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Commemoration du 17 octobre: exigence de vérité historique

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Commemoration du 17 octobre: exigence de vérité historique Empty Commemoration du 17 octobre: exigence de vérité historique

Message  gwotoro Sam 28 Oct 2006 - 15:02

Commémoration et exigence de vérité historique


Une conversation de M. Pierre-Richard Cajuste avec le professeur Vertus Saint-Louis dans le cadre de la commémoration du bicentenaire de la mort de Dessalines.

Pierre Richard Cajuste : Professeur Saint-Louis, il y a près de six mois, vous m'avez accordé une interview au cours de laquelle, vous avez présenté un ouvrage paru depuis lors sous le titre : Aux origines du drame d'Haïti. Droit et commerce maritime, 1794-1806. Votre ouvrage s'arrête à l'année 1806, elle vous semble particulièrement importante dans notre histoire et cela justifie, selon vous l'attention portée à la commémoration du bicentenaire de la mort de Dessalines.

Vertus Saint-Louis : Disons plutôt de l'assassinat de Dessalines.

P.R. C. Pourquoi cette brusque interruption et cette précision ?

V. S.L. Il faut savoir appeler les choses par leur nom. Quand on dit mort simplement, on a tendance à penser qu'il s'agit de mort naturelle. Si je précise en qualifiant l'événement d'assassinat, je dis tout autre chose. Or, il me semble que parfois, il est préférable, disons exactement plus rentable, de fonctionner dans la confusion. S'il y a assassinat, logiquement, il faut déterminer les responsables. Mon intervention a toute sa valeur. François Dalencour qui a réédité les Etudes sur l'histoire d'Haïti de Beaubrun Ardouin et qui, comme ce dernier, se range du côté des auteurs de l'acte du 17 octobre, s'est évertué à présenter le piège dans lequel Dessalines est tombé au Pont-Rouge, non comme un guet-apens, voir même une embuscade mais comme un juste châtiment. Je n'ai pas le texte de Dalencour en main et je n'aime pas parler de mémoire. Mais autant que je me rappelle, Dalencour aurait dit qu'on ne pouvait juger Dessalines, qu'il pourrait brillamment se défendre. La mort était la seule solution. Comment exécuter un chef d'Etat sans jugement public ? L'acte du 17 octobre est, de mon avis, la preuve de l'une des grandes défaillances du système politique haïtien. Ceux qui par un moyen quelconque disposent de la force, peuvent décider de la mort de la puissance publique, peuvent décider sereinement de l'existence d'un autre qu'ils jugent à tort ou à raison, d'être leur ennemi à abattre.

P. R.C. Mais faire disparaître un homme politique jugé dangereux, c'est dans la pratique courante des gouvernements.

V. S.L. C'est vrai, mais il y a ce que l'on appelle crime inutile. Ceux qui ont fait disparaître Dessalines ont éliminé celui qui les avait tous sauvés à un moment, je veux dire entre octobre 1802 et la fin de 1803, celui qui, pouvait bien continuer de les servir. Quant à l'assassinat politique si courant, il faut vous signaler que même Beaubrun Ardouin, quand il ne sait fait aveugle, il sait mettre les choses au point. Il dénonce la façon dont, en 1796, le commandant Lebrun, aux ordres de Rigaud, met à mort, en le torturant, Dieudonné justement accusé de trahison. Ardouin condamne surtout l'exécution sans jugement en rappelant que les conventionnels ont tout de même jugé Robespierre avant de le faire guillotiner. Je condamne sans réserve le système esclavagiste et la discrimination de couleur avant la révolution haïtienne. Mais je dois honnêtement reconnaître que l'affranchi était protégé quant à ses droits civils et qu'il fallait un jugement pour exécuter des hommes, même l'esclave. Sans préjuger pas des reproches faits à Dessalines, je commence par reconnaître que l'exécution sans jugement, public bien entendu, est une des grandes faiblesses de notre système politique. En vous parlant de système politique, je m'écarte de ceux qui rejettent l'acte du 17 octobre uniquement sur les mulâtres. Je veux voir un problème de société, celui des dictatures sanguinaires qui vont se multiplier dans les pays d'Amérique latine au lendemain de leur indépendance et qui aujourd'hui font les malheurs de l'Afrique.

P.R. C. Alors, pour vous commémorer le 17 octobre, c'est poser des problèmes ?

V. S.L. C'est un peu vrai, car il est impossible, qu'en ces temps difficiles, on se contente de discours pieux à la mémoire de Dessalines comme dans un simple geste de vénération dont on peut se demander s'il ne s'agit pas d'un rite ou d'une simple routine pour se conformer à la tradition politique. Je crois qu'il ne faut pas faire la toilette de l'histoire, l'arranger pour la faire figurer aux cérémonies officielles. Il faut l'écrire, l'enseigner. Je crois que la mémoire de Dessalines est une question d'histoire.

P.R. C. Il y aurait une histoire de la mémoire de Dessalines ?

V. S.L. Dessalines a été vivement combattus de son vivant, moins par la masse dont il a émergé et qu'il a maltraitée mais surtout par la fraction dominante des indigènes qu'il a servie et même sauvée. Après sa mort, on a traité ou récupéré sa mémoire suivant les circonstances et au gré des intérêts. Christophe a combiné avec des militaires du Sud la conspiration qui aboutit au Pont Rouge, mais vite déçu dans ses prétentions au pouvoir personnel, il les en accusera et se présentera comme vengeur de Dessalines. Les militaires de l'Ouest et du Sud feront silence sur le nom de Dessalines que par politique Rivière Hérard mentionne le 1er janvier 1804. Avec la montée du courant des noirs opposés à la prédominance absolue des mulâtres, Salomon prononce l'oraison funèbre de Dessalines dans l'Eglise des Cayes le 17 octobre 1845, si j'ai bonne mémoire. Salomon deviendra ministre de Soulouque, gouvernement dit noir, et de 1879 à 1888, il sera président d'Haïti. Le courant noiriste indigéniste de François Duvalier et de Lorimer Denis récupèrera la mémoire de Toussaint Louverture, Christophe, et Dessalines, pour constituer une lignée de chefs noirs, entre autres, Soulouque, Salomon, Antoine Simon qui seraient ses prédécesseurs révolutionnaires. Duvalier et Denis ont inventé un mensonge. Dessalines s'est vivement opposé à la contrebande et au refus des commerçants américains de payer des taxes. Il a été combattu par les chefs militaires désireux de s'approprier les terres de l'Etat et de s'enrichir en alliance avec le négoce étranger. Or, Salomon sera élu grâce au concours de ces négociants étrangers recherchant les moyens de se faire rembourser les dettes imposées frauduleusement au pays par Domingue, autre chef du parti dit des noirs. Or, à l'époque, c'est le parti libéral de Bazelais qui refuse de payer ces dettes. C'est dire que l'histoire n'est pas que noire et mulâtre, comme on a toujours voulu nous la présenter. Peut-on honorer la mémoire de Dessalines en ignorant les récupérations abusives dont elle a été et continue d'être l'objet ?

P.R. C. Une commémoration poserait selon vous des problèmes autres que de protocole et de cérémonie ?

V. S.L. Certainement et surtout dans un pays à problème comme Haïti. Des chefs tels que les Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe, Pétion peuvent être considérés comme révolutionnaires quand on considère d'où ils sont partis et où ils sont arrivés. Mais, on ne peut que constater, leurs limites, celles du mouvement qui les portait face à l'étendue des problèmes auxquels le peuple haïtien en voie de constitution faisait face. Mais on a choisi d'ignorer les problèmes ou on continue de laisser croire qu'ils n'étaient que de couleur. Il est ainsi facile de porter des jugements qui sont à la mesure des ambitions étroites des politiciens. Il faut oser poser les problèmes pour bien juger des hommes.

P.R. C. Quels étaient ces problèmes ?

V. S.L. Ils sont nombreux mais en gros ils sont tous relatifs à l'économie et surtout à la culture en tant qu'expérience des sociétés. Par exemple, au fort du complot contre Dessalines, le contentieux porte sur l'appropriation des terres et l'attitude face au marché international. Considérons un seul point de ce dernier aspect ? Dessalines s'oppose à la fabrication du clairin qui se consomme uniquement dans le pays et à la coupe du bois de campêche, industrie des paresseux. Il veut que les capitaines de bâtiment prennent notre sucre qui est de mauvaise qualité et il entend que le café se vende à un prix déterminé. Dessalines, impuissant face au marché international, fait détruire les guildives et incendier des tas de bois destinés à l'exportation. Ses adversaires en profitent pour l'éliminer. Eux non plus ne pourront résoudre la question du sucre. Pourquoi après l'indépendance, Haïti n'a-t-elle pas pu continuer à produire du sucre. Telle une question d'histoire d'importance actuelle que l'on pourrait se poser à l'occasion de la commémoration de l'événement du 17 octobre 1806. Son étude pourrait révéler que les auteurs du drame du Pont Rouge et même Dessalines, qui en a été la victime, manquaient d'une culture du pouvoir comme capacité de produire, de vendre, de s'imposer à l'étranger. Je doute que aujourd'hui encore nous soyons parvenus à une telle vision du pouvoir.

P.R. C. Selon vous, la culture n'est pas que folklore ?


V. S.L. En Haïti, face à la nécessité légitime de défendre le vaudou, de démontrer qu'il ne s'agit pas de pratiques diaboliques, nos intellectuels sont tombés dans l'erreur consistant à ramener la culture uniquement à sa dimension folklorique, sans saisir l'importance de la dimension technique, scientifique et intellectuelle et en général comme expérience de vécu au sein de la société et dans les relations entre sociétés. Les conséquences du manque de culture sont renforcées par notre grande misère matérielle à laquelle nous recherchons des solutions individuelles égoïstes et désespérées en nous livrant réciproquement une lutte génocidaire pour le pouvoir politique absolu sur nos compatriotes. C'est tout cela qui nous a valu 1806 et qui nous vaut aujourd'hui le ridicule de ce protectorat humiliant et inefficace d'étrangers venus des quatre coins du monde.

P.R. C. Vous établissez une relation entre ce qui se passe aujourd'hui et l'acte du Pont Rouge.

V. S.L. Dans une certaine mesure. J'ai souligné dans mon livre et dans un article de revue, qu'avant 1804, Haïti est tombée sous la dépendance commerciale de l'Angleterre et des Etats-Unis par suite de la guerre civile entre Rigaud et Toussaint. L'assassinat de Dessalines en 1806 marque une nouvelle entrée dans la dépendance qui sera renforcée lorsque Boyer accepte de payer une indemnité aux anciens colons français. Depuis lors, le pays entre dans le cycle infernal des dettes envers l'étranger. Plus tard, nos hommes politiques se battent pour le pouvoir en faisant appel aux puissances étrangères sans considération des conséquences pour Haïti. L'on peut dire que depuis 1806, les hommes politiques haïtiens ne cessent de s'entredéchirer en se plaçant sous la tutelle des gouvernements étrangers. Je pense qu'on ne peut commémorer le bicentenaire de l'assassinat de Dessalines sans rappeler à la conscience nationale la conduite si peu clairvoyante de nos politiciens.

Pierre Richard Cajuste
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