Le Festival de Jacmel ouvre-t-il la voie a une renaissance ?

JACMEL FESTIVAL CINEMA

Jacmel ou la renaissance est-elle possible ?


PORT-AU-PRINCE, 1er Décembre - Le Festival Film Jacmel ouvrera-t-il la voie à une nouvelle renaissance d'Haïti.

Renaissance est le mot qui fut choisi déjà par un collectionneur et esthète américain nommé Dewitt Peters pour saluer la découverte de ceux qui allaient devenir les grands noms, les immortels, les génies et les pères de la peinture primitive haïtienne bientôt universellement célébrée : Hector Hyppolite, Philomé Obin...

Et Jacmel est la ville de l'un d'entre eux, Préfète Duffault, dont toutes les toiles semblent un chant à sa ville natale.

A l'exception de l'indépendance de 1804, toutes les victoires remportées par Haïti l'auront été grâce à son art. Et qui sait, la cérémonie vodou du Bois Caïman n'a pas fini d'inspirer nos artistes ni de livrer tous ses secrets.

C'est le grand mouvement indigéniste ou retour aux sources qui eut vraiment raison de l'Occupation américaine de 1915-1934...

Et ce sont les festivités du Bicentenaire de Port-au-Prince (1950) qui lanceront Haïti dans le monde contemporain.

Le Festival Film Jacmel, aujourd'hui à sa troisième édition, et qui connaît cette semaine un succès rare depuis longtemps dans notre pays, peut-il nous réconcilier avec ces grands moments de notre histoire ?

Ce qu'on appelle la révolution de 1946 ne fut pas tant un mouvement politique, comme le veulent nos politiciens, qu'un grand bouillonnement culturel, prenant naissance en Haïti. Et devant marquer toute la région et bien au-delà : Cuba, l'Amérique latine, les Etats-Unis, l'Afrique, les Antilles françaises. Et jusqu'en France métropolitaine.

1946 fut la première vraie révélation d'Haïti au monde.

Retrouvant la voie tracée par Pétion et Bolivar, les deux pères de l'indépendance sud-américaine.

Et ce fut en assumant, en osant assumer son héritage (africain et amérindien), sa langue (le créole), et sa religion (le vodou).

Bref, ce fut en proclamant haut et fort son identité. Oui, le premier qui osa dire : black is beautiful.

Un cri du coeur. Un acte de courage - au milieu d'une histoire et d'un monde marqués par l'exclusion - et une vérité qui ne tarda pas à transformer Port-au-Prince en une véritable Mecque de la pensée universelle.

On vit arriver tous les futurs grands noms de la littérature et de l'art (et aussi du cinéma) : le cubain Alejo Carpentier, le poète américain Langston Hugues.

Césaire, Senghor et Damas se déclarèrent des héritiers de Jean-Price Mars, " l'oncle ".

Breton et Sartre vinrent poser avec Dépestre (comme on l'appelait jusqu'alors), Carl Brouard, Magloire Saint Aude et les autres.

Mais aussi le tout Hollywood, California. Marlon Brando a sa suite à l'hôtel Holoffson. Marilyn Monroe parle d'Haïti dans " Let's make love ".

Joséphine Baker chante " mon pays, Haïti. "

Et la grande ballerine, qui a introduit la danse ethnique à Broadway, Catherine Dunham, décide de s'y établir définitivement, là.

C'est ça Haïti.

Et cela fait à peine un demi-siècle.

Oui, 1950, le Bicentenaire de la fondation de la ville de Port-au-Prince, sous la présidence d'un leader issu de cette révolution de 1946, Dumarsais Estimé (que nous appelons toujours " Bisantnè ", comme le dernier vestige d'une grande histoire).

En effet, s'il n'y avait pas eu 46, les vestales de la fontaine lumineuse du Bicentenaire n'eurent pas été des modèles à la Naomi Campbell, mais de pâles répliques de la Vénus de Milo.

On ne serait pas non plus à copier encore notre peinture et notre artisanat dans toute la Caraïbe, toute la région, y compris en Floride pour attirer le touriste.

1946, donc un point de non retour.

Le Jacmel Film Festival peut-il marquer un pareil tournant ? Peut-être, si on lui en donne le temps.

En tout cas, c'est en bonne voie. Car s'il doit y avoir une nouvelle renaissance haïtienne, toute notre histoire nous montre que c'est par la voie de l'art, la culture, l'imagination.

Mais avant tout, l'identité haïtienne. La seule différence !

Editorial, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince