De quoi mon frère est-il l’accusé ?

De quoi mon frère est-il l’accusé ?



Mon frère est en prison à l’Arcahaie, et je ne sais pas pourquoi. Si j’en crois un reporter du Nouvelliste qui a rendu compte de la journée d’audition au Parquet où 8 sur 24 des manifestants arrêtés trois ou quatre jours auparavant ont été entendus, il est en prison parce qu’il n’est pas étudiant de l’Université d’Etat d’Haïti qui était propriétaire des dernières manifestations enregistrées à Port-au-Prince. Mais, est-ce une raison pour emprisonner quelqu’un quand on sait que rien n’empêche à une manifestation d’être soutenue par des courants de solidarité ? Mon frère est en prison, et je ne sais pas pourquoi. Si l’on croit le même reporter du Nouvelliste on est perdu puisqu’il est en prison parce qu’il fait partie des seize « qui avaient en leur possession de l’arme blanche ». Est-ce encore une raison d’arrêter et d’emprisonner quelqu’un quand on sait que nulle part dans les déclarations de la police il n’était question de victimes à l’arme blanche ? Mon frère est en prison, et sa famille ne sait pas pourquoi. D’après la version officielle de la police, il est en prison parce qu’il y avait des actes de violence dans les manifestations dans le contexte desquelles il a été arrêté. Mais est-ce une raison d’arrêter quelqu’un quand on sait que les rapports de police n’ont jamais mentionné de cas de flagrance, régulière ou irrégulière, simple ou complexe ? Mon frère est en prison à l’Arcahaie, et je ne sais pas pourquoi. Si l’on en croit certainesdéclarations, il est en prison parce qu’il passait près des lieux de manifestation. Est-ce là une raison d’emprisonner quelqu’un quand on sait que le droit de circuler librement est reconnu à tous ? Mon frère est en prison, et sa mère ne sait pas pourquoi. Au dire de la société des bienpensants, il est en prison par ce que les étudiants, les jeunes, le méritent bien, eux qui croient qu’ils ont le droit de tout casser quand ils descendent dans les rues. Mais, est-ce normal d’emprisonner un individu pour faire la leçon à l’histoire des luttes. Mon frère est en prison, et je ne sais pas pourquoi. De l’avis des manifestants, il est en prison parce qu’il sert à qui de droit de moyen de pression pour intimider les mmanifestants qui crient leur mécontement de l’ordre social. Mais, est-ce une raison d’arrêter quelqu’un, un élève de surcroit, qui préparait son baccalauréat, pour essayer de sortir la tête du trou de l’exclusion ? Mon frère est en prison, et je ne sais pas pourquoi. Selon une rumeur farfelue, il est en prison parce que son frère a écrit un article très suivi sur la question du salaire minimum. Est-ce là une raison d’arrêter quelqu’un quand on sait que nous sommes dans une démocratie qui stipule que nul ne peut être persécuté pour son opinion. Après quatre nuits de détention provisoire, mon frère a passé est enfermé à l’Arcahaie, et, moi, tout compte fait, tout ça de jours que je suis ce dossier, je n’ai jamais entendu pas même une seule charge d’accusation contre mon lui ou contre aucun des autres personnes qu’on a arrêtées et emprisonnées pour trouble à l’ordre public.

Mon frère, voilà, je sais tout, tu es en prison parce que tu as troublé l’ordre public. Sache que depuis ce jeudi où j’ai reçu ton appel pour me dire que t’es détenu au Pompier, je me meurs. Je m’agite certainement ainsi qu’il est de mon devoir de le faire pour que tu recouvres ta liberté. Mais je me meurs. Dedans, dehors. J’ai reçu le coup au cœur. Iya, ta sainte mère est effondrée. Bélina, ta douce soeur est abattue. Franck, ton frère de sang et de cœur, est triste à en mourir. Yaïssa, ta belle-sœur de complicité, est inconsolable. Nous nous mourrons tous. Ta famille a reçu le coup au cœur. Et, tous nous jetons des larmes et des cris d’impuissants. Mais, même si nous ne savons pas toujours pourquoi on t’a enlevé à notre affection et même si nous sommes déterminés à te sortir de là, nous nous donnons du courage en nous disant que ce coup, même porté au cœur, doit être bon pour nous parce que c’est le coup de la justice. La justice, mon frère, est la chose la plus importante. Elle est comme une grande terre bien gardée, une armée bien solide, elle est tout un ciel qui peut te tomber dessus. Et, quand tu la possèdes, tu as tous les pouvoirs. Si, dans la prison où t’es à l’Arcahaïe – une bonne occasion de réfléchir sur ton drapeau peau peau et l’ordre public, qu’il tienne de l’exclusion et de la mort, ce n’est pas grave, c’est l’ordre public – il t’arrive de te décourager, dis-toi que t’es un privilégié parce que t’es un prisonnier de la justice de ton pays. Et sois fier, et oublie tout. Tout ce que la justice t’a pris, tout ce que la justice nous a pris. A commencer par tes yeux. Dehors, nous qui avons encore le privilège d’être encore dehors, nous te promettons d’implorer la clémence de la justice pour toi et pour les autres qui ne savent pas pourquoi. En attendant, sachez, dignes élus de la justice et de l’ordre public, qu’ici il faut beaucoup et beaucoup de courage pour vivre en beauté et regarder les soleils que ne pourront jamais effacer les mains sales.

Tranquille, Faubert,