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Le retournement de la perspective frontalière

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Message  Maximo Ven 10 Juin 2011 - 7:07

Le retournement de la perspective frontalière



Le nouveau chapitre de notre histoire ouvert par le séisme du douze janvier 2010 comporte la manifestation au grand jour d'une dimension essentielle de notre identité : sa dimension insulaire. Celle-ci autrefois considérée comme un défaut, voire comme un défi, est de plus en plus appréhendée comme une opportunité par les acteurs sociaux les plus impliqués dans le développement des échanges entre Haïti et la République dominicaine . La dimension insulaire, longtemps occultée par une inimitié savamment entretenue par des régimes dictatoriaux d'un autre âge, renvoie à une constante de notre politique étrangère depuis l'aube de nos deux nations : le caractère stratégique des relations haïtiano-dominicaines. L'élection d'un nouveau président en Haïti et la qualité des relations entre le président Leonel Fernandez et le successeur de René Préval avec lequel les relations étaient excellentes, laissent augurer une embellie possible des échanges bilatéraux : les Dominicains ont été les premiers à voler au secours de Port-au-Prince touché par le séisme, cette solidarité en acte doit être l'occsaion d'un nouveau paradigme des relations intra-insulaires : l'amitié haitiano-dominicaine doit être un axe fort de la politique étrangère de notre pays, pour des raisons qui ressortissent de la géopolitique régionale et des intérêts bien compris de chaque nation.
Le propos est de faire un état des lieux des relations bilatérales à une échelle pertinente et dans une perspective qui insiste sur l'insertion des deux pays dans un contexte régional plus large, et qui rappelle leur commune implication dans des processus parallèles d'intégration régionaux sous la forme d'accord de libre-échange. Afin de jeter les bases d'une relation plus équilibrée et respectueuse des intérêts bien compris des deux pays, nous préconisons une meilleure connaissance de la réalité dominicaine ainsi qu'une approche pragmatique des opportunités offertes par le marché dominicain en pleine croissance depuis un quart de siècle.

Une croissance durable caractérise l'actualité des échanges entre les deux territoires depuis un quart de siècle. Les deux pays réputés séparés par une frontière étanche se révèlent les plus proches clients de la Caraïbe par une solidarité de la corde et du pendu qui lie l'économie la plus dynamique de la zone au pays le plus pauvre et le plus instable institutionnellement de la région. En 2010 les importations haïtiennes ont atteint la somme de 900 millions de dollars, et les exportations vers la Domnicanie seulement 60 millions. Autrefois, il y avait trois camions par semaine pour traverser la frontière entre Jimani et Malpasse. Le même poste frontalier en enregistre désormais 60 par jour. De même il y avait trois vols hebdomadaires entre les deux capitales il y a à peine quinze ans, il y a quatre vols quotidiens aujourd'hui.

On assiste aujourd'hui à un retournement de la perspective frontalière, avec des postes frontaliers qui deviennent de plus en plus des pôles attractifs pour des activités liées au trafic transfrontalier. De point de rupture, la frontière se transforme en point de couture entre deux territoires, ce que la demande croissante du marché haïtien tend à renforcer. La crise ouverte par le tremblement de terre du 12 janvier n'a fait que rendre plus manifeste cette intégration à reculons, comme à marche forcée des deux économies.
En effet, il n'existe encore de nombreux freins à l'établissement d'échanges encore plus fluides et plus équilibrés entre les deux pays. La frontière reste fermée entre 16h et 8 heures du matin, les marché frontaliers, la plupart installés du côté dominicain, ne sont actifs que deux jours par semaine pour la plupart. Dans un autre registre, les représentations collectives restent encore largement dominées par des clichés qui dénotent une totale incompréhension entre les opinions publiques des deux pays. N'étant encadrée par aucun accord formel de libre-échange ou d'ajustements douaniers, cette dynamique tend à fragiliser encore davantage le système productif national, Haïti important bien davantage qu'il ne vend au voisin dominicain.

Le passage Belladère-Elias Pina, et au-delà, tout le secteur compris entre Mirebalais et San Juan, voit se mettre en place une région transfrontalière dont les éléments structurants sont déjà en place. Un bassin de vie en gestation qui pourrait devenir à terme le pivot du système spatial insulaire articulé autour de l'Artibonite et de la nationale 3 en construction du côté haïtien. Bien connecté au Cibao, au Nord, à la région du Cap-Haïtien et à la région portoprincienne, cette région est appelée jouer un rôle de passerelle à l'échelle insulaire. On assiste à une diversité d'échanges et de pratiques transfrontaliers qui vont continuer à se développer à un rythme qui dépassera bientôt la capacité des infrastructures douanières actuelles.
C'est à considérer les relations bilatérales dans une perspective plus large qui dilue en intérêt partagé l'acrimonie coutumière du tête-à-tête encore encombré de questions qui fâchent qu'invite le LAREHDO, un laboratoire de recherches créé en 2001 et qui regroupe des spécialistes appartenant à divers horizons disciplinaires. Porter le débat màs alla de la frontera, en quelque sorte, au-delà de la frontière qui nous sépare autant qu'elle nous unit, tel est le défi auquel se collette ce groupe dont les travaux dont déjà donné lieu à des publications sous forme de livres ou d'articles. Le Larehdo produit des analyses et des cartes qui permettent d'éclairer l'analyse et dépassionner le débat.

La locomotive dominicaine
Avec une superficie de 48.730 kilomètres carrés, la République Dominicaine est le deuxième plus grand pays des Antilles après Cuba. Le pays est également le deuxième pour sa population (presque 9,2_ millions d'hab., estimation de 2006) et bénéficie d'un taux de croissance de 6 p._100 qui en fait l'une des économies les plus dynamiques de la Caraïbe depuis les années 1990.

Après avoir été une île à sucre sur le modèle colonial, la République dominicaine s'est convertie, dans les années 1980, en pays atelier (notamment dans le domaine textile) ouvert aux investissements étrangers sous la forme de zones franches industrielles. Ce secteur se combine dès lors au tourisme pour renouveler les fondements d'une économie minée par la crise de la canne à sucre. De plus, la fin des mesures d'exception et des marchés captifs, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, fait perdre les liens privilégiés avec les Américains et les Européens, d'une part; et la concurrence des pays exportateurs de denrées tropicales, d'autre part, obligent à de nouvelles orientations dans les choix économiques.


Dans les années 1960, le PIB/hab. de la République dominicaine était comparable à celui d'Haïti : 800 $/an. Mais alors que l'espérance de vie était de 44 ans en Haïti, elle était déjà de 54% en République dominicaine, la mortalité infantile y était de seulement 149 pour mille au lieu de 253 pour mille en Haïti, l'analphabétisme y touchait 33 % de la population de plus de 15 ans contre 78 % en Haïti. Ce décalage qui existait dans les années soixante et qui témoigne des orientations différentes des politiques publiques, notamment pour ce qui a trait à l'éducation et à la santé publiques, s'est creusé et la croissance durable de l'économie dominicaine n'en fait que mieux ressortir le déclin du tissu économique haïtien. Aujourd'hui, la République dominicaine se caractérise par une croissance élevée reposant essentiellement sur le tourisme et les zones franches. Ces deux secteurs sont venus prendre le relais de l'économie sucrière, dont la crise amorcée au milieu des années 1980 s'est transformée en débâcle depuis la fin de l'accès privilégié aux marchés européens et nord-américains, dans le cadre de la libéralisation des échanges.

A l'origine, l'économie dominicaine reposait sur la culture et la transformation de la canne à sucre, du cacao, de la banane, du tabac, etc. cette agriculture faisait appel au capital et à la main d'oeuvre d'origine étrangère pour assurer son développement, générant un flux important de capitaux et de migrants. La culture de la canne s'était développée en particulier dans le Sud-Est du territoire autour de la capitale Santo Domingo, dans le Nord, autour de Puerto Plata, et dans le Sud-Ouest, autour de Barahona. Le cacao provenait surtout de la région du Cibao oriental, le tabac du Cibao central, la banane de la région de Samana. Les progrès de l'agriculture irriguée ont permis la mise en place de périmètres à hauts rendements dans la vallée de San Juan et le bassin du Yaque del Sur, mais l'agriculture n'est plus le principal moteur de l'économie dominicaine. Avec à peine 12 % de son PIB issu de l'agriculture, la République dominicaine connaît une mutation de fond de son système de production. Les exportations couvrent un domaine élargi qui va des produits agricoles comme la viande, les agrumes, les bananes, le cacao, le sucre, les oeufs, et le tabac, etc. Le plus souvent la main d'oeuvre agricole est constituée de travailleurs haïtiens.

Engagée depuis les années 1950 dans un processus précoce de substitution aux importations, l'économie dominicaine a connu une industrialisation indéniable qui a sensiblement déplacé les bases de son activité, sans réduire sa dépendance au marché mondial: la part des capitaux étrangers est toujours prépondérante dans les investissements productifs. À cet égard, le pays a toujours su tirer parti de sa proximité avec son voisin américain pour mettre en valeur la qualité de ses terres, de sa force de travail et préconiser des dispositions fiscales favorables aux investisseurs. Ainsi, c'est grâce aux capitaux des Américains et des Cubains que, à la fin du XIXe siècle, ont été fondées les premières grandes plantations sucrières qui ont modernisé l'économie nationale. Et c'est avec des capitaux américains, mais également européens, chinois et coréens que fonctionnent aujourd'hui les secteurs clés du tourisme et des zones franches industrielles.

L'industrialisation a généré un mouvement d'exode rural vers les principales villes (Saint-Domingue, Santiago, San Pedro de Macoris) qui a fini par vider les campagnes. L'urbanisation s'est accélérée, aujourd'hui plus de 66 % de la population vit en ville. Portée par le développement du tourisme, la politique de valorisation du patrimoine urbain des principales villes, comme Santo Domingo, Santiago, Puerto Plata a permis l'amélioration des infrastructures urbaines. Des progrès considérables ont été faits dans le domaine de l'éducation, de sorte que le taux d'alphabétisation des adultes dépasse 87 %. Le P.I.B. s'élève à 16,5_milliards de dollars en 2003, et le P.I.B. par habitant est de 2 500 dollars par an par habitant. De la richesse produite, 56% proviennent des services, 32 % de l'industrie et 12 % de l'agriculture. La République dominicaine apparaît comme une économie viable au regard de sa capacité de production de biens dans des secteurs porteurs (services et tourisme), garantissant ainsi son insertion sur le marché régional et mondial. Cela se traduit par une réelle croissance économique, mais dont les retombées sociales ne sont également réparties.

La redistribution des fruits de la croissance est d'autant plus difficile que les investissements réalisés le sont pour l'essentiel dans le tourisme et les zones franches. À travers celles-ci (56 en activité dans le pays en 2005) et les investissements touristiques, le pays a opéré une reconversion réussie de son économie, passée en deux décennies d'exportatrice de denrées agricoles au statut de fournisseur de services et de produits textiles. Cette mutation a eu des effets structurants sur tout le système de production. Les zones franches sont localisées indifféremment à l'intérieur du pays ou sur les côtes, mais le tourisme a fait basculer plus à l'est le centre de gravité de l'espace national, au profit des régions littorales de Punta Cana et Bávaro.

Le développement des pôles touristiques destinés à une clientèle de masse des pays du Nord représente l'aspect le plus dynamique de l'économie dominicaine. Les touristes, majoritairement européens, contribuent pour une part substantielle à la formation du PIB le plus élevé de la région après celui de Porto Rico. Les entrées de touristes ont connu une croissance spectaculaire à partir des années 1990. Le pays accueille désormais 14 p._100 du marché touristique de la zone caraïbe, sa capacité d'accueil a été multipliée par douze en vingt ans, passant de cinq mille lits en 1980 à soixante mille en 2004, avec un taux d'occupation de l'ordre de 75 p._100 dans l'année. La république Dominicaine reçoit environ 3,5_millions de touristes par an (3,9_millions en 2004), ce qui en fait la deuxième destination touristique de la Caraïbe, après Porto Rico. Le tourisme est devenu la première source de revenus du pays: il rapporte plus que les exportations agricoles (2,4_milliards de dollars, contre 201,8_millions de dollars en 2004). Cependant la croissance dominicaine tend à déborder des limites du territoire pour s'intéresser de plus en plus aux pays voisins par rapport auxquels la république dominicaine dispose d'avantages comparatifs décisifs.

Une dynamique centripète

Haïti est désormais le troisième destinataire des exportations dominicaines, juste après les États-Unis et Porto Rico. Ce regain d'intérêt commercial est une conséquence de l'embargo imposé à Haïti entre 1991 et 1994, époque durant laquelle s'est intensifiée la contrebande entre les deux territoires. Depuis, les réseaux qui avaient permis un tel commerce se sont renforcés et sont devenus pérennes après la levée de l'embargo. Les provinces frontalières dominicaines sont à l'échelle nationale des marges appauvries qui n'arrivent pas à retenir leur population et dont les indicateurs socio-économiques sont parmi les plus faibles du territoire. Et pourtant, elles trouvent dans la proximité du marché haïtien un partenaire à leur niveau.
Néanmoins, l'essentiel des marchandises commercialisées en Haïti provient des autres régions dominicaines. On peut parler à cet égard représenter les relations bilatérales sous la forme d'un chorême (voir carte) : l'île est représentée sous la forme d'un papillon dont les quatre ailes, de dimensions inégales, symbolisent les extrémités péninsulaires de chaque pays. Dans ce dispositif il apparaît que les deux territoires fonctionnent comme des systèmes ouverts qui communiquent à travers la frontière. Celle-ci est représentée comme une zone qui intègre, et non plus comme une ligne qui sépare. Deux axes servent de ligne de force à la construction de l'espace national : le Cap-Port-au-Prince en Haïti, Santiago-Santo Domingo en Dominicanie. Mais le passage est plus intense en certains points qu'en d'autres, de là la distinction entre la plaque tournante du Nord, le couloir inachevé du Centre, la passerelle centrale et l'enclave du Sud. C'est à l'articulation des économies frontalières que donnent lieu les échanges qui de part et d'autres se développent.
Le Cibao et le Sud-Est du territoire profitent davantage du marché haïtien que les provinces de Dajabon, d'Elias Pina ou de Pedernales. Elles produisent les marchandises dont le marché haïtien est le plus demandeur : barres d'acier pour la construction, farine de blé, oeufs et ciment. Les deux pays fonctionnent comme deux systèmes connectés par des synapses aux capacités de passage différentes. Alors que la région frontalière était avant une zone répulsive toujours caractérisées par des densités de population plus faibles (selon les données de la FLACSO la densité moyenne de la région frontalière dominicaine était de seulement 36 habitants au kilomètre carré, au lieu de 168 à l'échelle nationale), les échanges transfrontaliers sont entrain de changer la donne et de transformer les régions frontalières en un lieu d'interface et de synergie entre deux économies insulaires. Les flux (voir chorême) s'interpénètrent dans un jeu d'engrenages régionaux qui ne laissent aucune région totalement à l'écart, mais toutes ne sont pas également impliquées dans les échanges. De là la typologie des points de passage. Cette typologie repose à la fois sur la vitalité économique de la zone et l'intensité de son apport dans les échanges. Il y a ainsi un écart sensible entre les provinces comme Dajabon et Montecristi, respectivement 57 et 54 habitants au kilomètre carré, et celles de Indépendencia et Pedernales, respectivement 23 et 10 habitants au kilomètre carré. La part dans les échanges est inégalement distribuée : 62,33 M de $ par an pour la province de Dajabon ; 48,17 M d'exportation annuelle pour Independencia, 23,42 M pour Elias Pina et seulement 5,09 pour Pedernales en 2006 selon la Chambre de Commerce de Santo Domingo. Il y a ainsi un gradient de développement nord-sud au niveau des provinces frontalières dominicaines, qui est le contrepoint de la disparité entre les départements limitrophes haïtiens.

De telles disparités sont à l'origine de mouvements migratoires du côté le plus pauvre vers le plus riche. Ainsi, nombreux sont les Haïtiens qui traversent tous les jours la frontière à la recherche de meilleures conditions de vie de l'autre côté. Ils n'y sont pas toujours les bienvenus. Les rapatriements d'Haïtiens sont quotidiens, 200 à 300 clandestins sont remis par mois aux autorités haïtiennes. Mais combien sont-ils à passer entre les mailles du dispositif militaire mis en place depuis des années, renforcé en 2007 par la création d'une division spéciale de la police : un corps de 800 hommes chargés spécialement de contrôler le trafic transfrontalier. La principale motivation de ce corps, c'est de surveiller le trafic de la drogue et des armes. Les Haïtiens continuent de passer anba fil en grand nombre, malgré le caractère souvent inhospitalier de l'accueil dominicain. Les conditions de travail y sont rudes et mal rémunérées, certains n'hésitent pas à parler de trafic d'hommes alléchés avec des promesses d'embauche transformées en travail forcé dans les champs de canne des bateyes. Endettés, sans papiers légaux, coupés du pays natal, les Haïtiens et leurs descendants constituent une population à part, et les bateyes des enclaves où les conditions de vie sont pires que dans toutes les autres régions du pays. Ce sont en quelque sorte des îlots d'Haïti au cœur des campagnes dominicaines dont ils ont contribué à assurer le développement, sans contrepartie et sans la reconnaissance du pays pour les sacrifices consentis. Trois générations de travailleurs vivent sur le territoire avec un statut de transit permanent qui ne les autorise pas à accéder à la nationalité dominicaine.

Les liens sont rendus à la fois plus intenses et plus tendus par la présence en République Dominicaine de plus d'un million de personnes d'origine haïtienne, y compris les Dominicains de 2e, 3e générations d'origine haïtienne. Cela a créé un courant d'échanges grandissant entre les deux territoires. Il n'y a pas moins de deux liaisons quotidiennes par air et par terre entre les deux capitales, sans compter les minibus qui sillonnent les routes, chargés de victuailles achetées par les grossistes haïtiens pour les revendre dans leur pays. La création, en 2002 à Maribaroux, en Haïti, d'une zone franche à capitaux dominicains (Grupo M, originaire de Santiago de los Caballeros) est significative du changement dans les relations bilatérales (d'une situation de confrontation latente à une certaine détente) La loi du 2 janvier 2001 a créé des dispositions spéciales pour les entreprises qui acceptent d'investir ans la zone, c'est le créneau mis à profit par le Grupo M. C'est également dans cette perspective que se construit à Dajabon avec l'aide de l'Union Européenne un grand marché binational de 13 000 mètres carrés destinés à renforcer la plaque tournante du binôme Ouanaminthe-Dajabon. Ce dispositif doit compléter un programme plus large qui comprend la construction de la route Dajabon-Cap Haïtien qui doit raccorder les deux villes avec Santiago. Il existe ainsi un fonds européen de 25 000 000 d'euros destinés à financer les projets binationaux qui ont pour cadre la région frontalière. Pour l'heure, l'essentiel des échanges se font par le biais de marchés bi-hebdomadaires qui se tiennent dans les localités frontalières dominicaines: c'est une activité florissante, mais le déséquilibre est grand entre les ventes dominicaines et les exportations haïtiennes (569,36 millions de dollars d'exportations dominicaines contre seulement 61,97 millions de dollars par an d'exportations haïtiennes).

Paradoxalement, il n'existe pas de perspective d'accord de libre-échange entre Haïti et la République dominicaine, le statu quo convient mieux aux intérêts des Dominicains qui peuvent bénéficier de l'ouverture du marché haïtien sans contrepartie. C'est surtout en direction des pays de l'Amérique Centrale que se déploient les efforts d'intégration de la République dominicaine En effet, en septembre 2005, le pays a signé un accord de libre-échange avec les cinq pays d'Amérique centrale (Guatemala, Salvador, Nicaragua, Costa Rica et Honduras) et les États-Unis, le C.A.F.T.A.-D.R. (Central American Free Trade Agreement-Dominican Republic). Cet accord, ratifié en 2007, doit permettre une intégration encore plus poussée au marché nord-américain du pays et du marché de l'Amérique Centrale. Les relations avec cette partie de la Caraïbe sont déjà anciennes et diversifiées. En ce sens l'accord ne fait que formaliser une tendance durable, facilitée par la communauté de langue et de culture entre les différents partenaires qui offrent de surcroît un marché plus important que celui des seules Antilles. Il s'agit d'un groupe au sein duquel le pays se sent en relation avec des partenaires de taille comparable quant à la démographie et au potentiel de développement : il y a 11 686 000 habitants au Guatémala, 6 574 000 à El Salvador, 6 399 000 au Honduras, 5 207 000 au Nicaragua, 4 112 000 au Costa Rica, soit un marché global de près de 34 millions d'habitants (chiffres de l'OMS de 2001). Le C.A.F.T.A-D.R. peut également être interprété comme une façon de faire contrepoids à la montée en puissance, dans la région, d'une opposition (autour du Venezuela et de Cuba) au projet des États-Unis de créer un grand marché hémisphérique. C'est donc un premier pas vers la consolidation de la zone de libre-échange des Amériques (Z.L.E.A.). Par la République dominicaine interposée, cette ouverture sur l'Amérique Centrale aura des conséquences prévisibles également sur l'économie haïtienne qui ne pourra pas s'opposer à l'arrivée de marchandises étrangères sur son marché (notamment les produits de l'industrie pharmaceutique). La République dominicaine a vocation, dans les prochaines années, à devenir un pilier du Marché commun des Caraïbes (Caricom) avec lequel elle a signé un accord de partenariat ,sans y adhérer, en 1998. L'Accord de Partenariat Economique signé en octobre 2007 par les pays du Cariforum avec l'Union Européenne offre un cadre idéal pour un tel élargissement qui ne refait que renforcer les échanges bilatéraux entre Haïti et sa voisine. En République dominicaine, la Direccion Nacional de la Fronteras s'occupe de la coordination des projets de développement. Le CEI-RD, récemment créé sous le gouvernement de Leonel Fernandez, se révèle très dynamique pour la mise en oeuvre d'une politique tout azimut de promotion des exportations dominicaines à l'échelle mondiale et régionale. A l'échelle insulaire, la Commission Mixte, créée en 1996, est chargée des relations bilatérales, mais cet organisme est resté en-deça des espoirs placés en lui de stimulation des échanges et de rapprochement entre les deux peuples. Depuis peu, les chambres de commerce des deux pays établissent des rapports qui semblent témoigner d'un intérêt mutuel des élites haïtiennes et dominicaines a un renforcement des relations commerciales entre les deux pays. Tandis que les échanges informels continuent de croître de manière vigoureuse et semblent s'accommoder de l'absence de tout cadre réglementaire.



D'une île, l'autre

La croissance soutenue de la République dominicaine crée un effet d'appel d'air dont une frange importante du territoire national subit les effets sans toujours en tirer les avantages. L'idée est de faire fond sur le potentiel de développement des régions frontalières pour enclencher un processus de développement en Haïti en appuyant les filières d'excellence de l'économie haïtienne. Qu'il s'agisse de l'agriculture, des services et de l'industrie, c'est un manque d'encadrement et d'infrastructure qui empêche la proximité du territoire dominicain de produire tous ses effets. La région Centre offre un territoire d'analyse asssez intéressant à cet égard, étant le point de passage le plus central du territoire et le lieu de l'articulation la plus sensible entre les deux territoires, puisque c'est la région qui a le potentiel de développement transfrontalier le plus élevé.
Nous constatons que les producteurs haïtiens de pois congo, de pintades, de mangues, de café, d'avocats, etc. qui y disposent de meilleures conditions de transport, de stockage et de diffusion de leurs biens en République dominicaine augmentent leurs marges bénéficiaires et réalisent des bénéfices qui en les font regarder de plus en plus vers l'Est. Les échanges avec la République dominicaine connaissent une hausse sensible à l'avantage des fournisseurs dominicains qui écoulent sur le marché national les biens alimentaires (riz, sucre, lait, banane, oeufs, volaille), les matériaux de construction (ciment, acier, plastic) et les pièces de rechange nécessaires au bon fonctionnement de l'économie. La construction récente d'une route entre le Cap-haïtien et Ouanaminthe doit développer les échanges dans cette partie de la frontière et renforcer l'axe en formation entre les deux métropoles régionales, Santiago et le Cap-Haïtien, respectivement seconde ville dans les hiérarchies urbaines dominicaine et haïtienne. Déjà on voit se mettre en place dans la région de Dajabon-Ouanaminthe une véritable plaque tournante assurant l'articulation entre les économies de la Plaine du Nord et du Cibao.
Entre Belladère et Elias Pina, il s'agit plutôt d'un couloir inachevé, tant le potentiel de croissance du plus important bassin versant commun aux deux pays semble receler de défis. Les villes de Hinche, Thomassique, Mirebalais et Lascaobas sont déjà sous l'influence à distance de SanJuan et de Elias Pina, les deux localités dominicaines les plus importantes dont la prégnance s'exerce en profondeur désormais sur le territoire haïtien. L'amélioration des liaisons terrestres renforcera cette emprise dans un premier temps si rien n'est fait pour renforcer en même temps les capacités de production des campagne set des provinces limitrophes haïtiennes. Sans ces garde-fous nécessaires, l'ouverture du territoire haïtien se fera au détriment de son agriculture et de son artisanat, son commerce étouffera ses ateliers et ses usines. De nos jours, Belladère retrouve dans le commerce transfrontalier une place de moyeu grâce à la construction d'un nouveau marché (du côté dominicain) et grâce à l'établissement de mesures de contrôle et de formalisation du passage (à Carizal).
Tout le long de la frontière, des marchés se tiennent deux fois par semaine, où affluent des producteurs des deux pays, pour échanger leurs biens et nouer des relations qui ne se limitent pas à une affaire d'argent : Tilori, Los cacaos, Las Matas de Farfan, Hato Viejo, Banica, etc. La facilité avec laquelle les consommateurs haïtiens arrivent à satisfaire leurs besoins en ayant recours au marché dominicain a fini par tisser des liens profonds entre les Haïtiens de la région et la Dominicanie. A l'analyse, on s'avise que les commerçants haïtiens (une majorité de femmes) ont recours au territoire dominicain pour accéder à des biens et des services qui font défaut sur le marché national : faute de moyens de transport et de stockage adéquats les producteurs haïtiens livrent aux Dominicains leurs marchandises à vil prix, pour éviter à gérer des stocks. De plus en plus d'habitants de Belladère vont en Dominicanie pour recevoir des soins, s'instruire ou se procurer des biens de première nécessité. Le passage de la frontière s'inscrit peu à peu dans une trajectoire quotidienne qui participe d'une intégration accrue des aires de sociabilité.
Le moment est venu de créer des Centres Multiservices (ou STKS : Sant tout Kalite Sèvis) qui mettent à la disposition des usagers des marchés des dépôts, des espaces réfrigérés et secs, des lieux sécurisés et des espace d'accueil pour faire leurs transactions et développer les échanges avec le pays voisin. Des services de transport plus adaptés à la traversée de l'Artibonite en bac plutôt qu'à gué comme c'est le cas actuellement s'imposent. Ces centres pourraient également intégrer des ateliers d'artisanat d'art destinés à la diffusion de notre savoir-faire en matière de peinture, de sculpture et de fer découpé.Le plan d'action proposé par le LARHEDO comprend à la fois le renforcement des capacités de gouvernance, d'encadrement et de production en partant de l'idée que nous avions raison lorsque, il y a dix ans, au moment du lancement de notre laboratoire, nous présentions la zone frontalière comme le nouveau foyer des relations transversales en train de se mettre en place sur cette île. Nous parlions d'une tendance centripète en train de se substituer au mouvement centrifuge qui avait présidé à la désaffection de pans entiers du secteur frontalier, du fait de politiques de relégation ou de répression à l'instigation des régimes autoritaires installés des deux côtés de l'Artibonite durant une bonne partie de l'histoire. Avec plus de 20 millions d'habitants répartis entre les deux pays, Quisqueya est désormais le bassin de vie le plus peuplé de la Caraïbe, avec le marché le plus prometteur. Les mécanismes d'intégration en cours opèrent de façon disparate et divergente : Haïti est membre du Caricom et la République dominicaine de CAFTA-DR, deux marchés d'intégration régionale qui semblent évoluer parallèlement. L'île offre le lieu et la possibilité d'une articulation entre les marchés insulaires et les marchés de l'isthme qui cherchent les uns et les autres une meilleure mutualisation de leurs forces pour tirer le meilleur parti de la mondialisation en marche.

Dans les relations internationales, la sagesse veut que chaque pays défende ses propres intérêts. Pour ce faire, le recours à la guerre constitue l'ultime moyen d'obtenir ce que l'on considère comme relevant de son intérêt vital. Il n'y a à ce jour rien, dans les relations entre les deux pays qui mettent substantiellement en danger la paix, mais les bavures quotidiennes, la chronique des assassinats d'Haïtiens restés impunis alimente une mémoire collective qui n'enregistre que les travers dans les échanges bilatéraux, sans voir que la réalité est plus complexe, qu'à plusieurs égards le voisinage est excellent entre les deux pays, la relation cordiale entre les deux peuples. Le tremblement de terre du 12 janvier fut l'occasion de passer un nouveau cap dans les relations bilatérales. La mobilisation de la population dominicaine pour acheminer les tout premiers secours fut exemplaire. En l'absence de tout mode d'accès aux victimes haïtiennes, c'est par les aéroports et les ports dominicains que furent introduits les engins lourds et le matériel de chantier nécessaire aux opérations de sauvetage. Le président Leonel Fernandez fut le premier chef d'Etat étranger à rendre visite à Haïti, en voisin respectueux des usages et sincèrement désolé du malheur d'autrui. Le même qui, quelques années auparavant, avait été reçu avec des pierres fut cette fois-ci accueilli en ami par un peuple endeuillé, mais reconnaissant de la magnanimité du geste. Pour gage de sa bonne foi, le président dominicain offrit à l'université haïtienne un campus universitaire d'un coût supérieur à 50 millions de dollars. Cela oblige à considérer désormais différemment l'ami dominicain, sa main tendue et ses efforts en vue d'un avenir partagé.
Il s'agit de considérer la frontière, non pas comme une barrière, mais plutôt comme un pli, le lieu où se fait l'articulation entre deux plans d'un même cadre. Cette perspective transversale nous semble plus propice à la compréhension de divers aspects de la culture et de certains affects qui traversent les relations entre les deux peuples. La frontière, avec ce que cela comporte de frein, de limitation à la liberté des échanges, laisse, de part et d'autre, un sentiment d'inachevé. La destruction des infrastructures portuaires et aéroportuaires de la capitale après le séisme du 12 janvier 2010 a obligé les importateurs de passer par le territoire dominicain pour pouvoir acheminer des biens en Haïti, surtout pendant la période d'urgence : c'est par et à travers la Dominicanie que sont arrivés les premiers secours et les engins de levage nécessaires aux opérations les plus complexes. Dans un autre registre, la montée continue des eaux du lac Azuéi et l'encombrement de la route entre Jimani et Malpasse obligent certains transporteurs à préférer le passage de Belladère-Elias-Pina. Ce détour comporte de surcroît l'avantage d'emprunter un couloir où les contrôles sont réputés plus informels, donc plus faciles à occulter au fisc et à l'autorité douanière. Une nouvelle douane a été installée à Thomassique qui tend à concurrencer le poste de Belladère, mais de toutes les façons, les taxes ainsi prélevées ne restent pas dans la région, mais sont absorbées par le pouvoir central : de sorte que Thomassique et Belladère ne font qu'enregistrer des flux dont ils ne tirent aucun bénéfice direct : c'est cela l'effet tunnel de la frontière.
Cela rend d'autant plus nécessaire un aggiornamento des modes de représentations. C'est la responsabilité des hommes politiques d'inventer des paradigmes nouveaux capables de changer l'iconographie des peuples. Qu'Haïti cesse d'être un problème, que l'immigration cesse d'être la seule solution aux Haïtiens aux abois, que la loi soit claire sur la définition de la nationalité des fils de migrants, etc. tout cela relève du bon sens et de la sagesse. Il n'est pas nécessaire d'être d'accord sur le but à atteindre pour entamer le dialogue.
Cela signifie que pour avancer dans la voie de la concertation entre les deux pays, pour aller plus loin que les échanges de biens de première nécessité, pour inscrire dans la durée et la complexité les relations entre les deux pays, il faut une politique animée d'une vision commune. D'un idéal accessible à deux. Pour concilier les efforts des deux peuples face aux défis qui les attendent en matière de développement, de gestion des risques naturels et de lutte contre les trafics de tout genre, il faut inverser la perspective et cesser de regarder vers le passé pour envisager ensemble les défis présents et à venir.


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Message  Invité Ven 10 Juin 2011 - 8:24


Ca fait longtemps que j'avais ecrit que nous etions condamnes a nous entendre sur cette ile que nous partageons .Ca se voit que la maturite politique est du cote de la republique dominicaine .En fait de politique etrangere nous sommes encores des paysans d'un fief de grand seigneur pauvre et belliqueux

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Message  Le gros roseau Ven 10 Juin 2011 - 9:31

"Dans les années 1960, le PIB/hab. de la République dominicaine était comparable à celui d'Haïti : 800 $/an. Mais alors que l'espérance de vie était de 44 ans en Haïti, elle était déjà de 54% en République dominicaine, la mortalité infantile y était de seulement 149 pour mille au lieu de 253 pour mille en Haïti, l'analphabétisme y touchait 33 % de la population de plus de 15 ans contre 78 % en Haïti. Ce décalage qui existait dans les années soixante et qui témoigne des orientations différentes des politiques publiques, notamment pour ce qui a trait à "

Ce paragraphe est très instructif pour comprendre le decalage qui existe aujourd'hui entre les economies des deux pays.Pourquoi les dominicains ont tant progressé et nous avons tant regressé?Les fanatiques de la revolution kann kale doivent nous eclairer.ce n'est pas après 1986 ce decalage a debuté.Voila pourquoi quand les macoutes parlent des vingt cinq dernières années je leur demande de remonter plus en arrière pour bien comprendre les causes de ce desastre que nous constatons aujourd'hui.

oui c'est vrai durant les vingt cinq dernières années rien d'important n'a ete realisé a cause des crises politiques,mais le pays paie les consequences des negligences des années anterieures.On n'a qu'à visiter un super market Bravo pour voir combien de produits dominicains sont vendus aux etats-unis.Malgre le nombre important d'haitiens vivant à little haiti, a brooklyn ,a Queens les haitiens ne vendent pas autant de produits haitiens dans leurs petites boutiques;Pourquoi?C'est parce que nous negligeons ce qui est essentiel pour imiter des structures gouvernementales qui ne correspondent pas à nos moyens.Toutes les recettes fiscales servent a payer une bureaucratie dispendieuse qui empeche au gouvernement d'investir dans les moyens de production de biens et de services.

Regardez le decalage entre l'industrie touristique des deux pays.Les haitiens depensent des millions de dollars annuellement pour passer quelques jours en territoire domincain.pourquoi vont-ils en republique dominicaine au lieu de visiter leur pays d'origine?

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Message  Invité Ven 10 Juin 2011 - 11:42

L'esthetique du roi-negre ,Roseau .Ca se manifeste a tous les niveaux de l'economie nationale .Je ne veux meme parler du choix de nos filles qui n'est pas du au hasard des rencontres . Touotan ke nou vle bali yon lot non nou fek kare kanpe deye kamyonett la ap rele a gorge deployee :

Leogannn !Leogann !

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Message  Le gros roseau Ven 10 Juin 2011 - 13:42

Sak fè milet la pran voye pye la?eske se pa verite map di?Si w vle pale ak mwen yo diw ou ka fè sa nan MP ya.na joure jan nou vle.Map tann w.

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