INTERVIEW: Jean-Louis Arcand: «C'est un pays maudit»
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INTERVIEW: Jean-Louis Arcand: «C'est un pays maudit»
INTERVIEW
Jean-Louis Arcand: «C'est un pays maudit»
Haïti est un Etat voyou, son gouvernement n'est qu'un gang, explique Jean-Louis Arcand, professeur à l'Institut des hautes études internationales et de développement à l'Uni de Genève.
Laszlo Molnar - le 13 janvier 2010, 23h13
Le Matin
En quoi ce séisme va-t-il aggraver la situation d'Haïti?
Beaucoup de familles auront perdu des êtres chers, mais ce pays était déjà exsangue avant cette catastrophe naturelle, alors, sur le plan économique, la situation ne sera pas pire qu'avant. Je prévois d'ailleurs que la plupart des bâtiments écroulés ne seront reconstruits que partiellement.
Haïti ne se remettra jamais d'aplomb?
C'est un pays maudit. Il est l'Etat le plus mal géré que je connaisse! La situation y est pire que dans beaucoup des pays africains dont j'ai pu m'occuper.
En quoi est-il pire que les autres? C'est un Etat voyou, dans le sens mafieux du terme. Son gouvernement n'est qu'un gang parmi les autres organisations criminelles du pays. Toutes ses institutions sont dysfonctionnelles. Imaginez qu'un pays n'ait qu'un unique juge pour enfants pour l'ensemble de son territoire et qu'il n'existe pas de maison d'arrêt juvénile, ce qui veut dire que les mineurs, peu importe de quel âge, sont simplement enfermés dans les prisons pour adultes, où ils sont assujettis à toutes sortes de sévices.
La société civile existe-t-elle?
A part les Eglises et les ONG, pas grand-chose. Bien sûr, le 0,01% de Haïtiens éduqués sont des gens formidables. Ils sont à l'origine d'une culture extraordinaire. Mais les 99,99% restants ne font que survivre, même s'ils sont également formidables. Je vous rappelle que les autorités avaient organisé des émeutes et utilisé notamment les viols systématiques de femmes par leurs sbires comme armes de répression. La population est donc traumatisée et incapable de s'organiser sur des bases solides.
Pourtant le pays fonctionnait tant bien que mal...
Si vous appelez «fonctionner» le fait que les 99,99% des habitants n'ont pour eau courante que celle provenant des égouts d'où s'écoule l'eau sale provenant des quartiers riches... Pour se représenter la misère intégrale du pays, il suffit de survoler l'île en avion: du côté de la République de Saint-Domingue (sur la moitié est de l'île), le paysage est chatoyant, vert. Du côté d'Haïti, il est marron, comme si une coulée de boue avait recouvert tout le territoire. De fait, Haïti a perdu presque la totalité de ses forêts.
Comment se fait-il que ce pays soit si misérable?
Parce qu'il n'existe aucun leadership. Le gouvernement ne fait absolument rien. Beaucoup de Haïtiens estiment que l'époque de Papa Doc (le président François Duvalier, qui a régné de 1957 à 1964) était un âge d'or, alors que c'était une dictature méprisable et sanglante.
Mais les gens mangent malgré tout...
Ils vivent de l'aide étrangère et surtout de l'argent envoyé par la diaspora. Plus de 2 millions d'Haïtiens vivent à l'étranger, surtout aux Etats-Unis et au Canada. Autrement, l'agriculture est un désastre. Tout est d'ailleurs importé, même l'eau potable...
Qui va alors remettre le pays sur pied?
Peut-être les ONG et les organisations internationales. Mais en tout cas pas la classe politique actuelle. Pour que ce pays fonctionne, il doit subir un changement structurel profond, et je ne crois pas qu'il aura lieu de sitôt.
Est-ce une situation unique dans le tiers-monde?
Pas tout à fait. Je crois que même des pays très pauvres, tels le Tchad ou le Niger, seraient capables de réparer au moins leurs infrastructures symboliques après une catastrophe. Mais en Haïti je ne pense pas que leurs autorités soient à même de redresser les bâtiments symboliques, par exemple le Palais national, la cathédrale ou le Palais de Justice, qui se sont effondrés pendant le séisme.
Comme ce pays en est-il arrivé là?
Ce pays, qui est né d'une révolte d'esclaves il y a 206 ans, a mal commencé son indépendance, malgré des leaders historiques exceptionnels. Il n'y avait aucune tradition pour bâtir et structurer un Etat moderne. Cette situation lui a valu le surnom, partagé avec le Liberia (une nation créée par des Noirs américains revenus en Afrique pour être indépendants), de première «république nègre». Mais pendant un siècle ou plus, le pays a profité de ses ressources naturelles, surtout du sucre. En 1804, les revenus d'Haïti représentaient environ 25% de la totalité du PIB de l'empire français. Une situation qui s'est transformée ensuite en ce que les économistes ont appelé «la malédiction des ressources naturelles». En d'autres termes, Haïti a pu se reposer sur l'argent provenant de ses exportations massives de sucre et a oublié de développer d'autres secteurs économiques.
Comme ce pays en est-il arrivé là?
Ce pays, qui est né d'une révolte d'esclaves il y a 206 ans, a mal commencé son indépendance, malgré des leaders historiques exceptionnels. Il n'y avait aucune tradition pour bâtir et structurer un Etat moderne. Cette situation lui a valu le surnom, partagé avec le Liberia (une nation créée par des Noirs américains revenus en Afrique pour être indépendants), de première «république nègre». Mais pendant un siècle ou plus, le pays a profité de ses ressources naturelles, surtout du sucre. En 1804, les revenus d'Haïti représentaient environ 25% de la totalité du PIB de l'empire français. Une situation qui s'est transformée ensuite en ce que les économistes ont appelé «la malédiction des ressources naturelles». En d'autres termes, Haïti a pu se reposer sur l'argent provenant de ses exportations massives de sucre et a oublié de développer d'autres secteurs économiques.
Île frappée par le destin
Pauvre parmi les pauvres
Haïti est le pays le plus pauvre du continent américain. Environ 80% de ses 9 millions d'habitants vivent avec moins de 2 dollars par jour, dont les deux tiers avec même moins d'un dollar.
Le chômage atteint 65% et 35% des habitants sont analphabètes.
2008
Chaque année, de juin à novembre, Haïti est balayé par des vents violents et des pluies torrentielles, mais rarement par des tremblements de terre. En 2008, 4 tempêtes et ouragans - «Fay», «Gustav», «Ike» et «Hanna» - ont causé la mort de près d'un millier de personnes et laissé des centaines de milliers d'autres sans-abri. Cette année-là, l'île avait aussi connu trois secoussesde 4,3 sur l'échelle de Richter en treize jours.
2005
Un séisme de magnitude 4,3 avait endommagé le réseau électrique de la capitale.
2004
En 2004, l'ouragan «Jeanne» avait fait plus de 3000 morts. C'est la ville de Gonaïves, une cuvette dans une plaine, qui a le plus souffert. Les collines autour de la ville ont été dénudées pendant des décennies de leurs arbres. Lors des ouragans, la couche arable s'écoule des pentes non protégées, recouvrant la ville de millions de mètres cubes de boue.
1998
Avec 400 victimes, l'ouragan «Georges» a été moins meurtrier que ceux d'autres années, mais en revanche il a détruit plus de 80% des récoltes agricoles du pays. Les pluies torrentielles qui ont accompagné le cyclone ont détruit les plantations qui avaient été très durement touchées par la sécheresse provoquée par le phénomène climatique El Niño.
1994
Plus de 1000 personnes sont mortes, ensevelies pas des glissements de terrain pour la plupart, après le passage de l'ouragan «Gordon».
1963
L'ouragan «Flora» a tué plus de 8000 Haïtiens. Ce cyclone était considéré comme la 6e plus fort du XXe siècle sur le continent américain. Peu après le passage de «Flora», le pays a connu sa pire épidémie de paludisme.
1842
Un séisme de magnitude 8,1 sur l'échelle de Richter avait détruit la ville de Cap-Haïtien, faisant des milliers de morts.
Jean-Louis Arcand: «C'est un pays maudit»
Haïti est un Etat voyou, son gouvernement n'est qu'un gang, explique Jean-Louis Arcand, professeur à l'Institut des hautes études internationales et de développement à l'Uni de Genève.
Laszlo Molnar - le 13 janvier 2010, 23h13
Le Matin
En quoi ce séisme va-t-il aggraver la situation d'Haïti?
Beaucoup de familles auront perdu des êtres chers, mais ce pays était déjà exsangue avant cette catastrophe naturelle, alors, sur le plan économique, la situation ne sera pas pire qu'avant. Je prévois d'ailleurs que la plupart des bâtiments écroulés ne seront reconstruits que partiellement.
Haïti ne se remettra jamais d'aplomb?
C'est un pays maudit. Il est l'Etat le plus mal géré que je connaisse! La situation y est pire que dans beaucoup des pays africains dont j'ai pu m'occuper.
En quoi est-il pire que les autres? C'est un Etat voyou, dans le sens mafieux du terme. Son gouvernement n'est qu'un gang parmi les autres organisations criminelles du pays. Toutes ses institutions sont dysfonctionnelles. Imaginez qu'un pays n'ait qu'un unique juge pour enfants pour l'ensemble de son territoire et qu'il n'existe pas de maison d'arrêt juvénile, ce qui veut dire que les mineurs, peu importe de quel âge, sont simplement enfermés dans les prisons pour adultes, où ils sont assujettis à toutes sortes de sévices.
La société civile existe-t-elle?
A part les Eglises et les ONG, pas grand-chose. Bien sûr, le 0,01% de Haïtiens éduqués sont des gens formidables. Ils sont à l'origine d'une culture extraordinaire. Mais les 99,99% restants ne font que survivre, même s'ils sont également formidables. Je vous rappelle que les autorités avaient organisé des émeutes et utilisé notamment les viols systématiques de femmes par leurs sbires comme armes de répression. La population est donc traumatisée et incapable de s'organiser sur des bases solides.
Pourtant le pays fonctionnait tant bien que mal...
Si vous appelez «fonctionner» le fait que les 99,99% des habitants n'ont pour eau courante que celle provenant des égouts d'où s'écoule l'eau sale provenant des quartiers riches... Pour se représenter la misère intégrale du pays, il suffit de survoler l'île en avion: du côté de la République de Saint-Domingue (sur la moitié est de l'île), le paysage est chatoyant, vert. Du côté d'Haïti, il est marron, comme si une coulée de boue avait recouvert tout le territoire. De fait, Haïti a perdu presque la totalité de ses forêts.
Comment se fait-il que ce pays soit si misérable?
Parce qu'il n'existe aucun leadership. Le gouvernement ne fait absolument rien. Beaucoup de Haïtiens estiment que l'époque de Papa Doc (le président François Duvalier, qui a régné de 1957 à 1964) était un âge d'or, alors que c'était une dictature méprisable et sanglante.
Mais les gens mangent malgré tout...
Ils vivent de l'aide étrangère et surtout de l'argent envoyé par la diaspora. Plus de 2 millions d'Haïtiens vivent à l'étranger, surtout aux Etats-Unis et au Canada. Autrement, l'agriculture est un désastre. Tout est d'ailleurs importé, même l'eau potable...
Qui va alors remettre le pays sur pied?
Peut-être les ONG et les organisations internationales. Mais en tout cas pas la classe politique actuelle. Pour que ce pays fonctionne, il doit subir un changement structurel profond, et je ne crois pas qu'il aura lieu de sitôt.
Est-ce une situation unique dans le tiers-monde?
Pas tout à fait. Je crois que même des pays très pauvres, tels le Tchad ou le Niger, seraient capables de réparer au moins leurs infrastructures symboliques après une catastrophe. Mais en Haïti je ne pense pas que leurs autorités soient à même de redresser les bâtiments symboliques, par exemple le Palais national, la cathédrale ou le Palais de Justice, qui se sont effondrés pendant le séisme.
Comme ce pays en est-il arrivé là?
Ce pays, qui est né d'une révolte d'esclaves il y a 206 ans, a mal commencé son indépendance, malgré des leaders historiques exceptionnels. Il n'y avait aucune tradition pour bâtir et structurer un Etat moderne. Cette situation lui a valu le surnom, partagé avec le Liberia (une nation créée par des Noirs américains revenus en Afrique pour être indépendants), de première «république nègre». Mais pendant un siècle ou plus, le pays a profité de ses ressources naturelles, surtout du sucre. En 1804, les revenus d'Haïti représentaient environ 25% de la totalité du PIB de l'empire français. Une situation qui s'est transformée ensuite en ce que les économistes ont appelé «la malédiction des ressources naturelles». En d'autres termes, Haïti a pu se reposer sur l'argent provenant de ses exportations massives de sucre et a oublié de développer d'autres secteurs économiques.
Comme ce pays en est-il arrivé là?
Ce pays, qui est né d'une révolte d'esclaves il y a 206 ans, a mal commencé son indépendance, malgré des leaders historiques exceptionnels. Il n'y avait aucune tradition pour bâtir et structurer un Etat moderne. Cette situation lui a valu le surnom, partagé avec le Liberia (une nation créée par des Noirs américains revenus en Afrique pour être indépendants), de première «république nègre». Mais pendant un siècle ou plus, le pays a profité de ses ressources naturelles, surtout du sucre. En 1804, les revenus d'Haïti représentaient environ 25% de la totalité du PIB de l'empire français. Une situation qui s'est transformée ensuite en ce que les économistes ont appelé «la malédiction des ressources naturelles». En d'autres termes, Haïti a pu se reposer sur l'argent provenant de ses exportations massives de sucre et a oublié de développer d'autres secteurs économiques.
Île frappée par le destin
Pauvre parmi les pauvres
Haïti est le pays le plus pauvre du continent américain. Environ 80% de ses 9 millions d'habitants vivent avec moins de 2 dollars par jour, dont les deux tiers avec même moins d'un dollar.
Le chômage atteint 65% et 35% des habitants sont analphabètes.
2008
Chaque année, de juin à novembre, Haïti est balayé par des vents violents et des pluies torrentielles, mais rarement par des tremblements de terre. En 2008, 4 tempêtes et ouragans - «Fay», «Gustav», «Ike» et «Hanna» - ont causé la mort de près d'un millier de personnes et laissé des centaines de milliers d'autres sans-abri. Cette année-là, l'île avait aussi connu trois secoussesde 4,3 sur l'échelle de Richter en treize jours.
2005
Un séisme de magnitude 4,3 avait endommagé le réseau électrique de la capitale.
2004
En 2004, l'ouragan «Jeanne» avait fait plus de 3000 morts. C'est la ville de Gonaïves, une cuvette dans une plaine, qui a le plus souffert. Les collines autour de la ville ont été dénudées pendant des décennies de leurs arbres. Lors des ouragans, la couche arable s'écoule des pentes non protégées, recouvrant la ville de millions de mètres cubes de boue.
1998
Avec 400 victimes, l'ouragan «Georges» a été moins meurtrier que ceux d'autres années, mais en revanche il a détruit plus de 80% des récoltes agricoles du pays. Les pluies torrentielles qui ont accompagné le cyclone ont détruit les plantations qui avaient été très durement touchées par la sécheresse provoquée par le phénomène climatique El Niño.
1994
Plus de 1000 personnes sont mortes, ensevelies pas des glissements de terrain pour la plupart, après le passage de l'ouragan «Gordon».
1963
L'ouragan «Flora» a tué plus de 8000 Haïtiens. Ce cyclone était considéré comme la 6e plus fort du XXe siècle sur le continent américain. Peu après le passage de «Flora», le pays a connu sa pire épidémie de paludisme.
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Un séisme de magnitude 8,1 sur l'échelle de Richter avait détruit la ville de Cap-Haïtien, faisant des milliers de morts.
Rico- Super Star
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Date d'inscription : 02/09/2006
Feuille de personnage
Jeu de rôle: dindon de la farce
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