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EN AMERIQUE LATINE-L'ERE DES COUPS D'ETAT EN DOUCE

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EN AMERIQUE LATINE-L'ERE DES COUPS D'ETAT EN DOUCE  Empty EN AMERIQUE LATINE-L'ERE DES COUPS D'ETAT EN DOUCE

Message  Joel Mer 4 Mai 2016 - 7:35

MAURICE LEMOINE EKSPLIKE ke KOUNYE an ,PEYI ,menm kote ke gen LAME yo ,paka FE KOUDETA KLASIK anko;alos yo IZE lot TAKTIK ,ki komanse ak PRES lan.

Se tankou LEMOINE t ap pale ak yon PATISIPAN sou SIT lan.Misye di ke le GOUVENMAN GOCH LATINO-AMERIKEN yo ap ize de TAKTIK ORIJINAL pou we si yo ta ALEVYE POVRETE ,yo AKIZE yo de "POPULISME" yon MO PAS PATOU:
http://monde-diplomatique.fr/2014/08/LEMOINE/50711


Bolivie, Equateur, Honduras, Paraguay, Venezuela...

En Amérique latine, l’ère des coups d’Etat en douce


Habituée aux putschs, l’Amérique latine est redevenue, après l’hiver des dictatures, un laboratoire d’expérimentations politiques à gauche. Mais, désormais, les Etats-Unis et leurs alliés ont appris à renverser — ou tenter de renverser — sans trop d’effusions de sang les gouvernements qui les dérangent.

par Maurice Lemoine  




Le Monde diplomatique

En Amérique latine, l’ère des coups d’Etat en douce




Miami, 23 septembre 2010. Dans les locaux du luxueux Bankers Club et sous les auspices de l’Institut interaméricain pour la liberté et la démocratie, l’anticastriste radical Carlos Alberto Montaner introduit la conférence « L’effondrement des modèles du socialisme du XXIe siècle ». Dans l’assemblée, on remarque quelques exilés équatoriens très connus : M. Mario Ribadeneira, ex-ministre du gouvernement de M. Sixto Durán Ballén (1992-1996) — l’apogée du néolibéralisme à Quito — ; M. Roberto Isaías, qui a fui la justice après avoir causé la faillite frauduleuse de sa banque, Filanbanco, la plus grande du pays ; l’ex-colonel Mario Pazmino, directeur du service de renseignement de l’armée, destitué en 2008 par le chef de l’Etat Rafael Correa pour ses liens un peu trop étroits avec la Central Intelligence Agency (CIA).

Orateur du jour, l’ex-colonel puis président équatorien Lucio Gutiérrez, chassé du pouvoir par une rébellion populaire le 20 avril 2005, dénonce les visions millénaristes et mystiques des socialistes, leur marxisme en capilotade, leur populisme dangereux. Il prédit l’arrivée d’un nouvel âge de bonheur et de progrès. Sous réserve, bien sûr, qu’on respecte certaines conditions... « Pour en terminer avec le socialisme du XXIe siècle, il faut en finir avec Correa ! » C’est dit ; c’est même enregistré. Tout comme le tonnerre d’applaudissements qui salue l’intervention.

Une semaine plus tard, dans la nuit du 29 au 30 septembre 2010, à Quito, dans l’un des vingt et un salons du Swissotel, une réunion des membres de l’opposition se prolonge jusqu’à 3 heures du matin. A 7 heures, sur la chaîne télévisée Ecuavisa, l’émission « Contact direct » reçoit M. Galo Lara. Face à la caméra, ce dirigeant du parti Société patriotique (SP) évoque la loi de service public que vient d’approuver l’Assemblée nationale. Elle concerne diverses catégories de fonctionnaires, dont les policiers. Elle met fin à une série de privilèges : bonifications, primes pour la remise de médailles et de décorations, cadeaux de Noël, etc.

En contrepartie, elle leur attribue d’autres avantages, dont le paiement des heures supplémentaires et l’accès à des programmes de logements sociaux. Pour autant, les propos de M. Lara claquent comme des coups de fouet : « Le président Correa a arraché leurs jouets aux enfants des policiers. C’est pour ça qu’il a peur qu’on le lynche ! C’est pour ça qu’il prépare ses valises pour quitter le pays ! » Fichtre... Un article apocalyptique de l’éditorialiste-vedette Emilio Palacio paraît également dans le quotidien El Universo.

Lorsque, à 8 heures, M. Correa apprend que, pour protester contre la fameuse loi, les policiers observent une grève des bras croisés dans l’enceinte du régiment Quito, il n’hésite pas une seconde, se souvient son ministre de l’intérieur de l’époque, M. Gustavo Jalkh : « “Il s’agit d’un malentendu, je vais négocier directement avec eux.” » Abandonnant le palais présidentiel de Carondelet, tous deux se rendent sur place. La nouvelle de leur présence ondule à la surface de la foule des huit cents membres des forces de l’ordre massés là. « Les communistes arrivent ! » ; « Dehors, les chavistes ! » — en référence, bien sûr, au président vénézuélien Hugo Chávez (qui décédera en 2013).

Mêlés aux « flics » de base, les meneurs — lunettes noires, émetteurs-récepteurs, téléphones portables — organisent le chahut. Parmi eux, comment ne pas remarquer M. Fidel Araujo, porte-parole de l’ex-président Gutiérrez et dirigeant de SP, son parti ? Bousculades, insultes..., des grenades lacrymogènes s’abattent sur le chef de l’Etat. Depuis une fenêtre du deuxième étage, où une poignée de gardes du corps réussissent à grand-peine à le faire entrer, M. Correa tente d’articuler un discours : « Cette loi va améliorer votre condition. Nous avons travaillé pour la police, rappelez-vous tout ce qu’on vous a donné (1)  ! »

Il se fait huer. Il entend même : « Attrapez-le ! Tuez-le ! » Un tumulte emplit son crâne. Il desserre alors sa cravate et ouvre son col de chemise en un geste de défi : «  Señores, si vous désirez tuer le président, il est ici : tuez-moi, si vous voulez ! Tuez-moi, si vous en avez le courage, au lieu de vous cacher lâchement dans la foule ! » Impudence ? Imprudence ? Par son aspect spectaculaire, l’épisode ne passera pas inaperçu.

Quatre cents soldats ont pris le contrôle de l’aéroport Mariscal Sucre de Quito. Egalement investis : la base de l’armée de l’air de Tacunga ; l’Assemblée nationale (par la garde législative censée la protéger) ; le port et les aéroports de Guayaquil, la capitale économique du pays. Là-bas, dès 9 heures, mystérieusement averties de ce que les forces de l’ordre ont déserté la voie publique, des bandes de délinquants brisent les vitrines, mettent les commerces à sac, vandalisent les distributeurs automatiques, terrorisent les citoyens.

Comme au Venezuela le 13 avril 2002, lors de la séquestration de Chávez au cours de la tentative de golpe (coup d’Etat), des dizaines de milliers de citoyens descendent dans les rues en signe de soutien à leur dirigeant. En revanche, une partie de l’opposition dite démocratique met des conditions à son appui.Une autre, à l’instar du chef du groupe parlementaire Pachakutik — bras politique de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (Conaie) —, M. Cléver Jiménez, invite les mouvements indigène et sociaux (qui ne suivront pas !) à constituer un « front national » pour exiger le départ du président.

« Société civile » ou opposition de droite ?

Blessé, asphyxié par les gaz lacrymogènes, M. Correa doit se réfugier dans l’hôpital de la police, mitoyen du régiment Quito, assiégé par les mutins. Il y restera, bloqué au troisième étage, plus de dix heures, jusqu’à ce que, à 20 heures, le groupe d’opérations spéciales (GOE) de l’armée et des éléments loyaux du groupe d’intervention et de sauvetage (GIR) de la police viennent enfin le délivrer. Sur les émetteurs radio des policiers postés à l’extérieur de l’établissement, des appels ont été captés : « Sortez Correa et embarquez-le avant que les chuspangos [militaires] arrivent ! » ; « Tuez-le, tuez le président ! » Celui-ci sort finalement au milieu d’une intense fusillade. Un soldat qui le protège tombe, mortellement touché ; un autre, qui lui a prêté son gilet pare-balles, a le poumon perforé. Sur le véhicule du chef de l’Etat, on retrouvera cinq impacts de balles ; dix-sept sur les voitures qui l’ont escorté. Bilan de la journée : dix morts et près de trois cents blessés.

Dérapage d’un mouvement spontané ? Depuis plusieurs semaines, des torrents de courriels et de pamphlets avaient déferlé sur l’institution policière. Tous, en en dénaturant les termes, dénonçaient la fameuse loi. Dans les faits, certaines factions habituées à l’impunité avaient mal vécu l’arrestation et la condamnation de membres d’une unité spécialisée, le groupe d’appui opérationnel (GAO), responsables de tortures et de disparitions. Quant à la commission de la vérité lancée pour faire la lumière sur les crimes de la répression dans les années 1980 (2), d’aucuns s’en seraient volontiers passés. Qu’on y ajoute la politique sociale du président Correa, sa proximité avec les gouvernements progressistes de la région et l’intégration de l’Equateur au sein de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), la fermeture de la base militaire américaine de Manta : sous l’élégant vernis de la défense de leurs intérêts, on a manipulé les policiers. Ce 30-S (30 septembre), il ne s’agissait pas d’une simple insubordination, mais bel et bien d’une tentative de coup d’Etat.

« Normalement, sur les conseils de leurs équipes de sécurité, les présidents ne s’exposent pas et demeurent claquemurés à Carondelet, où... ils se retrouvent bientôt coincés », observe M. Oscar Bonilla, membre de la commission 30-S, chargée d’établir la vérité sur le soulèvement. Le ministre de la culture Francisco Velasco complète sa pensée : « Avec les policiers cantonnés dans les casernes, des groupes de délinquants organisant le chaos à l’extérieur et obligeant les citoyens à rester chez eux, le scénario était parfait pour que, au bout de quelques jours de montée en puissance de la rébellion, un groupe de militaires, en lien avec des députés d’opposition et avec les secteurs liés aux intérêts internationaux, déclare une vacance du pouvoir et intervienne, au nom de la “gouvernabilité”. » On sait ici comment les généraux se sont comportés dans le passé, lors des rébellions — populaires, celles-là, et non violentes — contre les présidents Abdalá Bucaram (1997), Jamil Mahuad (2000) et Gutiérrez (2005) : quand l’agitation a atteint son paroxysme, l’armée les a lâchés et, pour calmer le jeu, a donné son aval à leur destitution.

Paradoxalement, en manifestant la témérité qu’on lui a maintes fois reprochée, en se déplaçant au régiment Quito et en mettant à nu la conspiration, le chef de l’Etat a bouleversé le scénario prévu — « donner une sortie constitutionnelle à la crise » — et sauvé la « révolution citoyenne ».

Au cours des jours suivants, l’opposition et les médias locaux n’en exposeront pas moins une version très particulière des faits : il n’y a pas eu de tentative de coup d’Etat ; il n’y a pas eu de séquestration ; il n’y a pas eu de volonté d’assassiner le président ; l’unique responsable de la situation est... M. Correa lui-même. Dans El Universo, un éditorial de Palacio appellera même à le traduire devant la Cour pénale internationale (CPI) pour « crime contre l’humanité », car « il a ordonné à l’armée d’ouvrir le feu sur un hôpital ». L’article déclenchera une action en justice du président, une polémique sur la liberté d’expression et l’exil de Palacio.

A l’étranger, une majorité de journalistes reprendront tous ces arguments, ou, dans le meilleur des cas, les relaieront sans les remettre en question : « L’opposition (...) juge que l’imprudence et l’arrogance du président sont à l’origine des débordements », écrit par exemple Le Monde le 12 janvier 2011.

Rarement analysé (3), cet épisode équatorien valait qu’on s’y arrête : il représente un cas d’école des nouvelles stratégies mises en œuvre pour éjecter du pouvoir un chef d’Etat jugé dérangeant. Certes, il paraît loin le temps où, en Amérique du Sud, les militaires, avec l’aide de Washington, balayaient des gouvernements constitutionnels et issus d’élections démocratiques. Toutefois, alors qu’une vague de dirigeants charismatiques, de gauche ou de centre gauche, y sont arrivés au pouvoir depuis 1999 en mobilisant les défavorisés, des golpes, putschs et autres tentatives de déstabilisation, tantôt avortés, tantôt menés à leur terme, ont eu lieu au Venezuela (2002, 2003, 2014), en Haïti (2004), en Bolivie (2008), au Honduras (2009), en Equateur (2010) et au Paraguay (2012). Mais les forces conservatrices ont appris que, dans l’opinion internationale, les méthodes sanglantes se révèlent contreproductives et que, en Amérique latine du moins, un « coup » classique ne passe plus. Alors, les techniques ont évolué.

Utilisée pendant la guerre, l’action psychologique joue également un grand rôle en temps de paix. Au début des années 1970, le quotidien chilien El Mercurio a activement préparé le coup d’Etat du 11 septembre 1973 contre Salvador Allende (4). Mais il existait alors, en particulier en Europe, des publications progressistes capables de démonter cette propagande et de la dénoncer. A de trop rares exceptions près, ce n’est plus le cas. Coïncidant avec un ralliement général au néolibéralisme ainsi qu’à l’ordre imposé par les Etats-Unis et par l’Union européenne, l’apparition d’Internet (où le meilleur côtoie le pire) et la généralisation du copier-coller ont uniformisé l’information des médias dits « occidentaux ».

Toujours égal à lui-même au Chili, El Mercurio a fait des petits (5) : Clarín et La Nación en Argentine ; O Globo et Folha au Brésil ; El Nacional, Tal Cual et El Universal au Venezuela ; La Hora, El Comercio et El Universo en Equateur ; La Tribuna, El Heraldo et La Prensa au Honduras ; El Deber et La Razón en Bolivie ; El Tiempo et Semana en Colombie. Sans oublier CNN, The Wall Street Journal, The Washington Post ou le Miami Herald aux Etats-Unis, le Financial Times au Royaume-Uni, El País, El Mundo et ABC en Espagne, Le Monde, Libération et l’audiovisuel public en France — pour ne citer qu’eux.

Un tel paysage autorise la mise en place, sans même que tous leurs acteurs soient conscients d’y participer, de « psy ops » (opérations psychologiques) subtiles destinées à manipuler ou à déstabiliser en interne les gouvernements visés, et à donner d’eux une image négative à l’étranger. On se situe alors bien au-delà de la nécessaire critique des politiques menées. Repris en boucle, le terme « populisme » (6) permet par exemple de reléguer au second plan la réduction de la pauvreté, la redistribution des richesses et les avancées sociales parfois très importantes des pays ciblés, en transformant leurs choix souverains en « politiques irresponsables incompatibles avec la démocratie ».

Au Venezuela, au début des années 2000, dans la perspective de la tentative de coup d’Etat contre Chávez, l’opinion publique a subi le bombardement des titres tapageurs d’El Nacional et (entre autres) d’El Universal — « Des talibans à l’Assemblée nationale », « Octobre noir », « Des terroristes au gouvernement » — et des appels au renversement du président : une étape comparable à la préparation d’artillerie qui précède l’assaut lors d’une campagne militaire.

Premier élément de la mise en condition destinée à la presse et aux diplomaties étrangères : la « société civile » manifestait son mécontentement. Expression magique ! L’annonce d’une mobilisation de l’« opposition de droite » revêt un sens que le lecteur lambda peut parfaitement décrypter ; la présentation d’une « société civile » par définition sympathique en revêt un autre, même si celle-ci — mais pourquoi le préciser ? — ne représente, à la sortie des urnes, qu’une minorité.

Dans le cadre de la crise qui a éclaté en février 2014, on remplacera le terme « société civile » par celui d’« étudiants », plus présentable que « extrême droite en action ». On se souviendra que, au Chili, sous le gouvernement d’Allende, deux mouvements ont joué un rôle-clé pendant la préparation du golpe : le Pouvoir féminin, avec ses marches « des casseroles vides » — justifiées par des pénuries en grande partie organisées —, et la Fédération des étudiants de l’Université catholique (FEUC)...

Pour renforcer l’image d’une multitude pacifique affrontant une dictature, il convient de pouvoir brandir des victimes innocentes. Le 11 avril 2002, au Venezuela, alors que la fameuse « société civile » manifestait, des francs-tireurs ont abattu plusieurs de ses membres (ainsi que des partisans du président). Le prétexte était trouvé pour qu’un groupe de militaires arrête Chávez, accusé d’avoir envoyé ses « milices », ses « chemises brunes », réprimer l’opposition. Douze ans plus tard, les colectivos (collectifs de tous types : sociaux, culturels, éducatifs, sportifs, etc.), systématiquement affublés de l’adjectif « paramilitaires », subissent la même campagne de diabolisation.

Les militaires regagnent leurs casernes

Présentant l’avantage de ne pouvoir être identifiés, les fameux francs-tireurs ont également été utilisés, indirectement cette fois, pour provoquer le renversement de M. Fernando Lugo au Paraguay. Alors que, depuis son accession au pouvoir, ses opposants évoquaient régulièrement, sous les prétextes les plus divers, la « destitution » du président, un conflit paysan a fourni l’occasion de mettre en place l’opération. Celle-ci s’est déroulée le 15 juin 2012, au lieu-dit Marina Kue, lorsqu’une intervention policière contre une occupation de terres s’est soldée, au terme d’une fusillade, par dix-sept morts : onze paysans et six policiers. La responsabilité du drame a été attribuée aux « sans terre », qui auraient tendu une embuscade aux forces de l’ordre.

Toutefois, le dirigeant paysan Vidal Vega (entre autres témoins), qui a mené une enquête parallèle, affirme que des « infiltrés » auraient déclenché la fusillade en tirant à la fois sur ses compagnons et sur les policiers. Au terme d’un jugement politique express, habilement mené par le Congrès, l’épisode a permis de destituer M. Lugo, accusé d’avoir, par sa politique, attisé la violence contre les propriétaires terriens. Depuis, Vega a été assassiné par deux sicarios (tueurs à gages) masqués (7).

Le 28 juin 2009, c’est le Honduras, membre de l’ALBA, qui a servi de laboratoire à ce type de « coup d’Etat constitutionnel » — les plus faciles à faire passer, les golpistas pouvant employer l’expression « démission forcée » (et amener la presse internationale, pas très regardante sur le vocabulaire, à évoquer le « président déchu »). Les parlementaires ont destitué M. Manuel Zelaya sous un prétexte fallacieux : sa supposée volonté de se faire réélire en violant la Constitution, alors qu’en réalité il avait voulu organiser une consultation, sans caractère contraignant, sur la convocation d’une Assemblée nationale constituante (Cool. Mais l’intérêt de la technique employée réside tout autant dans ce qui a suivi.

Le 28 juin, c’est un commando militaire qui arrête M. Zelaya, le fait monter dans un avion à destination du Costa Rica et réprime violemment ses partisans descendus dans la rue. Toutefois, l’exécuteur des basses œuvres, le général Romeo Vásquez, remet immédiatement le pouvoir au président du Congrès Roberto Micheletti. La manœuvre est parfaite : « soumis au pouvoir civil », les militaires permettent une « succession présidentielle ». Bientôt, le régime putschiste de M. Micheletti se verra rebaptisé « gouvernement de transition ». En 2002, au Venezuela, une fois leur forfait accompli, les généraux et amiraux félons avaient procédé de même en remettant les clés du palais présidentiel au patron des patrons Pedro Carmona.

En résumé, alors que par le passé les militaires, après avoir agi en faveur de telle ou telle faction, demeuraient au pouvoir, ils rentrent désormais dans leurs casernes. Civile, la dictature devient transparente, nul ne pouvant dénoncer un nouvel Augusto Pinochet. Il suffira, quelques mois plus tard, d’organiser des élections « sous contrôle », suspendant la brève mise au ban du pays par la communauté latino-américaine (ou internationale), et le tour sera joué (9).

En ce début de XXIe siècle, Washington ne conçoit toujours la démocratie que comme un outil de bon fonctionnement du marché. En mettant un terme au grand roman de la mondialisation heureuse, en nationalisant ses ressources naturelles, en affirmant son indépendance, la « nouvelle gauche » latino-américaine échappe à sa traditionnelle hégémonie. Que faire ? Sous Richard Nixon et Ronald Reagan, armés de leur bible, la « doctrine de sécurité nationale », les choses étaient claires : il s’agissait, pour garder le contrôle, de livrer une guerre totale, généralisée, absolue. Avec M. George W. Bush, elles le sont encore : les Etats-Unis sont directement impliqués dans la tentative de golpe de 2002 au Venezuela.

En Bolivie, pays qui, gouverné par l’Indio Evo Morales, « n’a plus de maîtres mais des partenaires (10) », l’ambassadeur américain Philip Goldberg, arrivé en octobre 2006, entame une relation soutenue avec l’opposition de la Media Luna (« demi-lune »), les départements riches en hydrocarbures et en gaz de Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando (11). De 2004 à 2006, il avait dirigé la mission américaine à Pristina, au Kosovo. Comme par hasard, avec la lutte contre le projet dénoncé comme étatiste, autoritaire et indigéniste (« indigéniste » remplaçant ici « populiste ») de M. Morales, la Bolivie, « satellite du chavisme (12) », entre à son tour dans un processus de... balkanisation.

Nébuleuse de think tanks

A partir du 4 mai 2008, les départements de la Media Luna organisent successivement des référendums illégaux pour approuver un statut d’autonomie ressemblant fort à une déclaration d’indépendance. De violents troubles éclatent. Des troupes de choc « autonomistes » sèment la terreur, prennent des aéroports ainsi que les installations et édifices du gouvernement. En septembre, des paramilitaires assassinent trente paysans dans le département de Pando.

A aucun moment n’interviendra la traditionnelle proclamation golpista sur la « prise du pouvoir ». Mais, comme on le verra au Venezuela en 2014 (13), il s’agit de faire couler le sang, soit par la « violence spontanée », soit par la répression gouvernementale de cette « violence spontanée », et de rendre le pays ingouvernable, avec pour objectif une condamnation générale du pouvoir par la « communauté internationale », qui rendra acceptable la démission forcée ou la mise à l’écart du chef de l’Etat.

En Bolivie, en jouant sur la mobilisation populaire plutôt que sur la répression militaire, M. Morales, appuyé qui plus est par l’Union des nations sud-américaines (Unasur), fera échouer le plan. Faut-il le préciser ?, quand, le 10 septembre 2008, La Paz donnera soixante-douze heures à l’ambassadeur Goldberg pour quitter le pays, la fièvre séparatiste retombera brusquement.

Lorsque les événements du 28 juin 2009 commotionnent le Honduras, M. Barack Obama a remplacé M. Bush à la Maison Blanche. Pourtant, l’avion qui procède au transfert forcé de M. Zelaya de Tegucigalpa à San José de Costa Rica (trente minutes de vol) fait escale sur la base militaire américaine de Palmerola, située depuis les années 1980 en territoire hondurien. Mais personne ne s’y rend compte de rien ! « Quand j’ai demandé au président Correa si les Etats-Unis étaient derrière le 30-S, s’amuse, à Quito, Juan Paz y Miño (14), il m’a répondu : “On n’a pas de preuves, mais... on ne peut jamais exclure cette possibilité.” » Ultérieurement, le président équatorien précisera sa pensée lorsque, tout en écartant la responsabilité directe du président Obama, il mettra en cause la CIA : « Ce dont nous avons la certitude, c’est qu’il y a [aux Etats-Unis] des groupes d’extrême droite, une multitude de fondations qui financent les groupes et les nombreux conspirateurs opposés à notre gouvernement (15)...  »

En 1983, à l’initiative de Reagan et sous l’égide du Congrès, est née la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy, NED), destinée à « promouvoir la démocratie » dans le monde. En lien avec l’Agence américaine pour le développement international (Usaid), l’Institut international républicain (IRI), l’Institut national démocrate (NDI) et l’Institut des Etats-Unis pour la paix (USIP), mais aussi avec une nébuleuse de think tanks et de fondations — Freedom House, Open Society Institute, etc. —, et même avec des officines de régions éloignées, telle Otpor (« Résistance »), surgie en Serbie à la fin du siècle passé, les oppositions et leurs organisations non gouvernementales sont financées et préparées, tant idéologiquement que techniquement.

« Mêmes acteurs, mêmes structures... »

Pour la seule période 2013-2014, 14 millions de dollars ont arrosé par divers canaux l’opposition vénézuélienne, tant pour les campagnes électorales que pour les « protestations pacifiques » de 2014, qui présentent toutes les caractéristiques d’une rébellion antidémocratique. La Plateforme de l’unité démocratique (MUD) a reçu 100 000 dollars (73 500 euros) pour un projet d’échanges avec des organisations boliviennes, nicaraguayennes et argentines afin de « partager les leçons apprises au Venezuela et permettre d’en adapter l’expérience à ces pays (16) ».

On n’a souvent retenu, s’agissant de la République bolivarienne du Venezuela, que la tentative de coup d’Etat d’avril 2002. En réalité, avant et après, l’offensive n’a jamais cessé. Décembre 2001 : grève générale (organisée par le patronat) ; décembre 2002 - janvier 2003 : déstabilisation économique par la paralysie de l’entreprise pétrolière nationale, militaires appelant au soulèvement depuis la « zone libérée » de la place Altamira (quartier chic de Caracas) ; 2004 : premières guarimbas (blocage des rues et barricades), incursion d’une centaine de paramilitaires colombiens à proximité de Caracas ; 2014... « Ici, nous confie le ministre vénézuélien de l’intérieur Miguel Rodríguez Torres, ils appliquent ce que la gauche appelait la “combinaison de toutes les formes de lutte”. Et, si vous faites la liste des acteurs impliqués, ce sont les mêmes depuis le début ; les mêmes structures, avec quelques variations. Ce qui change, à chaque fois, c’est la méthode. »


Maurice Lemoine

Journaliste. Auteur de Sur les eaux noires du fleuve, Don Quichotte, Paris, 2013.




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(1) Depuis 2007, le salaire des policiers de base est passé de 355 à 886 dollars (260 à 650 euros) ; celui d’un sergent, de 707 à 1 329 dollars (520 à 980 euros).

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Habituée aux putschs, l’Amérique latine est redevenue, après l’hiver des dictatures, un laboratoire d’expérimentations politiques à gauche. Mais, désormais, les Etats-Unis et leurs alliés ont appris à renverser — ou tenter de renverser — sans trop d’effusions de sang les gouvernements qui les dérangent.

par Maurice Lemoine  




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En Amérique latine, l’ère des coups d’Etat en douce




Miami, 23 septembre 2010. Dans les locaux du luxueux Bankers Club et sous les auspices de l’Institut interaméricain pour la liberté et la démocratie, l’anticastriste radical Carlos Alberto Montaner introduit la conférence « L’effondrement des modèles du socialisme du XXIe siècle ». Dans l’assemblée, on remarque quelques exilés équatoriens très connus : M. Mario Ribadeneira, ex-ministre du gouvernement de M. Sixto Durán Ballén (1992-1996) — l’apogée du néolibéralisme à Quito — ; M. Roberto Isaías, qui a fui la justice après avoir causé la faillite frauduleuse de sa banque, Filanbanco, la plus grande du pays ; l’ex-colonel Mario Pazmino, directeur du service de renseignement de l’armée, destitué en 2008 par le chef de l’Etat Rafael Correa pour ses liens un peu trop étroits avec la Central Intelligence Agency (CIA).

Orateur du jour, l’ex-colonel puis président équatorien Lucio Gutiérrez, chassé du pouvoir par une rébellion populaire le 20 avril 2005, dénonce les visions millénaristes et mystiques des socialistes, leur marxisme en capilotade, leur populisme dangereux. Il prédit l’arrivée d’un nouvel âge de bonheur et de progrès. Sous réserve, bien sûr, qu’on respecte certaines conditions... « Pour en terminer avec le socialisme du XXIe siècle, il faut en finir avec Correa ! » C’est dit ; c’est même enregistré. Tout comme le tonnerre d’applaudissements qui salue l’intervention.

Une semaine plus tard, dans la nuit du 29 au 30 septembre 2010, à Quito, dans l’un des vingt et un salons du Swissotel, une réunion des membres de l’opposition se prolonge jusqu’à 3 heures du matin. A 7 heures, sur la chaîne télévisée Ecuavisa, l’émission « Contact direct » reçoit M. Galo Lara. Face à la caméra, ce dirigeant du parti Société patriotique (SP) évoque la loi de service public que vient d’approuver l’Assemblée nationale. Elle concerne diverses catégories de fonctionnaires, dont les policiers. Elle met fin à une série de privilèges : bonifications, primes pour la remise de médailles et de décorations, cadeaux de Noël, etc.

En contrepartie, elle leur attribue d’autres avantages, dont le paiement des heures supplémentaires et l’accès à des programmes de logements sociaux. Pour autant, les propos de M. Lara claquent comme des coups de fouet : « Le président Correa a arraché leurs jouets aux enfants des policiers. C’est pour ça qu’il a peur qu’on le lynche ! C’est pour ça qu’il prépare ses valises pour quitter le pays ! » Fichtre... Un article apocalyptique de l’éditorialiste-vedette Emilio Palacio paraît également dans le quotidien El Universo.

Lorsque, à 8 heures, M. Correa apprend que, pour protester contre la fameuse loi, les policiers observent une grève des bras croisés dans l’enceinte du régiment Quito, il n’hésite pas une seconde, se souvient son ministre de l’intérieur de l’époque, M. Gustavo Jalkh : « “Il s’agit d’un malentendu, je vais négocier directement avec eux.” » Abandonnant le palais présidentiel de Carondelet, tous deux se rendent sur place. La nouvelle de leur présence ondule à la surface de la foule des huit cents membres des forces de l’ordre massés là. « Les communistes arrivent ! » ; « Dehors, les chavistes ! » — en référence, bien sûr, au président vénézuélien Hugo Chávez (qui décédera en 2013).

Mêlés aux « flics » de base, les meneurs — lunettes noires, émetteurs-récepteurs, téléphones portables — organisent le chahut. Parmi eux, comment ne pas remarquer M. Fidel Araujo, porte-parole de l’ex-président Gutiérrez et dirigeant de SP, son parti ? Bousculades, insultes..., des grenades lacrymogènes s’abattent sur le chef de l’Etat. Depuis une fenêtre du deuxième étage, où une poignée de gardes du corps réussissent à grand-peine à le faire entrer, M. Correa tente d’articuler un discours : « Cette loi va améliorer votre condition. Nous avons travaillé pour la police, rappelez-vous tout ce qu’on vous a donné (1)  ! »

Il se fait huer. Il entend même : « Attrapez-le ! Tuez-le ! » Un tumulte emplit son crâne. Il desserre alors sa cravate et ouvre son col de chemise en un geste de défi : «  Señores, si vous désirez tuer le président, il est ici : tuez-moi, si vous voulez ! Tuez-moi, si vous en avez le courage, au lieu de vous cacher lâchement dans la foule ! » Impudence ? Imprudence ? Par son aspect spectaculaire, l’épisode ne passera pas inaperçu.

Quatre cents soldats ont pris le contrôle de l’aéroport Mariscal Sucre de Quito. Egalement investis : la base de l’armée de l’air de Tacunga ; l’Assemblée nationale (par la garde législative censée la protéger) ; le port et les aéroports de Guayaquil, la capitale économique du pays. Là-bas, dès 9 heures, mystérieusement averties de ce que les forces de l’ordre ont déserté la voie publique, des bandes de délinquants brisent les vitrines, mettent les commerces à sac, vandalisent les distributeurs automatiques, terrorisent les citoyens.

Comme au Venezuela le 13 avril 2002, lors de la séquestration de Chávez au cours de la tentative de golpe (coup d’Etat), des dizaines de milliers de citoyens descendent dans les rues en signe de soutien à leur dirigeant. En revanche, une partie de l’opposition dite démocratique met des conditions à son appui.Une autre, à l’instar du chef du groupe parlementaire Pachakutik — bras politique de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (Conaie) —, M. Cléver Jiménez, invite les mouvements indigène et sociaux (qui ne suivront pas !) à constituer un « front national » pour exiger le départ du président.

« Société civile » ou opposition de droite ?

Blessé, asphyxié par les gaz lacrymogènes, M. Correa doit se réfugier dans l’hôpital de la police, mitoyen du régiment Quito, assiégé par les mutins. Il y restera, bloqué au troisième étage, plus de dix heures, jusqu’à ce que, à 20 heures, le groupe d’opérations spéciales (GOE) de l’armée et des éléments loyaux du groupe d’intervention et de sauvetage (GIR) de la police viennent enfin le délivrer. Sur les émetteurs radio des policiers postés à l’extérieur de l’établissement, des appels ont été captés : « Sortez Correa et embarquez-le avant que les chuspangos [militaires] arrivent ! » ; « Tuez-le, tuez le président ! » Celui-ci sort finalement au milieu d’une intense fusillade. Un soldat qui le protège tombe, mortellement touché ; un autre, qui lui a prêté son gilet pare-balles, a le poumon perforé. Sur le véhicule du chef de l’Etat, on retrouvera cinq impacts de balles ; dix-sept sur les voitures qui l’ont escorté. Bilan de la journée : dix morts et près de trois cents blessés.

Dérapage d’un mouvement spontané ? Depuis plusieurs semaines, des torrents de courriels et de pamphlets avaient déferlé sur l’institution policière. Tous, en en dénaturant les termes, dénonçaient la fameuse loi. Dans les faits, certaines factions habituées à l’impunité avaient mal vécu l’arrestation et la condamnation de membres d’une unité spécialisée, le groupe d’appui opérationnel (GAO), responsables de tortures et de disparitions. Quant à la commission de la vérité lancée pour faire la lumière sur les crimes de la répression dans les années 1980 (2), d’aucuns s’en seraient volontiers passés. Qu’on y ajoute la politique sociale du président Correa, sa proximité avec les gouvernements progressistes de la région et l’intégration de l’Equateur au sein de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), la fermeture de la base militaire américaine de Manta : sous l’élégant vernis de la défense de leurs intérêts, on a manipulé les policiers. Ce 30-S (30 septembre), il ne s’agissait pas d’une simple insubordination, mais bel et bien d’une tentative de coup d’Etat.

« Normalement, sur les conseils de leurs équipes de sécurité, les présidents ne s’exposent pas et demeurent claquemurés à Carondelet, où... ils se retrouvent bientôt coincés », observe M. Oscar Bonilla, membre de la commission 30-S, chargée d’établir la vérité sur le soulèvement. Le ministre de la culture Francisco Velasco complète sa pensée : « Avec les policiers cantonnés dans les casernes, des groupes de délinquants organisant le chaos à l’extérieur et obligeant les citoyens à rester chez eux, le scénario était parfait pour que, au bout de quelques jours de montée en puissance de la rébellion, un groupe de militaires, en lien avec des députés d’opposition et avec les secteurs liés aux intérêts internationaux, déclare une vacance du pouvoir et intervienne, au nom de la “gouvernabilité”. » On sait ici comment les généraux se sont comportés dans le passé, lors des rébellions — populaires, celles-là, et non violentes — contre les présidents Abdalá Bucaram (1997), Jamil Mahuad (2000) et Gutiérrez (2005) : quand l’agitation a atteint son paroxysme, l’armée les a lâchés et, pour calmer le jeu, a donné son aval à leur destitution.

Paradoxalement, en manifestant la témérité qu’on lui a maintes fois reprochée, en se déplaçant au régiment Quito et en mettant à nu la conspiration, le chef de l’Etat a bouleversé le scénario prévu — « donner une sortie constitutionnelle à la crise » — et sauvé la « révolution citoyenne ».

Au cours des jours suivants, l’opposition et les médias locaux n’en exposeront pas moins une version très particulière des faits : il n’y a pas eu de tentative de coup d’Etat ; il n’y a pas eu de séquestration ; il n’y a pas eu de volonté d’assassiner le président ; l’unique responsable de la situation est... M. Correa lui-même. Dans El Universo, un éditorial de Palacio appellera même à le traduire devant la Cour pénale internationale (CPI) pour « crime contre l’humanité », car « il a ordonné à l’armée d’ouvrir le feu sur un hôpital ». L’article déclenchera une action en justice du président, une polémique sur la liberté d’expression et l’exil de Palacio.

A l’étranger, une majorité de journalistes reprendront tous ces arguments, ou, dans le meilleur des cas, les relaieront sans les remettre en question : « L’opposition (...) juge que l’imprudence et l’arrogance du président sont à l’origine des débordements », écrit par exemple Le Monde le 12 janvier 2011.

Rarement analysé (3), cet épisode équatorien valait qu’on s’y arrête : il représente un cas d’école des nouvelles stratégies mises en œuvre pour éjecter du pouvoir un chef d’Etat jugé dérangeant. Certes, il paraît loin le temps où, en Amérique du Sud, les militaires, avec l’aide de Washington, balayaient des gouvernements constitutionnels et issus d’élections démocratiques. Toutefois, alors qu’une vague de dirigeants charismatiques, de gauche ou de centre gauche, y sont arrivés au pouvoir depuis 1999 en mobilisant les défavorisés, des golpes, putschs et autres tentatives de déstabilisation, tantôt avortés, tantôt menés à leur terme, ont eu lieu au Venezuela (2002, 2003, 2014), en Haïti (2004), en Bolivie (2008), au Honduras (2009), en Equateur (2010) et au Paraguay (2012). Mais les forces conservatrices ont appris que, dans l’opinion internationale, les méthodes sanglantes se révèlent contreproductives et que, en Amérique latine du moins, un « coup » classique ne passe plus. Alors, les techniques ont évolué.

Utilisée pendant la guerre, l’action psychologique joue également un grand rôle en temps de paix. Au début des années 1970, le quotidien chilien El Mercurio a activement préparé le coup d’Etat du 11 septembre 1973 contre Salvador Allende (4). Mais il existait alors, en particulier en Europe, des publications progressistes capables de démonter cette propagande et de la dénoncer. A de trop rares exceptions près, ce n’est plus le cas. Coïncidant avec un ralliement général au néolibéralisme ainsi qu’à l’ordre imposé par les Etats-Unis et par l’Union européenne, l’apparition d’Internet (où le meilleur côtoie le pire) et la généralisation du copier-coller ont uniformisé l’information des médias dits « occidentaux ».

Toujours égal à lui-même au Chili, El Mercurio a fait des petits (5) : Clarín et La Nación en Argentine ; O Globo et Folha au Brésil ; El Nacional, Tal Cual et El Universal au Venezuela ; La Hora, El Comercio et El Universo en Equateur ; La Tribuna, El Heraldo et La Prensa au Honduras ; El Deber et La Razón en Bolivie ; El Tiempo et Semana en Colombie. Sans oublier CNN, The Wall Street Journal, The Washington Post ou le Miami Herald aux Etats-Unis, le Financial Times au Royaume-Uni, El País, El Mundo et ABC en Espagne, Le Monde, Libération et l’audiovisuel public en France — pour ne citer qu’eux.

Un tel paysage autorise la mise en place, sans même que tous leurs acteurs soient conscients d’y participer, de « psy ops » (opérations psychologiques) subtiles destinées à manipuler ou à déstabiliser en interne les gouvernements visés, et à donner d’eux une image négative à l’étranger. On se situe alors bien au-delà de la nécessaire critique des politiques menées. Repris en boucle, le terme « populisme » (6) permet par exemple de reléguer au second plan la réduction de la pauvreté, la redistribution des richesses et les avancées sociales parfois très importantes des pays ciblés, en transformant leurs choix souverains en « politiques irresponsables incompatibles avec la démocratie ».

Au Venezuela, au début des années 2000, dans la perspective de la tentative de coup d’Etat contre Chávez, l’opinion publique a subi le bombardement des titres tapageurs d’El Nacional et (entre autres) d’El Universal — « Des talibans à l’Assemblée nationale », « Octobre noir », « Des terroristes au gouvernement » — et des appels au renversement du président : une étape comparable à la préparation d’artillerie qui précède l’assaut lors d’une campagne militaire.

Premier élément de la mise en condition destinée à la presse et aux diplomaties étrangères : la « société civile » manifestait son mécontentement. Expression magique ! L’annonce d’une mobilisation de l’« opposition de droite » revêt un sens que le lecteur lambda peut parfaitement décrypter ; la présentation d’une « société civile » par définition sympathique en revêt un autre, même si celle-ci — mais pourquoi le préciser ? — ne représente, à la sortie des urnes, qu’une minorité.

Dans le cadre de la crise qui a éclaté en février 2014, on remplacera le terme « société civile » par celui d’« étudiants », plus présentable que « extrême droite en action ». On se souviendra que, au Chili, sous le gouvernement d’Allende, deux mouvements ont joué un rôle-clé pendant la préparation du golpe : le Pouvoir féminin, avec ses marches « des casseroles vides » — justifiées par des pénuries en grande partie organisées —, et la Fédération des étudiants de l’Université catholique (FEUC)...

Pour renforcer l’image d’une multitude pacifique affrontant une dictature, il convient de pouvoir brandir des victimes innocentes. Le 11 avril 2002, au Venezuela, alors que la fameuse « société civile » manifestait, des francs-tireurs ont abattu plusieurs de ses membres (ainsi que des partisans du président). Le prétexte était trouvé pour qu’un groupe de militaires arrête Chávez, accusé d’avoir envoyé ses « milices », ses « chemises brunes », réprimer l’opposition. Douze ans plus tard, les colectivos (collectifs de tous types : sociaux, culturels, éducatifs, sportifs, etc.), systématiquement affublés de l’adjectif « paramilitaires », subissent la même campagne de diabolisation.

Les militaires regagnent leurs casernes

Présentant l’avantage de ne pouvoir être identifiés, les fameux francs-tireurs ont également été utilisés, indirectement cette fois, pour provoquer le renversement de M. Fernando Lugo au Paraguay. Alors que, depuis son accession au pouvoir, ses opposants évoquaient régulièrement, sous les prétextes les plus divers, la « destitution » du président, un conflit paysan a fourni l’occasion de mettre en place l’opération. Celle-ci s’est déroulée le 15 juin 2012, au lieu-dit Marina Kue, lorsqu’une intervention policière contre une occupation de terres s’est soldée, au terme d’une fusillade, par dix-sept morts : onze paysans et six policiers. La responsabilité du drame a été attribuée aux « sans terre », qui auraient tendu une embuscade aux forces de l’ordre.

Toutefois, le dirigeant paysan Vidal Vega (entre autres témoins), qui a mené une enquête parallèle, affirme que des « infiltrés » auraient déclenché la fusillade en tirant à la fois sur ses compagnons et sur les policiers. Au terme d’un jugement politique express, habilement mené par le Congrès, l’épisode a permis de destituer M. Lugo, accusé d’avoir, par sa politique, attisé la violence contre les propriétaires terriens. Depuis, Vega a été assassiné par deux sicarios (tueurs à gages) masqués (7).

Le 28 juin 2009, c’est le Honduras, membre de l’ALBA, qui a servi de laboratoire à ce type de « coup d’Etat constitutionnel » — les plus faciles à faire passer, les golpistas pouvant employer l’expression « démission forcée » (et amener la presse internationale, pas très regardante sur le vocabulaire, à évoquer le « président déchu »). Les parlementaires ont destitué M. Manuel Zelaya sous un prétexte fallacieux : sa supposée volonté de se faire réélire en violant la Constitution, alors qu’en réalité il avait voulu organiser une consultation, sans caractère contraignant, sur la convocation d’une Assemblée nationale constituante (Cool. Mais l’intérêt de la technique employée réside tout autant dans ce qui a suivi.

Le 28 juin, c’est un commando militaire qui arrête M. Zelaya, le fait monter dans un avion à destination du Costa Rica et réprime violemment ses partisans descendus dans la rue. Toutefois, l’exécuteur des basses œuvres, le général Romeo Vásquez, remet immédiatement le pouvoir au président du Congrès Roberto Micheletti. La manœuvre est parfaite : « soumis au pouvoir civil », les militaires permettent une « succession présidentielle ». Bientôt, le régime putschiste de M. Micheletti se verra rebaptisé « gouvernement de transition ». En 2002, au Venezuela, une fois leur forfait accompli, les généraux et amiraux félons avaient procédé de même en remettant les clés du palais présidentiel au patron des patrons Pedro Carmona.

En résumé, alors que par le passé les militaires, après avoir agi en faveur de telle ou telle faction, demeuraient au pouvoir, ils rentrent désormais dans leurs casernes. Civile, la dictature devient transparente, nul ne pouvant dénoncer un nouvel Augusto Pinochet. Il suffira, quelques mois plus tard, d’organiser des élections « sous contrôle », suspendant la brève mise au ban du pays par la communauté latino-américaine (ou internationale), et le tour sera joué (9).

En ce début de XXIe siècle, Washington ne conçoit toujours la démocratie que comme un outil de bon fonctionnement du marché. En mettant un terme au grand roman de la mondialisation heureuse, en nationalisant ses ressources naturelles, en affirmant son indépendance, la « nouvelle gauche » latino-américaine échappe à sa traditionnelle hégémonie. Que faire ? Sous Richard Nixon et Ronald Reagan, armés de leur bible, la « doctrine de sécurité nationale », les choses étaient claires : il s’agissait, pour garder le contrôle, de livrer une guerre totale, généralisée, absolue. Avec M. George W. Bush, elles le sont encore : les Etats-Unis sont directement impliqués dans la tentative de golpe de 2002 au Venezuela.

En Bolivie, pays qui, gouverné par l’Indio Evo Morales, « n’a plus de maîtres mais des partenaires (10) », l’ambassadeur américain Philip Goldberg, arrivé en octobre 2006, entame une relation soutenue avec l’opposition de la Media Luna (« demi-lune »), les départements riches en hydrocarbures et en gaz de Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando (11). De 2004 à 2006, il avait dirigé la mission américaine à Pristina, au Kosovo. Comme par hasard, avec la lutte contre le projet dénoncé comme étatiste, autoritaire et indigéniste (« indigéniste » remplaçant ici « populiste ») de M. Morales, la Bolivie, « satellite du chavisme (12) », entre à son tour dans un processus de... balkanisation.

Nébuleuse de think tanks

A partir du 4 mai 2008, les départements de la Media Luna organisent successivement des référendums illégaux pour approuver un statut d’autonomie ressemblant fort à une déclaration d’indépendance. De violents troubles éclatent. Des troupes de choc « autonomistes » sèment la terreur, prennent des aéroports ainsi que les installations et édifices du gouvernement. En septembre, des paramilitaires assassinent trente paysans dans le département de Pando.

A aucun moment n’interviendra la traditionnelle proclamation golpista sur la « prise du pouvoir ». Mais, comme on le verra au Venezuela en 2014 (13), il s’agit de faire couler le sang, soit par la « violence spontanée », soit par la répression gouvernementale de cette « violence spontanée », et de rendre le pays ingouvernable, avec pour objectif une condamnation générale du pouvoir par la « communauté internationale », qui rendra acceptable la démission forcée ou la mise à l’écart du chef de l’Etat.

En Bolivie, en jouant sur la mobilisation populaire plutôt que sur la répression militaire, M. Morales, appuyé qui plus est par l’Union des nations sud-américaines (Unasur), fera échouer le plan. Faut-il le préciser ?, quand, le 10 septembre 2008, La Paz donnera soixante-douze heures à l’ambassadeur Goldberg pour quitter le pays, la fièvre séparatiste retombera brusquement.

Lorsque les événements du 28 juin 2009 commotionnent le Honduras, M. Barack Obama a remplacé M. Bush à la Maison Blanche. Pourtant, l’avion qui procède au transfert forcé de M. Zelaya de Tegucigalpa à San José de Costa Rica (trente minutes de vol) fait escale sur la base militaire américaine de Palmerola, située depuis les années 1980 en territoire hondurien. Mais personne ne s’y rend compte de rien ! « Quand j’ai demandé au président Correa si les Etats-Unis étaient derrière le 30-S, s’amuse, à Quito, Juan Paz y Miño (14), il m’a répondu : “On n’a pas de preuves, mais... on ne peut jamais exclure cette possibilité.” » Ultérieurement, le président équatorien précisera sa pensée lorsque, tout en écartant la responsabilité directe du président Obama, il mettra en cause la CIA : « Ce dont nous avons la certitude, c’est qu’il y a [aux Etats-Unis] des groupes d’extrême droite, une multitude de fondations qui financent les groupes et les nombreux conspirateurs opposés à notre gouvernement (15)...  »

En 1983, à l’initiative de Reagan et sous l’égide du Congrès, est née la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy, NED), destinée à « promouvoir la démocratie » dans le monde. En lien avec l’Agence américaine pour le développement international (Usaid), l’Institut international républicain (IRI), l’Institut national démocrate (NDI) et l’Institut des Etats-Unis pour la paix (USIP), mais aussi avec une nébuleuse de think tanks et de fondations — Freedom House, Open Society Institute, etc. —, et même avec des officines de régions éloignées, telle Otpor (« Résistance »), surgie en Serbie à la fin du siècle passé, les oppositions et leurs organisations non gouvernementales sont financées et préparées, tant idéologiquement que techniquement.

« Mêmes acteurs, mêmes structures... »

Pour la seule période 2013-2014, 14 millions de dollars ont arrosé par divers canaux l’opposition vénézuélienne, tant pour les campagnes électorales que pour les « protestations pacifiques » de 2014, qui présentent toutes les caractéristiques d’une rébellion antidémocratique. La Plateforme de l’unité démocratique (MUD) a reçu 100 000 dollars (73 500 euros) pour un projet d’échanges avec des organisations boliviennes, nicaraguayennes et argentines afin de « partager les leçons apprises au Venezuela et permettre d’en adapter l’expérience à ces pays (16) ».

On n’a souvent retenu, s’agissant de la République bolivarienne du Venezuela, que la tentative de coup d’Etat d’avril 2002. En réalité, avant et après, l’offensive n’a jamais cessé. Décembre 2001 : grève générale (organisée par le patronat) ; décembre 2002 - janvier 2003 : déstabilisation économique par la paralysie de l’entreprise pétrolière nationale, militaires appelant au soulèvement depuis la « zone libérée » de la place Altamira (quartier chic de Caracas) ; 2004 : premières guarimbas (blocage des rues et barricades), incursion d’une centaine de paramilitaires colombiens à proximité de Caracas ; 2014... « Ici, nous confie le ministre vénézuélien de l’intérieur Miguel Rodríguez Torres, ils appliquent ce que la gauche appelait la “combinaison de toutes les formes de lutte”. Et, si vous faites la liste des acteurs impliqués, ce sont les mêmes depuis le début ; les mêmes structures, avec quelques variations. Ce qui change, à chaque fois, c’est la méthode. »

Maurice Lemoine
Journaliste. Auteur de Sur les eaux noires du fleuve, Don Quichotte, Paris, 2013.
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