. Leurs écrits sont des confessions, proches en cela des journaux intimes qu’elles tenaient avant que n’existe une édition féministe (et qui accèdent parfois eux-mêmes à la publication, tel ce recueil américain d’extraits de diaries of women édité par Mary Jane Moffat et Charlotte Painter). La répétition, de livre en livre, de témoignages et d’expériences identiques, presque interchangeables, l’importance du facteur quantitatif, l’accent mis sur l’expérience quotidienne (dans le film de Chantal Akerman, Jeanne Dielman , le spectateur assiste de bout en bout aux activités ménagères de Jeanne), la dominante « gynécologique » (récits de grossesses, d’avortements, etc.) sont autant d’éléments qui contribuent à créer une sorte d’« effet de foule », d’un genre très nouveau. L’édition féministe nous montre, en effet, ce que nous n’avions jamais vu ; ces « couloirs obscurs de l’histoire » aurait dit Virginia Woolf, où une foule, constituée non plus d’hommes au travail mais de femmes, s’occupe à traiter, dans l’anonymat, les problèmes individuels ou familiaux de la vie quotidienne. Il arrive que ces récits consolident la tradition, comme L’histoire est un tricot , d’Annie Leclerc, mais ils parviennent aussi parfois, plus positivement, à interroger cette « identité anonyme » des femmes à laquelle sont consacrées depuis longtemps les grandes œuvres féminines. Certains de ces textes nés du nouveau féminisme présentent néanmoins le danger de la confusion de l’oral et de l’écrit, de l’usage non critique d’une « langue de femme » (mais une telle langue est-elle possible ?) et du recours, d’un narcissisme souvent naïf, à un « je » qui semble signifier une adéquation parfaite du sujet à lui-même.
2. Contre-culture
Les premiers livres publiés ont été pour la plupart, en particulier aux États-Unis, des ouvrages théoriques, le mouvement féministe étant d’abord un rassemblement politique et idéologique. Qu’il s’agisse de rééditions des grands classiques de l’analyse féministe (essentiellement, Le Deuxième Sexe , de Simone de Beauvoir, The Feminine Mystique [La Femme mystifiée ], de Betty Friedan, ou encore, sur un autre plan, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État , de Engels) ou d’études nouvelles dont la réputation a grandi très vite (Sexual Politics [La Politique du mâle ], de Kate Millett ; The Dialectic of Sex [La Dialectique du sexe], de Shulamith Firestone ; The Female Eunuch [La Femme eunuque ], de Germaine Greer ; et aussi en Angleterre, Psychoanalysis and Feminism [Psychanalyse et féminisme ], de Juliet Mitchell ; en Italie, Dalla Parte delle Bambine [Du côté des petites filles ], d’Elena Gianini Belotti, etc.), ou encore d’anthologies regroupant des interventions variées de femmes (par exemple, le recueil américain de Robin Morgan, Sisterhood Is Powerful ) et révélant par là, de manière tangible, l’existence du « mouvement » comme tel (cf. en France, des numéros spéciaux de revues republiés en livres comme Les femmes s’entêtent ou des recueils de textes étrangers comme Écrits , Voix d’Italie ), ces textes doivent nous être présents à l’esprit, si nous voulons être en mesure de lire dans leur histoire les fictions féministes qu’ils ont précédées. Malgré des différences sensibles d’analyse ou d’option, ils finissent tous par constituer une contre-culture.
La phrase célèbre écrite par Simone de Beauvoir dès 1949 dans Le Deuxième Sexe : « On ne naît pas femme, on le devient » indique sans doute le point central de toute théorie féministe. Le livre d’Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles , analysant les conditions répressives de l’éducation des filles, va dans le même sens. De là découlent, schématiquement, deux tendances de l’analyse féministe : d’une part, celle qui accorde aux phénomènes socio-historiques la première place et demande, comme le déclaraient en novembre 1977 les femmes de la revue Questions féministes , le droit pour les femmes aussi « au neutre [à la définition non sexuée], au général » ; et, d’autre part, celle, dominante au moins sur le plan des publications, qui, tout en tenant compte constamment de l’histoire de l’oppression des femmes, met en avant dans une thématique de la différence quelque chose qui serait comme une « nature féminine ». Mais dans tous les cas l’écriture féministe est amenée, de manière plus ou moins principale, à mettre en lumière un aspect de la condition faite aux femmes, et à dénoncer les expériences négatives de viol, d’exclusion ou d’oppression. Celles-ci ne constituent pas, néanmoins, le sujet unique de l’écriture, qui fait aussi écho à une attitude globalement et explicitement théorique du féminisme comme critique et analyse du « patriarcat ». De ce point de vue, le livre de Valerie Solanas, S.C.U.M. Manifesto (Society for Cutting Up Men, c’est-à-dire Société pour la castration des hommes), a marqué en son temps (1968-1971), sous la forme du scandale, l’histoire du mouvement : l’auteur, qui était au même moment en prison pour avoir agressé l’artiste Andy Warhol, proposait pour dénouement d’une fiction délirante où les femmes devenaient les « maîtres du monde » l’assassinat de tous les hommes. Dans la théorie, c’est le patriarcat comme entité politique et idéologique qui est mis en question. Aux États-Unis toujours, des livres comme celui de Kate Millett (La Politique du mâle ) s’attachent à décrire les modes de répression sexuelle et culturelle à l’égard de la femme, tels qu’on peut les repérer dans la littérature « masculine », en analysant les principes d’un « pouvoir mâle ». Les féministes américaines ont encore créé, dans la plupart des universités, des women’s studies , où sont étudiés les schémas littéraires dominants, ainsi que des revues de critique littéraire et culturelle (telle la revue Signs à Chicago). Si, enfin, l’essai-fiction de Virginia Woolf intitulé Trois Guinées (1938) a rencontré un succès tel qu’il a été traduit et publié à nouveau dans la plupart des pays où existe une édition féministe, c’est parce qu’il met violemment en procès un ordre patriarcal qui conduit à la guerre et au fascisme et interdit aux femmes les possibilités matérielles et symboliques d’accéder à la culture.
L’unité des différentes tendances du féminisme réside dans l’affirmation constante de ce point de vue critique, c’est-à-dire différent. À cet égard, l’évolution du mouvement est à peu près partout identique. D’une manière générale, on constate vers 1974 un déplacement des préoccupations sociopolitiques vers des objectifs plutôt culturels ; c’est le cas très nettement en France, avec les éditions Des femmes. L’Italie, où le féminisme demeure assez « violent », fait un peu exception. Dans tous les cas, le phénomène de mondialisation de l’édition féministe aboutit à la constitution d’un nouveau champ culturel construit sur un principe de sororité (sisterhood , sorellanza , etc.) qui fait que tous les grands livres du féminisme, qu’il s’agisse d’essais ou de fictions, sont traduits dans presque toutes les langues.
La revue belge Les Cahiers du G.R.I.F. présente dans un de ses numéros intitulé « Créer » un exposé assez clair de l’analyse féministe de la question culturelle. C’est la notion même de création qui s’y trouve critiquée : « On peut se demander [...] si la hantise de la création [...] ne relève pas de la conception propre de l’Occident industriel, qui consiste à définir l’homme par sa capacité de produire des objets. » Cette condamnation de l’objet – et donc notamment de l’« objet d’art » – est un élément fondamental des réalisations féministes, en particulier dans le domaine de la littérature. Le mot même de littérature apparaît comme suspect, et on lui préfère celui d’écriture, qui met l’accent sur une pratique et semble éloigner le danger fétichiste dénoncé dans la culture dominante. Les textes féministes rechercheront les caractères de l’« éphémère », du « non-art » : inachèvement, refus de la « phrase », et souvent de tout travail de formalisation esthétique, réévaluation de la communication aux dépens du « langage poétique ». Il s’appliqueront surtout à privilégier un rapport direct de l’écriture au corps , comme on peut le voir par exemple dans Le Corps lesbien de Monique Wittig : tout dans ce livre, la présentation, la mise en page, la typographie, semble fait pour produire l’illusion d’une identité absolue du livre et du corps . Par analogie avec la notion de « négritude », Simone de Beauvoir avait posé celle de « féminitude » : elle voulait désigner par là un ensemble de qualités acquises dans l’oppression. C’est bien ainsi qu’il faut envisager la contre-esthétique de l’écriture féministe, et c’est pourquoi on peut aussi parler à son propos de contre-culture. Ce faisant, on prend également en compte un « sous-développement » tendanciel des textes féminins.
Bien que dans un « féminisme » de type américain et un « mouvement » de type français, les axes de l’élaboration théorique soient les mêmes (Marx et Freud, repris et critiqués dans une pensée féministe), les analyses, et leurs conséquences sur les productions littéraires, sont assez radicalement différentes. La tendance américaine impose en effet une théorie principalement négative (critique universitaire du patriarcat) et privilégie les expériences de révolte et d’engagement. Les textes de fiction qui en résultent sont en majorité des poèmes, qui retranscrivent directement un lyrisme oral de revendication ou d’amour (telle l’œuvre d’Adrienne Rich) ou des romans de style classique rapportant des situations d’oppression ou des relations sentimentales (par exemple, Sita , de Kate Millett). Dans l’ensemble, la langue proprement dite n’est pas remise en question, à la différence du mouvement des femmes en France, pour lequel « le rapport au corps et aux images maternelles » reste principal, produisant une réévaluation non seulement des contenus du discours « phallocentriste », mais de la langue elle-même, dans le jeu de ses signifiants et de ses hiatus esthétiques – s’il est vrai que « la fonction maternelle est liée au processus pré-œdipien et, par cela même, à la réalisation esthétique » (Julia Kristeva). C’est dire que le mouvement français est solidaire de la culture contre laquelle il pose une contre-culture qui serait de l’ordre du refoulé.
FEMME - Le féminisme des années 1970 dans l’édition et la littérature
On peut dater de l’année 1970 une transformation irréversible du rapport des femmes à la littérature. Jusqu’alors l’opinion commune considérait les femmes artistes comme des exceptions. On s’intéressait parfois aux « images de la femme » dans l’histoire des textes littéraires, mais on ignorait presque totalement la pratique des femmes écrivains. Femme image ou reflet d’un désir masculin, voilà ce que le féminisme de la seconde moitié du XXe siècle aura violemment contesté, sous une forme ou sous une autre, au moment même où, dans un système économico-politique qu’il faudrait qualifier plutôt à présent d’« antisexuel » que de « mâle », les médias, la publicité, l’organisation du travail et de la production mettent plus que jamais peut-être en circulation l’objet d’échange et de commerce « femme ». Si bien que l’on se trouve devant le paradoxe suivant : on ne peut parler correctement des textes féminins sans prendre pour point de départ le nouveau féminisme, alors qu’il n’est pas sûr que ce dernier ne soit pas lui-même rapidement devenu l’objet d’un commerce particulièrement lucratif (réel ou symbolique), notamment dans l’édition.
Vers 1970, le nouveau mouvement féministe, né principalement aux États-Unis (au Women’s Rights Movement réformiste des années soixante succède en 1968 le Women’s Liberation Movement, beaucoup plus radical), n’expose plus seulement, comme les rassemblements précédents, des objectifs de lutte contre l’inégalité des sexes, mais s’efforce aussi d’affirmer et de représenter la « différence féminine », différence, disent les féministes, de sexualité, de perception du corps, d’expérience et de langage , si bien que la question culturelle se trouve d’emblée au centre du mouvement. Le nouveau féminisme produit ses propres écrivains et ses propres artistes, dont l’art se définit en fonction d’un a priori féministe, comme Kate Millett ou Adrienne Rich, aux États-Unis, Monique Wittig, Xavière Gauthier ou Hélène Cixous, en France. Il affirme par ailleurs la nécessité de réévaluer les pratiques féminines, traditionnellement mineures : journaux intimes, broderies, couture, cuisine, etc. Le mouvement réactualise enfin les grandes œuvres féminines et en permet une relecture qui prenne en compte le point de vue spécifique d’après lequel elles ont été réalisées : c’est le cas, par exemple, de l’œuvre de Virginia Woolf, ou même, dans une certaine mesure, en France, de celle de Gertrude Stein. Le « féminin » dans la culture n’apparaît ainsi plus seulement comme une fonction négative mais aussi comme un élément dynamique, voire novateur.
1. L’édition féministe
Parmi les causes (entrée massive des femmes dans le monde du travail, débats publics et lois nouvelles sur l’avortement, la contraception, l’égalité des droits civiques et sociaux, etc.) qui ont fait de la question féminine un sujet d’actualité de grande ampleur, l’apparition d’une « édition féministe », consacrée exclusivement aux interventions des femmes, est loin d’être négligeable. Cette édition féministe rend en effet possible un regroupement de textes féminins, crée un foisonnement extrêmement important et ressuscite certaines œuvres (par exemple, des romans américains du XIXe siècle tels que The Awakening , de Kate Chopin, ou Ethan Frome , d’Edith Wharton ; en Italie, Una donna , de Sibilla Alleramo, etc.). Elle a enfin incité les maisons d’édition traditionnelles à ouvrir à leur tour des collections réservées aux femmes. Il en a résulté depuis 1974 environ une prolifération tout à fait extraordinaire de textes écrits ou prononcés par des femmes, dans des domaines aussi différents que l’ethnologie ou la poésie, le témoignage ou le pamphlet, etc.
Issue du mouvement féministe, cette édition révèle la réussite des femmes à se faire entendre. Cela commence aux États-Unis : aux innombrables pamphlets des premières années du Women’s Lib succèdent vers 1969 les journaux, remplacés ou secondés vers 1972 par les revues, les magazines, etc., puis pris en charge vers 1973 par les maisons d’édition, avec les livres, dont la publication devient de plus en plus large. La présentation, la mise en pages, les contenus des journaux initiaux (It Ain’t Me Babe , Of Our Backs , Every Woman ...) indiquaient déjà l’orientation principale des publications féministes futures : plus que de littérature, ou même de journalisme, il s’agit de prises de parole et de témoignages.
En France, les options sont parfois différentes, ou même hostiles au féminisme américain. C’est ainsi que les éditions Des femmes ont refusé le terme de « féminisme » comme sujet à des emplois suspects ou trop limités et ont créé, à partir du groupe Psychanalyse et politique, ce qu’elles appellent le Mouvement des femmes. On retrouve néanmoins dans l’édition française les grands traits de l’édition féministe américaine. Des titres comme Dire nos sexualités (Xavière Gauthier), Parole de femme (Annie Leclerc), L cause (titre d’une revue), La Ventriloque (Claude Pujade-Renaud), Les Mots pour le dire (Marie Cardinal), Les Parleuses (Xavière Gauthier et Marguerite Duras), Les Doigts du figuier , Parole (Jeanne Hyvrard), etc., indiquent assez comment, pour les femmes françaises aussi, la première fonction de l’écriture est de permettre la communication, l’explosion d’une parole enfin libérée du silence ou d’un « bavardage » rendu à ses droits. L’accent est mis sur les caractères « spontané », « direct », prosaïque, ordinaire de cette parole : les femmes écrivent pour parler, simplement, à la première personne, entre elles ou pour se faire entendre d’un destinataire absent. Leurs écrits sont des confessions, proches en cela des journaux intimes qu’elles tenaient avant que n’existe une édition féministe (et qui accèdent parfois eux-mêmes à la publication, tel ce recueil américain d’extraits de diaries of women édité par Mary Jane Moffat et Charlotte Painter). La répétition, de livre en livre, de témoignages et d’expériences identiques, presque interchangeables, l’importance du facteur quantitatif, l’accent mis sur l’expérience quotidienne (dans le film de Chantal Akerman, Jeanne Dielman , le spectateur assiste de bout en bout aux activités ménagères de Jeanne), la dominante « gynécologique » (récits de grossesses, d’avortements, etc.) sont autant d’éléments qui contribuent à créer une sorte d’« effet de foule », d’un genre très nouveau. L’édition féministe nous montre, en effet, ce que nous n’avions jamais vu ; ces « couloirs obscurs de l’histoire » aurait dit Virginia Woolf, où une foule, constituée non plus d’hommes au travail mais de femmes, s’occupe à traiter, dans l’anonymat, les problèmes individuels ou familiaux de la vie quotidienne. Il arrive que ces récits consolident la tradition, comme L’histoire est un tricot , d’Annie Leclerc, mais ils parviennent aussi parfois, plus positivement, à interroger cette « identité anonyme » des femmes à laquelle sont consacrées depuis longtemps les grandes œuvres féminines. Certains de ces textes nés du nouveau féminisme présentent néanmoins le danger de la confusion de l’oral et de l’écrit, de l’usage non critique d’une « langue de femme » (mais une telle langue est-elle possible ?) et du recours, d’un narcissisme souvent naïf, à un « je » qui semble signifier une adéquation parfaite du sujet à lui-même.
2. Contre-culture
Les premiers livres publiés ont été pour la plupart, en particulier aux États-Unis, des ouvrages théoriques, le mouvement féministe étant d’abord un rassemblement politique et idéologique. Qu’il s’agisse de rééditions des grands classiques de l’analyse féministe (essentiellement, Le Deuxième Sexe , de Simone de Beauvoir, The Feminine Mystique [La Femme mystifiée ], de Betty Friedan, ou encore, sur un autre plan, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État , de Engels) ou d’études nouvelles dont la réputation a grandi très vite (Sexual Politics [La Politique du mâle ], de Kate Millett ; The Dialectic of Sex [La Dialectique du sexe], de Shulamith Firestone ; The Female Eunuch [La Femme eunuque ], de Germaine Greer ; et aussi en Angleterre, Psychoanalysis and Feminism [Psychanalyse et féminisme ], de Juliet Mitchell ; en Italie, Dalla Parte delle Bambine [Du côté des petites filles ], d’Elena Gianini Belotti, etc.), ou encore d’anthologies regroupant des interventions variées de femmes (par exemple, le recueil américain de Robin Morgan, Sisterhood Is Powerful ) et révélant par là, de manière tangible, l’existence du « mouvement » comme tel (cf. en France, des numéros spéciaux de revues republiés en livres comme Les femmes s’entêtent ou des recueils de textes étrangers comme Écrits , Voix d’Italie ), ces textes doivent nous être présents à l’esprit, si nous voulons être en mesure de lire dans leur histoire les fictions féministes qu’ils ont précédées. Malgré des différences sensibles d’analyse ou d’option, ils finissent tous par constituer une contre-culture.
La phrase célèbre écrite par Simone de Beauvoir dès 1949 dans Le Deuxième Sexe : « On ne naît pas femme, on le devient » indique sans doute le point central de toute théorie féministe. Le livre d’Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles , analysant les conditions répressives de l’éducation des filles, va dans le même sens. De là découlent, schématiquement, deux tendances de l’analyse féministe : d’une part, celle qui accorde aux phénomènes socio-historiques la première place et demande, comme le déclaraient en novembre 1977 les femmes de la revue Questions féministes , le droit pour les femmes aussi « au neutre [à la définition non sexuée], au général » ; et, d’autre part, celle, dominante au moins sur le plan des publications, qui, tout en tenant compte constamment de l’histoire de l’oppression des femmes, met en avant dans une thématique de la différence quelque chose qui serait comme une « nature féminine ». Mais dans tous les cas l’écriture féministe est amenée, de manière plus ou moins principale, à mettre en lumière un aspect de la condition faite aux femmes, et à dénoncer les expériences négatives de viol, d’exclusion ou d’oppression. Celles-ci ne constituent pas, néanmoins, le sujet unique de l’écriture, qui fait aussi écho à une attitude globalement et explicitement théorique du féminisme comme critique et analyse du « patriarcat ». De ce point de vue, le livre de Valerie Solanas, S.C.U.M. Manifesto (Society for Cutting Up Men, c’est-à-dire Société pour la castration des hommes), a marqué en son temps (1968-1971), sous la forme du scandale, l’histoire du mouvement : l’auteur, qui était au même moment en prison pour avoir agressé l’artiste Andy Warhol, proposait pour dénouement d’une fiction délirante où les femmes devenaient les « maîtres du monde » l’assassinat de tous les hommes. Dans la théorie, c’est le patriarcat comme entité politique et idéologique qui est mis en question. Aux États-Unis toujours, des livres comme celui de Kate Millett (La Politique du mâle ) s’attachent à décrire les modes de répression sexuelle et culturelle à l’égard de la femme, tels qu’on peut les repérer dans la littérature « masculine », en analysant les principes d’un « pouvoir mâle ». Les féministes américaines ont encore créé, dans la plupart des universités, des women’s studies , où sont étudiés les schémas littéraires dominants, ainsi que des revues de critique littéraire et culturelle (telle la revue Signs à Chicago). Si, enfin, l’essai-fiction de Virginia Woolf intitulé Trois Guinées (1938) a rencontré un succès tel qu’il a été traduit et publié à nouveau dans la plupart des pays où existe une édition féministe, c’est parce qu’il met violemment en procès un ordre patriarcal qui conduit à la guerre et au fascisme et interdit aux femmes les possibilités matérielles et symboliques d’accéder à la culture.
L’unité des différentes tendances du féminisme réside dans l’affirmation constante de ce point de vue critique, c’est-à-dire différent. À cet égard, l’évolution du mouvement est à peu près partout identique. D’une manière générale, on constate vers 1974 un déplacement des préoccupations sociopolitiques vers des objectifs plutôt culturels ; c’est le cas très nettement en France, avec les éditions Des femmes. L’Italie, où le féminisme demeure assez « violent », fait un peu exception. Dans tous les cas, le phénomène de mondialisation de l’édition féministe aboutit à la constitution d’un nouveau champ culturel construit sur un principe de sororité (sisterhood , sorellanza , etc.) qui fait que tous les grands livres du féminisme, qu’il s’agisse d’essais ou de fictions, sont traduits dans presque toutes les langues.
La revue belge Les Cahiers du G.R.I.F. présente dans un de ses numéros intitulé « Créer » un exposé assez clair de l’analyse féministe de la question culturelle. C’est la notion même de création qui s’y trouve critiquée : « On peut se demander [...] si la hantise de la création [...] ne relève pas de la conception propre de l’Occident industriel, qui consiste à définir l’homme par sa capacité de produire des objets. » Cette condamnation de l’objet – et donc notamment de l’« objet d’art » – est un élément fondamental des réalisations féministes, en particulier dans le domaine de la littérature. Le mot même de littérature apparaît comme suspect, et on lui préfère celui d’écriture, qui met l’accent sur une pratique et semble éloigner le danger fétichiste dénoncé dans la culture dominante. Les textes féministes rechercheront les caractères de l’« éphémère », du « non-art » : inachèvement, refus de la « phrase », et souvent de tout travail de formalisation esthétique, réévaluation de la communication aux dépens du « langage poétique ». Il s’appliqueront surtout à privilégier un rapport direct de l’écriture au corps , comme on peut le voir par exemple dans Le Corps lesbien de Monique Wittig : tout dans ce livre, la présentation, la mise en page, la typographie, semble fait pour produire l’illusion d’une identité absolue du livre et du corps . Par analogie avec la notion de « négritude », Simone de Beauvoir avait posé celle de « féminitude » : elle voulait désigner par là un ensemble de qualités acquises dans l’oppression. C’est bien ainsi qu’il faut envisager la contre-esthétique de l’écriture féministe, et c’est pourquoi on peut aussi parler à son propos de contre-culture. Ce faisant, on prend également en compte un « sous-développement » tendanciel des textes féminins.
Bien que dans un « féminisme » de type américain et un « mouvement » de type français, les axes de l’élaboration théorique soient les mêmes (Marx et Freud, repris et critiqués dans une pensée féministe), les analyses, et leurs conséquences sur les productions littéraires, sont assez radicalement différentes. La tendance américaine impose en effet une théorie principalement négative (critique universitaire du patriarcat) et privilégie les expériences de révolte et d’engagement. Les textes de fiction qui en résultent sont en majorité des poèmes, qui retranscrivent directement un lyrisme oral de revendication ou d’amour (telle l’œuvre d’Adrienne Rich) ou des romans de style classique rapportant des situations d’oppression ou des relations sentimentales (par exemple, Sita , de Kate Millett). Dans l’ensemble, la langue proprement dite n’est pas remise en question, à la différence du mouvement des femmes en France, pour lequel « le rapport au corps et aux images maternelles » reste principal, produisant une réévaluation non seulement des contenus du discours « phallocentriste », mais de la langue elle-même, dans le jeu de ses signifiants et de ses hiatus esthétiques – s’il est vrai que « la fonction maternelle est liée au processus pré-œdipien et, par cela même, à la réalisation esthétique » (Julia Kristeva). C’est dire que le mouvement français est solidaire de la culture contre laquelle il pose une contre-culture qui serait de l’ordre du refoulé.
_________________
Comme toi, il n'en est qu'un, deviens donc qui tu es.
"Ceux qui ont le pouvoir de faire le mal et qui savent ne pas le faire sont des Seigneurs" (Shakespeare)
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2eme partie:
3. Héroïnes
« Ont-elles jamais existé, ces fabuleuses nations de jeunes filles, ces démons montés, galopant dans tous les coins du monde en faisant gicler de tous côtés glace et sable doré ?... » se demande Helen Diner dans Mothers and Amazons : The First Feminine History of Culture . Le féminisme tend en effet à inventer une histoire mythique des femmes, puisque, comme le notait Virginia Woolf, « nous ne savons rien d’elles, excepté leur nom, la date de leur mariage, le nombre d’enfants qu’elles ont portés ». Sans parler des féministes célèbres de l’histoire (Mary Westmacott, Flora Tristan, Louise Michel, Alexandra Kollontaï...) dont les écrits, romanesques ou théoriques, sont réédités, toute femme dont le nom est demeuré, pour une raison ou pour une autre, dans notre culture, peut faire figure d’héroïne : par exemple, Anna O, la « première hystérique » de Freud, symbole d’une parole différente, formulée non pas sur le mode d’un discours, mais au lieu même du corps (par les symptômes) ; ou encore, Lou Andréas-Salomé, inspiratrice des premiers psychanalystes et d’écrivains comme Nietszche ou Rilke, retirée quant à elle dans une expérience de recherche de l’origine et de la différence des sexes vécue sur son propre corps ; il y aurait encore Elizabeth Packard et Zelda Fitzgerald, empêchées toutes deux d’écrire, malgré leur talent, par la vanité d’un homme, ou Colette et Anaïs Nin, figures d’une expérience littéraire typiquement féminine. On réédite parfois les œuvres de ces héroïnes. On publie des biographies et des commentaires de leur vie ou de leurs écrits. On redécouvre des textes plus ou moins « féministes » qu’elles ont pu écrire, comme ce recueil de textes d’Anaïs Nin intitulé Être une femme . Les héroïnes du nouveau féminisme sont aussi des personnages romanesques conçus par des femmes, telle la « Lol V. Stein » de Marguerite Duras, emblème de la féminité comme absence, oubli de soi, ou encore ce personnage d’un roman très populaire de Sylvia Plath, The Bell Jar (La Cloche de détresse ), que son auteur conduit à la découverte de son exploitation sexuelle et de son oppression sociale et culturelle. Enfin, quelques grandes fictions féministes (Trois Guinées , Une chambre à soi , de Virginia Woolf, La Cloche de détresse , etc.) prennent fonction de textes sacrés. Car, et Virginia Woolf le montre exemplairement, il ne suffit pas à une femme qui veut écrire de reconnaître dans sa mémoire un héritage spécifiquement féminin, maternel (« Car nous, c’est à travers la pensée de nos mères que nous pensons, si nous sommes femmes... »), il lui faut encore inventer une généalogie nouvelle d’artistes femmes, une histoire culturelle féminine, un précédent non plus seulement familial mais social.
Cette nécessité de revendiquer un héritage au moins double (sinon triple, puisque bien sûr il faudra tenir compte aussi de l’intertexte culturel au sens large, représenté, par exemple, chez Virginia Woolf par la fascination pour la bibliothèque paternelle) indique d’ailleurs une des articulations contradictoires de l’« écriture féminine ». Celle-ci est en effet amenée, de manière explicite ou non, à mettre en scène un rapport de rivalité entre une tendance « maternelle », tournée vers le don, la dissolution d’identité, l’anonymat, la ritualité, et une tendance culturelle qui en est dans une certaine mesure l’antithèse. Comme le dit encore Virginia Woolf, « il est significatif que, des quatre grandes romancières – Jane Austen, Emily Brontë, Charlotte Brontë, George Eliot –, aucune n’a eu d’enfants, et deux sont restées célibataires ». La reconstruction d’une histoire des femmes par le nouveau féminisme est tributaire elle aussi de cette contradiction : d’un côté, les mères en général sont les héroïnes méconnues des temps passés, les femmes dont il faut lever l’oppression ; mais, de l’autre, les héroïnes sont aussi Amazones (comme dans le livre de la féministe américaine Ti-Grace Atkinson, Odyssée d’une Amazone ) ou sorcières (voir le groupe américain Witch ou la revue française Sorcières ), femmes stériles, homosexuelles ou frigides qui ont créé, dans le refus de la normativité sexuelle et dans la folie, les éléments de leur propre histoire.
4. Suicidées de la société
« Toute femme née pourvue d’un grand don au XVIe siècle serait certainement devenue folle, se serait tuée ou aurait terminé ses jours dans une chaumière solitaire à l’orée du village, à demi sorcière, à demi magicienne, crainte et faisant l’objet de moqueries... » (Virginia Woolf, Une chambre à soi .) « Elle parle la langue des marécages. Pourquoi s’étonner qu’on ne la comprenne pas ? Quelquefois, par mégarde, le patois. Mais tu ne dois pas. La sorcière au châle noir éructe... » (Jeanne Hyvrard, Les Prunes de Cythère .)
Si la « sorcière », déjà louée au XIXe siècle, dans des termes grandioses, par Michelet, a pu apparaître aux nouvelles féministes (et tout particulièrement en littérature) comme un archétype de figure féminine revendicatrice, c’est sans doute par la force de négativité qu’elle représente. Personnage d’une mythologie noire opposée aux mythologies « familialistes », nantie d’un pouvoir parallèle au pouvoir social, liée à cette nature mystérieuse et sans parole que notre idéologie associe à la féminité, elle rassemble les traits d’un irrationnel où la maternité productive et positive se renverse en une puissance de mort. Or tel est bien le problème central de la réflexion féministe contemporaine. En effet, si dans la fonction maternelle une femme peut ressentir, en tant qu’individu, le risque d’un clivage opéré sur son corps et d’une perte d’identité, si la maternité ne dit pas le tout de la féminité, cette dernière sera renvoyée, par un principe d’exclusion, à l’espace négatif de la sorcière : solitaire, mutique, asociale, improductive, repliée sur une féminité en absence, confrontée à l’image persécutrice de sa propre mère, une telle femme sera projetée dans un processus de déconstruction de type psychotique, que souvent l’écriture, ce « garde-fou » (Lara Jefferson, Folle entre les folles ), ne suffira pas à détourner ou à objectiver.
De ce point de vue, l’histoire d’un certain nombre de femmes écrivains pourrait être racontée comme celle de « suicidées de la société » (pour reprendre la formule d’Artaud à propos de Van Gogh). Un grand nombre des meilleurs auteurs féminins du XXe siècle ont en effet vécu et sont morts dans des conditions tragiques, traversés et détruits par cette « folie » qui n’est jamais qu’un bord assigné par le système social. Virginia Woolf, divisée toute sa vie entre l’écriture et la maladie mentale, se noie dans la rivière proche de sa maison en mars 1941, à l’âge de cinquante-neuf ans. Sylvia Plath, poète (Ariel ) et auteur de La Cloche de détresse , roman paru en 1963, se suicide un mois après la sortie de celui-ci, à l’âge de trente ans ; Anna Kavan (Neige , Demeures du sommeil ), Sophie Podolski (Le pays où tout est permis ), ainsi que Danièle Collobert (Il donc ) mettent aussi fin à leurs jours. Unica Zürn, dessinatrice et écrivain, auteur de deux très beaux livres, L’Homme-Jasmin et Sombre Printemps , après avoir été internée à plusieurs reprises dans des cliniques psychiatriques, se suicide le 19 octobre 1970, à l’âge de cinquante-quatre ans. Toutes ces femmes ont expérimenté sur leur propre corps ces traits de la maladie et de la douleur dont notre société a fait, depuis la parole de la Bible (« Tu enfanteras dans la douleur »), un apanage de la féminité. De cette déchirure physique et mentale, leurs textes ne cessent de rendre compte : L’Homme-Jasmin se présente comme le journal clinique d’une malade qui jouit des images colorées, des rêves, des symboles et des rites étranges de son délire ; Demeures du sommeil met en scène l’alternance fascinante de la veille et du sommeil, de la douleur et du rêve peuplé de fantasmes et de fantaisies ; La Cloche de détresse est le récit de la crise psychique grave qu’a subie vers l’âge de vingt ans Sylvia Plath elle-même.
On retrouve dans les textes littéraires à proprement parler féministes, mais cette fois-ci sous une forme le plus souvent idéologique, cette même représentation de la folie : des femmes comme Jeanne Hyvrard, Emma Santos, Hélène Cixous, Madeleine Gagnon revendiquent un droit au délire. « Ils disent qu’ils vont me guérir. Mais c’est pour me normaliser. Ils disent que je suis folle. Mais c’est pour ne pas entendre ma voix », explique Jeanne Hyvrard dans Mère la mort ; « La folie me fait peur et me séduit. La folie me fait danser », raconte Madeleine Gagnon dans Retailles . Enfin, d’une manière plus générale encore, on peut dire que le discours psychiatrique ou psychanalytique est une référence systématique des écrits féministes. Nombreuses sont, par exemple, les fictions de femmes qui se présentent comme un récit de maladie mentale, une correspondance avec un psychanalyste, etc. À cet égard, deux livres ont peut-être plus particulièrement fait date dans le contexte du féminisme : celui de Lara Jefferson, Folle entre les folles , et celui de Mary Barnes et Joseph Berke, Mary Barnes, un voyage à travers la folie . Tous deux retracent le combat authentique que deux femmes aliénées et internées ont mené, par les moyens de l’art (pour Lara Jefferson, l’écriture, pour Mary Barnes, la peinture), contre leur propre maladie. Associé à l’antipsychiatrie moderne, le féminisme a ainsi permis la publication de textes traditionnellement privés, relégués dans les dossiers médicaux, et a par là même contribué à révéler le lien historique de la féminité et de la psychose.
5. Le « continent noir »
À propos de la sexualité féminine, Freud emploie la formule désormais bien connue de « continent noir » de la psychanalyse. À peu près à la même époque, un jeune Juif viennois, Otto Weininger, publie un livre raciste, mysogine et antisémite, Sexe et Caractère , et se suicide quelques mois plus tard après avoir déclaré à un ami : « As-tu déjà pensé à ton double ? et s’il arrivait maintenant ! Le double est cet être qui sait tout de chacun, qui sait même ce que personne jamais n’avoue ! » Et Freud encore disait : « La pénétration dans la période pré-œdipienne de la petite fille nous surprend, comme dans un autre domaine, la découverte de la civilisation minoé-mycénienne derrière celle des Grecs. » Dans ces trois exemples apparaît la même image : celle d’une étrangeté (sexuelle) de la femme, décrite en termes de race . Cette étrangeté est aussi proximité violente d’un « double » de soi-même : autre côté, autre race, métaphore du dehors ou du différent au plus profond de soi, cette image raciste, qui fait référence à l’organisation colonialiste des sociétés occidentales, confond dans la même exclusion la femme et le « colonisé » (Juif, Noir...). Or cette confusion est revendiquée par les féministes elles-mêmes, de la même manière qu’elles peuvent revendiquer une définition négative par la « folie ».
Le mouvement américain a ainsi parfois repris à son propre compte le slogan des Noirs : I am black and I am beautiful ; Simone de Beauvoir, on l’a vu, forge le mot de « féminitude » sur le modèle de « négritude » ; Hélène Cixous, juive française de mère allemande et originaire d’Afrique du Nord, fait, elle, l’éloge du « continent noir » ; dans Les Prunes de Cythère , Jeanne Hyvrard écrit l’histoire d’une colonisation dans les « îles », et dédie son livre « au Nègre inconnu ». Les exemples de ce retour par les féministes modernes à un imaginaire « africain » ou plus largement d’exotisme et de sauvagerie pourraient être multipliés presque à l’infini. De manière peut-être plus troublante, on le retrouve aussi avec la même fréquence chez des auteurs qui n’ont pas de rapports directs avec le mouvement ou, du moins, avec sa théorie et ses axes de revendication. Pour Marguerite Duras, l’écriture est ainsi le moyen d’un retour aux images de l’enfance en Indochine et d’une réflexion sur un passé colonial désormais clos, où la pauvreté côtoyait la richesse et où la maladie, la perte de soi, la mort étaient les fondements mêmes où se relançait la vie des femmes (Un barrage contre le Pacifique , Le Vice-Consul , India Song ). La question coloniale est encore centrale chez Doris Lessing qui consacre une partie de son œuvre principale, Le Carnet d’or , à des scènes rhodésiennes à travers lesquelles l’analyse politique en termes de lutte des classes tenue par les personnages masculins apparaît à la fois dérisoire face à l’oppression plus tragique des Noirs rhodésiens, et illusoire du point de vue des personnages féminins. Enfin, on ne saurait oublier que le premier roman de Virginia Woolf, La Traversée des apparences (The Voyage Out ), a également pour cadre un pays tropical et que c’est dans la région centrale de la forêt, vierge comme Virginia, que l’héroïne, Rachel, rencontrera sa féminité, sa sexualité et, du même coup, sa destruction et bientôt sa mort.
Si cette métaphore « africaine » est si insistante, ce n’est pas seulement par dénonciation du système politique colonialiste mais aussi parce que le colonialisme lui-même est porteur d’associations imaginaires riches en irrationnel. Les méthodes de colonisation, par exemple, renvoient à des images de viol ; la justification économique (alimentaire) traite d’autre part le Tiers Monde comme un grand corps maternel nourricier dont les trésors sont saisis par les colons, alors que lui reste affamé : images de la mère affamée, de la mère sans mère, de la fille sans mère (on pense au personnage de la mendiante dans les romans de Marguerite Duras). Tel est bien le grief féminin inconscient que le nouveau féminisme met au jour : dans une organisation symbolique qui privilégie historiquement (au moins depuis l’invention de la figure de la Vierge mère...) le rapport de désir du fils et de la mère, qu’en est-il de la fille ? Freud insistait sur l’importance de la phase pré-œdipienne de relation à la mère chez cette dernière. L’« Afrique » est à la fois la fille et la mère : la fille dépossédée de l’aliment, de l’amour, nécessaires à sa vie et à la reconnaissance de soi, et la mère au ventre plein des trésors merveilleux que la fille revendique (images, couleurs, sons sauvages, rythmes, etc.). C’est pourquoi on trouvera dans la plupart des textes féminins sinon un éloge de la nature comme espace sauvage, miraculeux (par exemple dans La Prisonnière des Sargasses de Jean Rhys), du moins la tentation d’une écriture au plus près des sensations, des rythmes simples, des euphonies (Hélène Cixous, Jeanne Hyvrard, Virginia Woolf...), une écriture « jubilatoire » où souvent le plaisir de la profération des sons et des mots l’emporte sur la narrativité, comme on peut le voir notamment dans l’œuvre de Gertrude Stein.
L’écriture est le plus souvent pour les nouvelles féministes le moyen d’une régression vers des « épousailles » (Annie Leclerc) avec le corps maternel. De là provient le déploiement d’une thématique du corps qu’on retrouve de texte en texte : éloge d’une sensualité diffuse, prégénitale ou polymorphe (Luce Irigaray, Ce sexe qui n’en est pas un ), fétichisme du mot aux dépens de la phrase, qui indiquerait une articulation de type phallique (Virginia Woolf jugeait déjà la phrase « masculine » trop « lourde » pour une femme), définition d’une écriture-flux à l’image du sang menstruel (Marie Cardinal, Emma Santos, Jeanne Hyvrard...) ou, au contraire, d’une écriture éclatée, morcelée, fragmentaire, lapidaire (Agnès Rougier, Danielle Collobert, voire l’Américaine Joan Didion), hostile aux effets d’unité ou d’unicité stigmatisés dans l’écriture masculine, insistance, au total, sur l’idée d’une multiplicité spécifiquement féminine.
6. L’autobiographie de tout le monde
Le trait peut-être le plus frappant de cette écriture féminine que le nouveau féminisme des années soixante-dix met en avant soit dans les textes qu’il produit, soit dans ceux dont il permet la redécouverte et la relecture, c’est son caractère à peu près systématiquement autobiographique. Sans parler des textes féministes, dont on a pu dire qu’ils étaient souvent très proches de la confession ou du journal, les grands textes féminins contemporains apparaissent tous, de près ou de loin, traversés par un projet d’autobiographie ou du moins de biographie écrite (reformulée sur un mode artistique). En cela, ils appartiennent aussi – et sans doute en premier lieu – à la littérature moderne.
Certaines fuient cette biographie écrite, comme Sylvia Plath, qui compose des poèmes pour reculer le moment du roman, qu’elle juge « sale », cruel, trop près de l’intimité des événements vécus. Pourtant, elle rédige La Cloche de détresse , et son dernier travail aura été un projet de roman. D’autres, en revanche, n’y résistent pas, comme Unica Zürn ou Anna Kavan rapprochées dangereusement par l’écriture de leurs fantasmes les plus implacables. Doris Lessing, Marguerite Duras, Gertrude Stein, ou même Colette ou Anaïs Nin, s’y adonnent avec tout leur art. Virginia Woolf y parvient, après le long détour d’une vie et d’une œuvre : ce sont ses derniers textes, les plus beaux peut-être, regroupés après sa mort dans un recueil intitulé Instants de vie (Moments Of Being ).
L’autobiographie conçue par les femmes présente une qualité spécifique ou, du moins, nouvelle : celle de ne pas être la construction, par les moyens complexes de l’écriture, d’un sujet à peu près unifié, ou aspirant à l’être, même dans les plus grandes contradictions, comme dans les textes contemporains « masculins ». Le sujet d’une œuvre féminine n’existe pas, n’existera pas. Il se perd, se multiplie, se diffracte dans les multiples figures, les mouvements minuscules du quotidien. « Autobiographie de tout le monde », ce texte féminin vaut pour une autre vie, d’autres vies – bien vite la question même de la « féminité » ne se pose plus. Cette autobiographie insignifiante, ou plutôt non inscrite dans une logique de la représentation du sens (qu’on lise, par exemple, les absurdités algébriques de Gertrude Stein, sa manière de construire une poétique des lieux communs de la communication verbale), trace un parcours durable, mais fragmenté, accidenté, discontinu, pour des femmes qui rêvent de « flotter avec les bouts de bois à la surface de la rivière » (Virginia Woolf).
1995 Encyclopædia Universalis France S.A.Tous droits de propriété intellectuelle et industrielle réservés
3. Héroïnes
« Ont-elles jamais existé, ces fabuleuses nations de jeunes filles, ces démons montés, galopant dans tous les coins du monde en faisant gicler de tous côtés glace et sable doré ?... » se demande Helen Diner dans Mothers and Amazons : The First Feminine History of Culture . Le féminisme tend en effet à inventer une histoire mythique des femmes, puisque, comme le notait Virginia Woolf, « nous ne savons rien d’elles, excepté leur nom, la date de leur mariage, le nombre d’enfants qu’elles ont portés ». Sans parler des féministes célèbres de l’histoire (Mary Westmacott, Flora Tristan, Louise Michel, Alexandra Kollontaï...) dont les écrits, romanesques ou théoriques, sont réédités, toute femme dont le nom est demeuré, pour une raison ou pour une autre, dans notre culture, peut faire figure d’héroïne : par exemple, Anna O, la « première hystérique » de Freud, symbole d’une parole différente, formulée non pas sur le mode d’un discours, mais au lieu même du corps (par les symptômes) ; ou encore, Lou Andréas-Salomé, inspiratrice des premiers psychanalystes et d’écrivains comme Nietszche ou Rilke, retirée quant à elle dans une expérience de recherche de l’origine et de la différence des sexes vécue sur son propre corps ; il y aurait encore Elizabeth Packard et Zelda Fitzgerald, empêchées toutes deux d’écrire, malgré leur talent, par la vanité d’un homme, ou Colette et Anaïs Nin, figures d’une expérience littéraire typiquement féminine. On réédite parfois les œuvres de ces héroïnes. On publie des biographies et des commentaires de leur vie ou de leurs écrits. On redécouvre des textes plus ou moins « féministes » qu’elles ont pu écrire, comme ce recueil de textes d’Anaïs Nin intitulé Être une femme . Les héroïnes du nouveau féminisme sont aussi des personnages romanesques conçus par des femmes, telle la « Lol V. Stein » de Marguerite Duras, emblème de la féminité comme absence, oubli de soi, ou encore ce personnage d’un roman très populaire de Sylvia Plath, The Bell Jar (La Cloche de détresse ), que son auteur conduit à la découverte de son exploitation sexuelle et de son oppression sociale et culturelle. Enfin, quelques grandes fictions féministes (Trois Guinées , Une chambre à soi , de Virginia Woolf, La Cloche de détresse , etc.) prennent fonction de textes sacrés. Car, et Virginia Woolf le montre exemplairement, il ne suffit pas à une femme qui veut écrire de reconnaître dans sa mémoire un héritage spécifiquement féminin, maternel (« Car nous, c’est à travers la pensée de nos mères que nous pensons, si nous sommes femmes... »), il lui faut encore inventer une généalogie nouvelle d’artistes femmes, une histoire culturelle féminine, un précédent non plus seulement familial mais social.
Cette nécessité de revendiquer un héritage au moins double (sinon triple, puisque bien sûr il faudra tenir compte aussi de l’intertexte culturel au sens large, représenté, par exemple, chez Virginia Woolf par la fascination pour la bibliothèque paternelle) indique d’ailleurs une des articulations contradictoires de l’« écriture féminine ». Celle-ci est en effet amenée, de manière explicite ou non, à mettre en scène un rapport de rivalité entre une tendance « maternelle », tournée vers le don, la dissolution d’identité, l’anonymat, la ritualité, et une tendance culturelle qui en est dans une certaine mesure l’antithèse. Comme le dit encore Virginia Woolf, « il est significatif que, des quatre grandes romancières – Jane Austen, Emily Brontë, Charlotte Brontë, George Eliot –, aucune n’a eu d’enfants, et deux sont restées célibataires ». La reconstruction d’une histoire des femmes par le nouveau féminisme est tributaire elle aussi de cette contradiction : d’un côté, les mères en général sont les héroïnes méconnues des temps passés, les femmes dont il faut lever l’oppression ; mais, de l’autre, les héroïnes sont aussi Amazones (comme dans le livre de la féministe américaine Ti-Grace Atkinson, Odyssée d’une Amazone ) ou sorcières (voir le groupe américain Witch ou la revue française Sorcières ), femmes stériles, homosexuelles ou frigides qui ont créé, dans le refus de la normativité sexuelle et dans la folie, les éléments de leur propre histoire.
4. Suicidées de la société
« Toute femme née pourvue d’un grand don au XVIe siècle serait certainement devenue folle, se serait tuée ou aurait terminé ses jours dans une chaumière solitaire à l’orée du village, à demi sorcière, à demi magicienne, crainte et faisant l’objet de moqueries... » (Virginia Woolf, Une chambre à soi .) « Elle parle la langue des marécages. Pourquoi s’étonner qu’on ne la comprenne pas ? Quelquefois, par mégarde, le patois. Mais tu ne dois pas. La sorcière au châle noir éructe... » (Jeanne Hyvrard, Les Prunes de Cythère .)
Si la « sorcière », déjà louée au XIXe siècle, dans des termes grandioses, par Michelet, a pu apparaître aux nouvelles féministes (et tout particulièrement en littérature) comme un archétype de figure féminine revendicatrice, c’est sans doute par la force de négativité qu’elle représente. Personnage d’une mythologie noire opposée aux mythologies « familialistes », nantie d’un pouvoir parallèle au pouvoir social, liée à cette nature mystérieuse et sans parole que notre idéologie associe à la féminité, elle rassemble les traits d’un irrationnel où la maternité productive et positive se renverse en une puissance de mort. Or tel est bien le problème central de la réflexion féministe contemporaine. En effet, si dans la fonction maternelle une femme peut ressentir, en tant qu’individu, le risque d’un clivage opéré sur son corps et d’une perte d’identité, si la maternité ne dit pas le tout de la féminité, cette dernière sera renvoyée, par un principe d’exclusion, à l’espace négatif de la sorcière : solitaire, mutique, asociale, improductive, repliée sur une féminité en absence, confrontée à l’image persécutrice de sa propre mère, une telle femme sera projetée dans un processus de déconstruction de type psychotique, que souvent l’écriture, ce « garde-fou » (Lara Jefferson, Folle entre les folles ), ne suffira pas à détourner ou à objectiver.
De ce point de vue, l’histoire d’un certain nombre de femmes écrivains pourrait être racontée comme celle de « suicidées de la société » (pour reprendre la formule d’Artaud à propos de Van Gogh). Un grand nombre des meilleurs auteurs féminins du XXe siècle ont en effet vécu et sont morts dans des conditions tragiques, traversés et détruits par cette « folie » qui n’est jamais qu’un bord assigné par le système social. Virginia Woolf, divisée toute sa vie entre l’écriture et la maladie mentale, se noie dans la rivière proche de sa maison en mars 1941, à l’âge de cinquante-neuf ans. Sylvia Plath, poète (Ariel ) et auteur de La Cloche de détresse , roman paru en 1963, se suicide un mois après la sortie de celui-ci, à l’âge de trente ans ; Anna Kavan (Neige , Demeures du sommeil ), Sophie Podolski (Le pays où tout est permis ), ainsi que Danièle Collobert (Il donc ) mettent aussi fin à leurs jours. Unica Zürn, dessinatrice et écrivain, auteur de deux très beaux livres, L’Homme-Jasmin et Sombre Printemps , après avoir été internée à plusieurs reprises dans des cliniques psychiatriques, se suicide le 19 octobre 1970, à l’âge de cinquante-quatre ans. Toutes ces femmes ont expérimenté sur leur propre corps ces traits de la maladie et de la douleur dont notre société a fait, depuis la parole de la Bible (« Tu enfanteras dans la douleur »), un apanage de la féminité. De cette déchirure physique et mentale, leurs textes ne cessent de rendre compte : L’Homme-Jasmin se présente comme le journal clinique d’une malade qui jouit des images colorées, des rêves, des symboles et des rites étranges de son délire ; Demeures du sommeil met en scène l’alternance fascinante de la veille et du sommeil, de la douleur et du rêve peuplé de fantasmes et de fantaisies ; La Cloche de détresse est le récit de la crise psychique grave qu’a subie vers l’âge de vingt ans Sylvia Plath elle-même.
On retrouve dans les textes littéraires à proprement parler féministes, mais cette fois-ci sous une forme le plus souvent idéologique, cette même représentation de la folie : des femmes comme Jeanne Hyvrard, Emma Santos, Hélène Cixous, Madeleine Gagnon revendiquent un droit au délire. « Ils disent qu’ils vont me guérir. Mais c’est pour me normaliser. Ils disent que je suis folle. Mais c’est pour ne pas entendre ma voix », explique Jeanne Hyvrard dans Mère la mort ; « La folie me fait peur et me séduit. La folie me fait danser », raconte Madeleine Gagnon dans Retailles . Enfin, d’une manière plus générale encore, on peut dire que le discours psychiatrique ou psychanalytique est une référence systématique des écrits féministes. Nombreuses sont, par exemple, les fictions de femmes qui se présentent comme un récit de maladie mentale, une correspondance avec un psychanalyste, etc. À cet égard, deux livres ont peut-être plus particulièrement fait date dans le contexte du féminisme : celui de Lara Jefferson, Folle entre les folles , et celui de Mary Barnes et Joseph Berke, Mary Barnes, un voyage à travers la folie . Tous deux retracent le combat authentique que deux femmes aliénées et internées ont mené, par les moyens de l’art (pour Lara Jefferson, l’écriture, pour Mary Barnes, la peinture), contre leur propre maladie. Associé à l’antipsychiatrie moderne, le féminisme a ainsi permis la publication de textes traditionnellement privés, relégués dans les dossiers médicaux, et a par là même contribué à révéler le lien historique de la féminité et de la psychose.
5. Le « continent noir »
À propos de la sexualité féminine, Freud emploie la formule désormais bien connue de « continent noir » de la psychanalyse. À peu près à la même époque, un jeune Juif viennois, Otto Weininger, publie un livre raciste, mysogine et antisémite, Sexe et Caractère , et se suicide quelques mois plus tard après avoir déclaré à un ami : « As-tu déjà pensé à ton double ? et s’il arrivait maintenant ! Le double est cet être qui sait tout de chacun, qui sait même ce que personne jamais n’avoue ! » Et Freud encore disait : « La pénétration dans la période pré-œdipienne de la petite fille nous surprend, comme dans un autre domaine, la découverte de la civilisation minoé-mycénienne derrière celle des Grecs. » Dans ces trois exemples apparaît la même image : celle d’une étrangeté (sexuelle) de la femme, décrite en termes de race . Cette étrangeté est aussi proximité violente d’un « double » de soi-même : autre côté, autre race, métaphore du dehors ou du différent au plus profond de soi, cette image raciste, qui fait référence à l’organisation colonialiste des sociétés occidentales, confond dans la même exclusion la femme et le « colonisé » (Juif, Noir...). Or cette confusion est revendiquée par les féministes elles-mêmes, de la même manière qu’elles peuvent revendiquer une définition négative par la « folie ».
Le mouvement américain a ainsi parfois repris à son propre compte le slogan des Noirs : I am black and I am beautiful ; Simone de Beauvoir, on l’a vu, forge le mot de « féminitude » sur le modèle de « négritude » ; Hélène Cixous, juive française de mère allemande et originaire d’Afrique du Nord, fait, elle, l’éloge du « continent noir » ; dans Les Prunes de Cythère , Jeanne Hyvrard écrit l’histoire d’une colonisation dans les « îles », et dédie son livre « au Nègre inconnu ». Les exemples de ce retour par les féministes modernes à un imaginaire « africain » ou plus largement d’exotisme et de sauvagerie pourraient être multipliés presque à l’infini. De manière peut-être plus troublante, on le retrouve aussi avec la même fréquence chez des auteurs qui n’ont pas de rapports directs avec le mouvement ou, du moins, avec sa théorie et ses axes de revendication. Pour Marguerite Duras, l’écriture est ainsi le moyen d’un retour aux images de l’enfance en Indochine et d’une réflexion sur un passé colonial désormais clos, où la pauvreté côtoyait la richesse et où la maladie, la perte de soi, la mort étaient les fondements mêmes où se relançait la vie des femmes (Un barrage contre le Pacifique , Le Vice-Consul , India Song ). La question coloniale est encore centrale chez Doris Lessing qui consacre une partie de son œuvre principale, Le Carnet d’or , à des scènes rhodésiennes à travers lesquelles l’analyse politique en termes de lutte des classes tenue par les personnages masculins apparaît à la fois dérisoire face à l’oppression plus tragique des Noirs rhodésiens, et illusoire du point de vue des personnages féminins. Enfin, on ne saurait oublier que le premier roman de Virginia Woolf, La Traversée des apparences (The Voyage Out ), a également pour cadre un pays tropical et que c’est dans la région centrale de la forêt, vierge comme Virginia, que l’héroïne, Rachel, rencontrera sa féminité, sa sexualité et, du même coup, sa destruction et bientôt sa mort.
Si cette métaphore « africaine » est si insistante, ce n’est pas seulement par dénonciation du système politique colonialiste mais aussi parce que le colonialisme lui-même est porteur d’associations imaginaires riches en irrationnel. Les méthodes de colonisation, par exemple, renvoient à des images de viol ; la justification économique (alimentaire) traite d’autre part le Tiers Monde comme un grand corps maternel nourricier dont les trésors sont saisis par les colons, alors que lui reste affamé : images de la mère affamée, de la mère sans mère, de la fille sans mère (on pense au personnage de la mendiante dans les romans de Marguerite Duras). Tel est bien le grief féminin inconscient que le nouveau féminisme met au jour : dans une organisation symbolique qui privilégie historiquement (au moins depuis l’invention de la figure de la Vierge mère...) le rapport de désir du fils et de la mère, qu’en est-il de la fille ? Freud insistait sur l’importance de la phase pré-œdipienne de relation à la mère chez cette dernière. L’« Afrique » est à la fois la fille et la mère : la fille dépossédée de l’aliment, de l’amour, nécessaires à sa vie et à la reconnaissance de soi, et la mère au ventre plein des trésors merveilleux que la fille revendique (images, couleurs, sons sauvages, rythmes, etc.). C’est pourquoi on trouvera dans la plupart des textes féminins sinon un éloge de la nature comme espace sauvage, miraculeux (par exemple dans La Prisonnière des Sargasses de Jean Rhys), du moins la tentation d’une écriture au plus près des sensations, des rythmes simples, des euphonies (Hélène Cixous, Jeanne Hyvrard, Virginia Woolf...), une écriture « jubilatoire » où souvent le plaisir de la profération des sons et des mots l’emporte sur la narrativité, comme on peut le voir notamment dans l’œuvre de Gertrude Stein.
L’écriture est le plus souvent pour les nouvelles féministes le moyen d’une régression vers des « épousailles » (Annie Leclerc) avec le corps maternel. De là provient le déploiement d’une thématique du corps qu’on retrouve de texte en texte : éloge d’une sensualité diffuse, prégénitale ou polymorphe (Luce Irigaray, Ce sexe qui n’en est pas un ), fétichisme du mot aux dépens de la phrase, qui indiquerait une articulation de type phallique (Virginia Woolf jugeait déjà la phrase « masculine » trop « lourde » pour une femme), définition d’une écriture-flux à l’image du sang menstruel (Marie Cardinal, Emma Santos, Jeanne Hyvrard...) ou, au contraire, d’une écriture éclatée, morcelée, fragmentaire, lapidaire (Agnès Rougier, Danielle Collobert, voire l’Américaine Joan Didion), hostile aux effets d’unité ou d’unicité stigmatisés dans l’écriture masculine, insistance, au total, sur l’idée d’une multiplicité spécifiquement féminine.
6. L’autobiographie de tout le monde
Le trait peut-être le plus frappant de cette écriture féminine que le nouveau féminisme des années soixante-dix met en avant soit dans les textes qu’il produit, soit dans ceux dont il permet la redécouverte et la relecture, c’est son caractère à peu près systématiquement autobiographique. Sans parler des textes féministes, dont on a pu dire qu’ils étaient souvent très proches de la confession ou du journal, les grands textes féminins contemporains apparaissent tous, de près ou de loin, traversés par un projet d’autobiographie ou du moins de biographie écrite (reformulée sur un mode artistique). En cela, ils appartiennent aussi – et sans doute en premier lieu – à la littérature moderne.
Certaines fuient cette biographie écrite, comme Sylvia Plath, qui compose des poèmes pour reculer le moment du roman, qu’elle juge « sale », cruel, trop près de l’intimité des événements vécus. Pourtant, elle rédige La Cloche de détresse , et son dernier travail aura été un projet de roman. D’autres, en revanche, n’y résistent pas, comme Unica Zürn ou Anna Kavan rapprochées dangereusement par l’écriture de leurs fantasmes les plus implacables. Doris Lessing, Marguerite Duras, Gertrude Stein, ou même Colette ou Anaïs Nin, s’y adonnent avec tout leur art. Virginia Woolf y parvient, après le long détour d’une vie et d’une œuvre : ce sont ses derniers textes, les plus beaux peut-être, regroupés après sa mort dans un recueil intitulé Instants de vie (Moments Of Being ).
L’autobiographie conçue par les femmes présente une qualité spécifique ou, du moins, nouvelle : celle de ne pas être la construction, par les moyens complexes de l’écriture, d’un sujet à peu près unifié, ou aspirant à l’être, même dans les plus grandes contradictions, comme dans les textes contemporains « masculins ». Le sujet d’une œuvre féminine n’existe pas, n’existera pas. Il se perd, se multiplie, se diffracte dans les multiples figures, les mouvements minuscules du quotidien. « Autobiographie de tout le monde », ce texte féminin vaut pour une autre vie, d’autres vies – bien vite la question même de la « féminité » ne se pose plus. Cette autobiographie insignifiante, ou plutôt non inscrite dans une logique de la représentation du sens (qu’on lise, par exemple, les absurdités algébriques de Gertrude Stein, sa manière de construire une poétique des lieux communs de la communication verbale), trace un parcours durable, mais fragmenté, accidenté, discontinu, pour des femmes qui rêvent de « flotter avec les bouts de bois à la surface de la rivière » (Virginia Woolf).
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