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HAÏTI : LES ÉLECTIONS DU 22 SEPTEMBRE 1957.

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Message  piporiko Mar 18 Sep 2007 - 10:29

HAÏTI : LES ÉLECTIONS DU 22 SEPTEMBRE 1957.



Le départ pour l’exil du général- président, Paul E. Magloire, le 13 décembre 1956, après un mandat constitutionnel non renouvelable de six ans et une tentative avortée de s’accrocher au pouvoir, débouche sur une crise politique qui se manifeste par une succession de gouvernements transitoires suivis de l’imposition du candidat François Duvalier à la présidence du pays par la junte militaire du général Kebreau, le 22 septembre 1957.



Quatre candidats, Louis Déjoie, Daniel Fignolé, François Duvalier, Clément Jumelle et des figurants dont Frank Sylvain, briguaient la succession de celui qui a dominé la scène politique depuis la démission, suite à une révolte populaire, du président Elie Lescot, le 7 janvier 1946. Membre de la junte militaire qui précède l’avènement du président Dumarsais Estimé le 16 août 1946, il organise le coup d’État qui enverra ce dernier en exil le 10 mai 1950 en invoquant l’urgente nécessité d’empêcher l’aboutissement de manœuvres frauduleuses et inconstitutionnelles du président pour se faire réélire. À nouveau, homme fort d’une junte et seul candidat en lice, il est plébiscité lors des premières élections au suffrage universel direct du 8 octobre 1950. Il prêta serment le 6 décembre. Cependant, élu à l’occasion d’une vacance présidentielle, il est considéré, selon la constitution en vigueur, être entré en fonction le 15 mai. Son mandat se terminait le 15 mai 1956.



À l’approche de cette date, le gouvernement n’avait pris aucune disposition pour organiser des élections et réprimait fermement les manifestations de l’opposition qui réclamait le respect des prescrits constitutionnels. Forcé par les évènements, le président déclare le 6 décembre 1956 qu’il renonce au pouvoir mais qu’il assure la transition comme chef du pouvoir exécutif et qu’il prend aussi le commandement effectif de l’armée. Il dissout le parlement dont les députés ont été élus lors des législatives du 13 janvier 1955 sur la liste unique de candidats qu’il avait présentés et emprisonne des responsables de partis politiques dont Louis Déjoie. D’autres mesures répressives seront adoptées. Une grève générale jumelée aux pressions de certains hauts gradés militaires viendra à bout de son obstination à vouloir conserver le pouvoir. Le 12 décembre, il démissionne.



Conformément à la constitution, la transition est assurée par le président de la Cour de Cassation, le juge Nemours Pierre-Louis qui démissionne le 4 février 1957 en invoquant le respect de la constitution et des lois qui l’empêche, dit-il, de satisfaire les revendications des manifestants et de certains collaborateurs qui réclament la "démagloirisation" de l’administration publique et le jugement des dilapidateurs des finances publiques. Clément Jumelle, ministre des finances du président Magloire et présenté comme son dauphin, est particulièrement visé. Sa candidature restera marginale.



Harassé par cette persistante chasse aux sorcières, Mr Pierre-Louis plaide pour que la Commission d’Enquête Administrative créée pour investiguer sur les allégations de détournement de fonds fonctionne dans le respect des droits des individus et la stricte application des lois et règlements en vigueur. Son plaidoyer n’eut aucun effet. Il se retira.



Son successeur, Me Franck Sylvain, est désigné par une conférence des candidats à la présidence organisée par le nouveau chef d’État-major de l’armée, le général Léon Cantave, après une tentative ratée de former une junte militaire. Avalisée par les parlementaires autoproclamés révolutionnaires en reprenant leur cocarde le 12 décembre, cette nomination est dénoncée par Louis Déjoie, partisan de l’application du mécanisme constitutionnel pour combler la vacance du pouvoir, en la circonstance l’investiture du plus ancien juge de la Cour de Cassation. Son appel à une grève générale de protestation, largement suivi, lui vaut un avertissement musclé du général. Il capitule.



Sitôt nommé, Mr Sylvain dissout le parlement, renforce les pouvoirs de la Commission d’Enquête Administrative et met sous séquestre les biens meubles et immeubles de l’ancien président Magloire et d’autres responsables de son administration. Un mandat d’arrêt est émis à l’encontre de Clément Jumelle. Ces décisions n’empêcheront pas les candidats Déjoie et Fignolé de réclamer la démission de celui qui s’était révélé un partisan zélé de Duvalier dont des proches contrôlaient le cabinet ministériel. L’affaire des bombes qui ont accidentellement éclaté dans l’après-midi du premier avril et causé la mort de deux officiers dans une maison perquisitionnée par la police achèvera de l’emporter. Il sera démis de ses fonctions et placé en résidence surveillée par le général Cantave immédiatement après l’incident parce que la veille il avait reçu le principal suspect en audience privée, le sieur Daniel Francis, trahi par un complice, et qui affirme au cours de son interrogatoire qu’il travaille pour Clément Barbot et Alphonse Lahens, deux proches collaborateurs de Duvalier qui ont rapidement gagné le maquis et ne referont surface qu’après les élections, aux côtés du vainqueur.



Dans son livre L’ESPERANCE déçue : Témoignages 1946-1976, l’ancien capitaine Pressoir Pierre révèle que quelques heures avant l’explosion, il fut informé par Duvalier que certains de ses collaborateurs attaqueraient à l’explosif, au cours de la nuit, les quartiers généraux de Déjoie et de Fignolé. Mais Duvalier ne sera jamais inquiété par la Commission d’Enquête militaire instituée par le général Cantave, agissant en chef de police, et chargée officiellement de faire la lumière sur l’incident. Appelé à témoigner, il avait les réponses adéquates aux questions qui lui seront posées, un cadeau du capitaine Pressoir Pierre, membre de la commission.



Pour remplacer le président Sylvain, le général Cantave organise une nouvelle conférence des candidats à la présidence qui aboutit, le 6 avril, à la formation d’un Conseil Exécutif de Gouvernement, acéphale, de onze membres dont trois attribués à chacun des candidats Déjoie, Duvalier et Fignolé. Le 22 avril, Duvalier retire ses délégués et plaide, de ce fait, la caducité du Conseil pour déclarer nulle et de nul effet toute décision que les membres restants pourraient prendre. Il réagissait ainsi au veto des autres candidats à la nomination de son protégé, Edmond Pierre-Paul, au poste de Commissaire de Gouvernement dont la mission inclut la mise en mouvement de l’action publique contre les auteurs et complices de crimes et de délits



Le retrait de Duvalier est accueilli froidement par les membres du Conseil amputé qui estiment que, majoritaires, ils sont habilités à exercer leur fonction. Les ministres démissionnaires sont donc remplacés et des dispositions sont prises pour l’organisation des élections. Duvalier réplique que la charte à la base de l’existence du Conseil spécifie clairement que les ministres sont désignés par les candidats qui ont participé aux travaux de la conférence politique et que toute violation de cette disposition entraîne sa dissolution. Il menace de se retirer de la campagne et de s’opposer aux élections qu’il qualifie de plaisanterie. Se campant en candidat des classes moyennes et laissant planer le spectre d’une guerre civile, il lance à l’adresse de ses adversaires que celles-ci ont toujours renoncé à la paix chaque fois que leur progrès est contrarié.



La situation s’envenimera avec la révocation du général Cantave. Il est accusé par le Conseil d’être l’instigateur d’une tentative d’assassinat à l’encontre de ses membres à l’issue d’une cérémonie religieuse à laquelle ils avaient assisté dans une église de la capitale, le 18 mai, jour de commémoration de la création du drapeau national. Des manifestants armés, guidés par un frère du général, s’étaient infiltrés dans l’assistance et les avaient attaqués. Présents à la cérémonie, des membres du corps diplomatique s’étaient dressés entre les assaillants et les victimes et avaient permis d’éviter le pire.



La décision du Conseil est qualifiée d’immorale et d’illégale par l’intéressé qui prévient que l’armée ne laissera pas triompher dans le pays des procédés de désorganisation qui s’apparentent, dit-il, aux méthodes des communistes et qu’elle sortira de ses casernes pour contrer les desseins des apatrides. Il annonce qu’il dissout le Conseil. Le pays est en effervescence. Les activités commerciales sont paralysées par une grève pour exiger le départ du général alors que des militaires réclament celui du Conseil. Sollicité comme médiateur, l’ambassadeur américain décline l'invitation. Son prédécesseur, Roy Davis, s’était fait rappeler pour avoir commenté publiquement la procédure de nomination du président Sylvain.



Le 25 mai, l’imbroglio se transforme en affrontement armé avec la tentative du colonel Pierre Armand, le remplaçant désigné du général, de prendre le commandement de l’armée qu’il avait antérieurement refusé sous la menace de certains confrères. Ses partisans, se réclamant de la légalité du Conseil, ont affronté ceux du général, les militaires duvaliéristes. On enregistra quatre morts et des blessés du côté du colonel mais le bilan sera plus lourd dans la population où des fignolistes et des duvaliéristes se sont mesurés. Au cours de l’échauffourée, des conciliabules entre Cantave, Jumelle, sorti de la clandestinité pour les besoins de la cause, Duvalier et Fignolé aboutirent à la cessation des hostilités par l’acceptation de la présidence provisoire par Fignolé et le retrait du général avec droit pour lui de choisir son successeur. Leur installation a lieu le 26 mai.



La cohabitation ne sera pas harmonieuse entre ces deux dignitaires qui se sont déjà rencontrés dans des circonstances particulières. Commandant du département militaire du Sud, le colonel, prétextant vouloir préserver la paix sociale dans la zone, en avait interdit l'entrée au candidat Fignolé qui s’y était rendu pour faire campagne. Sans ménagement, il l’avait réexpédié à la capitale.



Dès son installation, et sans en aviser le président, le nouveau général procède au transfert et à la révocation des cadres militaires identifiés au colonel Armand et au candidat Déjoie et confie les postes stratégiques à ceux qui sont reconnus pour leur engagement duvaliériste. Par lettre en date du 10 juin, il oppose un refus catégorique à une requête du président de revoir certaines nominations et aucun compromis ne sera non plus dégagé lors d’une rencontre au cours de laquelle Mr Fignolé argumente que si le chef d’État-major peut procéder unilatéralement à des réformes au sein de l’institution, il pouvait, lui, en tant que président, ordonner certains déplacements. Le général ne l’entendait pas ainsi. Le 14 juin, le président est arrêté puis expédié en exil et une junte militaire dirigée par le général assuma le pouvoir.



Pour consolider l’opération, une véritable tuerie est organisée dans les quartiers défavorisés de la capitale où Fignolé était considéré comme le sauveur. On n’a jamais su le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants tombés sous les balles assassines de l’escouade commandée par le capitaine Pressoir Pierre et comprenant notamment les officiers Franck Romain, Claude Raymond, Max Dominique, Luc Pierre-louis, Joseph Lamarre, Jacques Laroche et Frédéric McArty, ceux-la mêmes qui se signaleront par leur sadisme au cours du long règne des Duvalier.



Louis Déjoie n’a pas été oublié. Ses organisateurs politiques sont emprisonnés ou contraints à l’exil intérieur. Par décret, le droit de grève est retiré au secteur commercial, prédominant au pays et réputé acquis à sa cause. Des amendes d’une extrême sévérité et aussi l’emprisonnement étaient prévus à l’encontre de tout propriétaire de maison de commerce qui n’aurait pas respecté les heures régulières de fonctionnement ou de tout employé qui aurait participé à une grève.



À l’aune des militaires duvaliéristes, le pays était pacifié. Les élections pouvaient avoir lieu. Et Duvalier choisira lui-même la date. Ce sera le 22 septembre 1957 qui ouvrira la voie à l’un des régimes les plus sanguinaires et rétrogrades de l’histoire du pays alors qu’il s’était présenté comme la continuité du vaste mouvement social revendicatif du 7 janvier 1946 qui avait mis fin au régime d’apartheid local du président Lescot. Pour empêcher toute contestation du nouveau pouvoir avant son installation le 22 octobre, la junte militaire promulguera le décret du 26 septembre 1957 établissant l’état de siège. Le droit d’association et réunion était suspendu, toute activité politique strictement interdite, les journaux, censurés et le couvre- feu en vigueur à partir de vingt heures.



Cinquante ans plus tard, dont vingt et un depuis la fin du régime héréditaire des Duvalier, la crise n’est pas résorbée et le pays comptabilise encore des cadavres et d’autre scores négatifs. Devenu un entrepôt international de drogue, il est classé le plus pauvre du continent et lauréat au palmarès des plus corrompus. Il a aussi connu deux occupations militaires autorisées par le Conseil de Sécurité de l’O.N.U.. La solution Duvalier aurait-elle amplifié la crise et ouvert la voie à la faillite de l’État haïtien.

Lyonel daumec ldaumec@hohmail.com

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