Que contiennent les archives de la CIA sur Haiti ?

CIA-DUVALIER ETC

Que contiennent les archives de la CIA sur Haïti ?

MIAMI, 3 Juin - Des révélations qui viennent porter un coup au mythe de Duvalier que certains de ses anciens contemplateurs tentent actuellement de faire renaître. La centrale américaine de renseignements (CIA) vient d'ouvrir au public ses dossiers vieux d'un demi-siècle, comme la loi le lui ordonne.

Tout le monde s'y précipite, journalistes et historiens. Comme l'historien dominicain Bernardo Vega. On apprend ainsi qu'en 1966, le président dominicain Joaquin Balaguer versa sur le compte personnel de François " Papa Doc " Duvalier la somme de 900.000 dollars, à raison de 20 dollars par tête, pour un contrat consistant en l'envoi de 40.000 coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine et assurant leur retour subséquent en Haïti.

Tout comme le même Duvalier refusa un prêt financier du fils cadet du défunt dictateur Trujillo, Rhadamès Trujillo, pour l'aider à renverser le président fraîchement installé Balaguer.

Mais si les experts haïtiens pouvaient (ou voulaient) profiter eux aussi de cette " déclassification " des archives de la CIA, ce serait un vrai pactole !
Par exemple, sur les négociations entre le chancelier haïtien Charlmers et le secrétaire d'Etat américain Dean Rusk lors du vote pour expulser Cuba de l'OEA (Organisation des Etats Américains).

Le petit déjeuner le plus cher de ma carrière !...

Au premier tour de scrutin, tous les pays du continent étaient d'accord. Tous, sauf (coup de théâtre !) Haïti ???

Charlmers avait reçu de son président l'ordre formel de bien marchander la participation haïtienne.

Selon la petite histoire, c'est ainsi que Duvalier obtint les fonds pour la construction de l'aéroport international de Port-au-Prince (qui portera, bien entendu, son nom).

Commentaire de Dean Rusk (rapporté dans " Papa Doc et les tontons macoutes " de Bernard Diederich et Al Burt) : ce fut le petit déjeuner le plus cher de ma carrière !

De même les archives compilées par la CIA doivent être extraordinairement révélatrices sur les nombreuses invasions qui furent organisées par l'opposition anti-Duvalier.

D'autant que la CIA y a été elle-même fort souvent impliquée. D'abord aux côtés des envahisseurs, du temps de l'administration Kennedy.

Plus tard, en complicité avec Duvalier lorsqu'il s'agira de protéger le pays contre l'infiltration communiste.

Ainsi le petit groupe venu d'Europe, dont la première partie sera décimée par les tontons macoutes dans le village de Casale (Département de l'ouest), non loin de l'Arcahaie.

Compagnon de Che Guevara...

Le second assaut eut lieu à Laboule (dans les hauteurs dominant la capitale) dans une résidence appartenant lors au défunt Paret Pierre-Louis et que les guérilleros haïtiens avaient occupé dans l'ignorance totale de ce dernier.

Un frère Sansaricq, compagnon de Che Guevara lors de l'aventure de ce dernier en Afrique, y perdit la vie.

Mais sur ce, le gouvernement Duvalier aurait reçu l'ordre de la CIA de ne pas attaquer le reste de la bande tout en continuant à resserrer l'étau.

Selon les confidences d'une éminence grise de Papa Doc, l'ex-ministre Luckner Cambronne, les Américains voulaient avoir des informations plus étendues concernant les réseaux communistes dans la région et comment s'effectuaient les relations avec leurs bases, principalement Cuba, l'Union soviétique, l'Allemagne de l'Est et la Chine.

Cela va de faux cireurs de chaussures postés devant la cachette des envahisseurs, à l'installation d'un espion en leur propre sein. C'est le fameux Eyssalem (paraît-il, encore vivant) et qui renseignait quotidiennement son chef d'antenne sur toutes les activités du petit groupe.

Finalement le dernier round se joua dans l'ancienne maison du capitaine Perpignan à l'avenue Martin Luther King. La maison fut incendiée et tous ses occupants abattus.

Chassé-croisé entre Duvalier, la CIA et Santo Domingo...

Perpignan lui-même avait été tué lors d'une invasion menée par des ex-officiers membres du précédent régime militaire du général Paul Magloire.

Plus complexe fut encore le chassé-croisé entre Duvalier, la CIA et les autorités dominicaines lors des événements qui conduisirent au renversement du président dominicain Juan Bosch, suivi du soulèvement d'une partie de l'armée dominicaine et qui débouchera sur une occupation militaire du pays voisin par une force interaméricaine.

Mais personne ne se doutait de l'approche d'événements aussi graves lorsque s'ouvrit un petit camp d'entraînement près de la frontière pour des rebelles haïtiens (dit-on, avec une assistance de la CIA), puis la fermeture de ce camp devant les protestations de Duvalier adressées à l'OEA et assorties de toutes sortes de menaces du dictateur haïtien...

Mais alors que Bosch est en train de répondre du tac au tac à son ennemi Duvalier, l'armée dominicaine s'empara du pouvoir. Mais second coup de théâtre : une faction d'officiers juniors se révolta contre le haut commandement militaire. Ce fut le fameux mouvement " Justicialiste " conduit par le colonel Caamanõ. C'est la guerre civile.

Puis l'intervention d'une force militaire sous le drapeau de l'Organisation des Etats américains (OEA).

L'affaire Octave Cayard...

Il serait intéressant de consulter les archives de la CIA sur ces événements qui ont marqué les deux parties de l'île. D'autant que certains soupçonnent la centrale américaine de renseignements de les avoir manipulés du début à la fin dans le but de se débarrasser du président dominicain Juan Bosch, un socialiste.

Tout comme on est curieux de savoir ce qu'elle rapporte du soulèvement du colonel Octave Cayard, qui appareilla tous les vaisseaux de la marine haïtienne et ouvrit le feu sur le palais national depuis la baie de Port-au-Prince.

Les Etats-Unis intervinrent le même jour, mettant fin au soulèvement en offrant l'asile politique aux révoltés. Mais en échange, Washington aurait obtenu de Papa Doc, qui n'avait plus pour longtemps à vivre, le droit de régler la succession du régime. Le roi est mort, vive le roi, en la personne du nouveau président à vie, Bébé Doc.

29 novembre 1987 ?...

Tout comme la CIA a sans doute été sollicitée pour fournir l'avion qui emportera ce dernier en exil 15 ans plus tard, le 7 février 1986. Par ailleurs, quelle est son interprétation des divers événements qui ont conduit à la chute précipitée du régime ? Du mariage princier avec Michèle Bennett à l'exil de Roger Lafontant, chassé par cette dernière.

Ensuite, quid du massacre électoral du 29 novembre 1987 ? On dit que le général Williams Regala, numéro 2 du gouvernement militaire provisoire, aurait rencontré peu auparavant dans un pays voisin un important émissaire américain.

29 février 2004 !...

Et ainsi de suite. Pour arriver au coup d'état du 29 septembre 1991. Un exemple entre mille : alors que la justice américaine lance un mandat pour trafic de drogue contre l'ex-colonel Michel François, qui a été le fer de lance du coup d'état, l'extradition de celui-ci est rejetée par le Honduras où il est réfugié. Qui est intervenu en sa faveur ? On vous laisse deviner.

Pour conclure au second renversement du même Aristide le 29 février 2004, enlevé en pleine nuit par un commando des forces spéciales des Etats-Unis...

Mais cela nous ne le saurons pas avant un demi-siècle. Et encore, si entre-temps les experts haïtiens se montrent plus curieux.

Editorial, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince