Opinions: Haiti, perle des Antilles ?

SOCIÉTÉ / HISTOIRE / Haïti, perle des Antilles ?

par Jean-Claude Noël
nhrni@yahoo.fr

A quand remonte l’expression « Haïti, perle des Antilles » ? Pas du temps de la colonisation espagnole ! De celle de la France ? C’est possible. Si c’est le cas, il faut relever la grossièreté de l’erreur historique. Je vous préciserai, que l’île héritée par la France a certainement été appelée Haïti par les aborigènes qui l’ont habitée avant les Espagnols. Ces derniers ont remplacé la dénomination Haïti par celle d’Hispaniola. Les aborigènes ont disparu, victimes de la cupidité des Européens, comme l’a si bien dit Dessalines dans sa fameuse proclamation du 28 avril 1804. Les Espagnols ont transporté, d’Isabella dans le nord, sur les rives de l’Ozama, dans le sud-est, la capitale de leur première colonie dans le Nouveau Monde et l’ont baptisée Santo Domingo. Les premiers aventuriers français ont tiré de cette dénomination celle de Saint-Domingue qu’ils ont appliquée à la partie occidentale, tombée sous leur contrôle. Il s’agirait ainsi non d’Haïti mais plutôt de « Saint-Domingue, perle des Antilles. »

Vous m’objecterez sans doute que la France, qui d’abord occupe le tiers occidental de l’île (traité de Ryswick, 1697), a acquis en vertu du traité de Bâle (1795) l’île entière et que le nom de Saint-Domingue s’est étendu, cette fois-ci, à l’île entière. On a pour preuve post-coloniale les inquiétudes géostratégiques de nos premiers dirigeants, que révèlent les différentes campagnes de l’Est. Les premiers chefs d’État haïtiens ont longtemps considéré l’île entière comme relevant d’un seul et même État, d’un territoire unique. Non pas que Saint-Domingue soit Haïti, mais, consécutivement au traité de Bâle, le territoire de Saint-Domingue se confond de facto avec celui d’Haïti. Cependant, l’avenir en a décidé autrement, exception faite de l’intermède boyériste (1818-1843). Assuré- ment ! Vous répondrai-je.

« Haïti, perle des Antilles » évoque l’ancienne splendeur coloniale et est ainsi mensonge historique, perpétué par une tradition d’absence d’esprit critique. C’est une invention, ou plutôt une transposition dans l’époque nationale haïtienne. La prospérité prétendue de Saint-Domingue a supposé l’esclavage organisé par le gouvernement de France au profit de ses ressortissants. Les esclaves importés d’Afrique et leurs descendants maintenus dans la servitude n’étaient pas Français. Il est vrai que le Code noir admettait les affranchis même nés en Afrique au rang des sujets de plein droit du royaume. Il est vrai que le décret du 4 février 1794 rendait à la liberté tous les anciens esclaves et leur reconnaissait la qualité de citoyens français. Mais Vertus Saint-Louis rapporte dans son livre Aux origines du drame d’Haïti. Droit et commerce maritime : « Le député Serres déclare : « Je déteste ces hommes [Sonthonax et Polvérel] envoyés dans les colonies par les Jacobins ; je dénonce ces hommes qui, par le même système que Robespierre, ont désolé les colonies ; je les dénonce pour avoir anéanti les moyens d’échange qui s’élevaient à 70 millions avec lesquels les greniers de l’Europe vous étaient ouverts. Je voue à l’exécration ceux qui ont détruit pour ma patrie des avantages aussi immenses, ceux qui ont anéanti tout son commerce, ceux qui ont fait disparaître la plus riche de ses propriétés ».

La disparition de ce commerce représente-elle vraiment un anéantissement ? Et pour qui ? Pour quelles raisons, les commissaires civils Sonthonax et Polvérel, puis les premiers dirigeants indigènes n’ont pas pu rétablir le système de plantations qui assuraient les anciennes fortunes coloniales ? Les chefs indigènes entrés en possession des terres des anciens colons, ont cru pouvoir rétablir à leur propre profit de nouveaux maîtres, l’ancienne prospérité. Ils n’ont pas eu assez de lumières pour se tourner en homme libre vers la mer, apprendre à la chérir, la maîtriser. Ils se sont isolés rêvant d’une autarcie sur terre, ce qui leur a valu une insularité puérile. « Saint-Domingue, perle des Antilles » devient ou doit devenir « Haïti, perle des Antilles ». Comment ? Par un retour à la société et l’économie de plantations : une économie agricole, que l’on ne cesse depuis de caractériser la vie économique nationale.

L’idée de cette richesse passée que pourrait procurer la terre se retrouve de façon inconsciente derrière l’expression Haïti perle des Antilles et renvoie à un âge d’or que l’on veut entretenir dans l’imaginaire collectif.
Le mythe d’Haïti, perle des Antilles, mort dans l’action, devient vivant dans l’imaginaire. Or, à chaque fois que nous prononçons cette expression, nous assumons, sciemment ou autre, le poids meurtrier de cet ancien système qui a rendu possible ce fait, d’une part ; de l’autre, il s’agit d’une résignation historique et politique. Historique, comme si l’histoire était une fatalité ; politique, cautionnement du comportement prédateur et démagogique de la plupart de nos dirigeants. Justification de leur incompétence et inconséquence.

En définitive, retenons quand même, malgré tout, la parenté modale et morale entre Saint-Domingue et Haïti. Saint-Domingue, perle des Antilles peut bien se transposer à Haïti, perle des Antilles, car Haïti, malheureusement, est encore Saint-Domingue sousun autre nom.

mercredi 14 mars 2007