Article d'une patriote sur le passe et le futur d'Haiti

Ce que les gouvernements d'Haïti ont fait depuis 1915

Par Ghislaine Rey Charlier

On ne peut pas dire qu'ils n'ont rien fait, mais ils n'ont jamais fait ce qui aurait pu, aurait du être fait.

Chacun d'eux a fait soit une ou plusieurs écoles, un pont petit, rarement grand, des révisions constitutionnelles généralement peu importantes sauf lorsqu'il a fallu permettre aux étrangers de posséder des terres et autres biens sur le territoire conquis par nos ancêtres.

En fait, en Haïti, lorsqu'on parle d'un gouvernement, on parle d'un président. Lequel nomme et révoque à son gré et n'est tenu pour responsable qu'envers une ambassade étrangère, laquelle peut lui rendre la vie impossible ou la mettre dans un avion quand bon lui semble avec l'aide intéressée d'individus a sa convenance. Nonobstant cette tutelle gênante certains présidents se sont efforces d'agir au mieux de leurs possibilités. On n'a pas manque de leur mettre des bâtons dans les roues, comme de leur "prêter" entre autres un argent dont ils n'ont jamais vu le premier sou, mais sur lequel l'administration haïtienne a été obligée de payer des inserts.

Lorsque la population qui le croit omnipotent le tient pour la cause principale de tout le bien ou tout le mal fait au cours de son mandat, elle se trompe. Bien souvent, il n'est pas au courant des méfaits de son entourage. Par contre, les chefs d'Etat les plus autocrates ont toujours approuve sinon concocte les pires agissements de leurs ministres tels emprisonnements arbitraires, bannissements, tortures (mises a la mode par l'occupant de 1915) et même assassinats de personnages importants.

Un cas spécial est celui du président Dartiguenave "élu" au début de l'occupation et qui n'a bénéficié d'aucun pouvoir au point qu'ayant manifeste une velléité de résistance a des exigences excessives, il a été prive de ses émoluments par l'envahisseur jusqu'a sa soumission.

Le suivant, Borno, plus habile, tout en pratiquant sa "collaboration franche et loyale" a sens unique car l'occupant se fichait bel et bien de loyauté et de collaboration, ne se souciant que de soumission a ses désirs les plus incongrus, a du se contenter de mettre la presse au pas, d'emprisonner certains journalistes indociles ainsi que les opposants et les candidats patriotes. Le tout agrémenté de discours en français académique.

Vincent, lui, citait Baudelaire. Il est vrai que ses textes étaient écrits par le poète Léon Laleau. Ce président Vincent persécutait tous ceux qui n'approuvaient sa politique. Il y a même eu des cas de tortures perpétrés par les militaires durant ses mandats. Il a fait la loi sur le commerce de détail interdit aux étrangers, les fermes-ecoles, etc.

Quand a son successeurs Elie Lescot, c'etait un homme intègre qui a laisse les finances publiques dans un ordre parfait. Par contre, c'était un homme imbu du fameux prejugé de couleur invente par les blancs occidentaux. Bien que sa femme et son fils aine aient tous deux été noirs, il favorisait les mulâtres aux dépens de la majorité noire, alors qu'il était lui-même un griffe. De plus, voulant une politique de reflet fidèle aux USA, il a permis à des compagnies Yankees de s'implanter dans le pays qu'ils ont ravage et livre aux pillages. Enfin, le comble a été la fameuse campagne dite de "rejetés" qui a culmine dans la persécution de la religion ancestrale, le vaudou,le vol dans les hounforts dont la plupart des objets de valeur (certains datant de la période coloniale) furent envoyés en France ou vendus aux Yankees. Néanmoins, ce même président n'est pas sans avoir fait quelques bonnes choses, tout comme les autres. On peut citer le commerce de la figue banane.

Comment a-t-il déplu a ces maîtres apres avoir indispose la majeure partie d'Haiti? En tout cas, ceux-ci ont soutenu les protestations et la greve generale qui s'en est suivie. C'est ce que l'on a baptise " la Révolution de 1946". Les gens sensés ont eu beau faire, la question de couleur soulevée avec l'appui de l'ambassade US, mais qui, à sa surprise et déplaisir, a été vite récupérée par des "gauchistes extrémistes" se disant révolutionnaires a eu un retentissement général avec la propagande active de la "classe" des intellectuels petits-bourgeois.

Enfin, on a eu le président Estime, un patriote, parfois mal conseille et surtout entoure de quelques jeunes extravagants qui n'ont pas hésité à commettre méfaits et forfaits dont il n'a eu connaissance qu'après coup. Néanmoins, Dumarsais Estime a pu payer la dette de 5 millions qui étranglait le pays. Il a tenté et réussi pour quelque temps, à promouvoir le tourisme d'Haïti à l'étranger grâce a l'exposition du Bicentenaire. Cette exposition a permis aux ingénieurs et artisans de l'époque de travailler... Estime a aussi fait construire le barrage de Peligre, vite ensable, faute d'entretien.

Quand au général Magloire, un jouisseur entoure d'une bande de petits fétards plus ou moins engendarmés, c'était un personnage qui se faisait accueillir partout avec deux chansons caractéristiques: "Tou le jou mwen sou, se wiski mwen bwe" et "min djab la, min djab la". En outre, il se faisait appeler "kanson fe" ajoutant la menace à la bouffonnerie. Inutile de mentionner que ce genre d'individus plait beaucoup aux étrangers parce qu'il les aide à se croire supérieurs aux noirs sans avoir à tenir compte des gens de valeur qu'il leur arrive de frôler.

Daniel Fignole, leader populaire charismatique n'a passe que 19 jours au pouvoir. Plein, dit-on, de bonnes intentions, il n'a rien pu réaliser de ses projets. Etrangers, bourgeois et militaires ont eu vite fait de l'expédier en exil.

Ce qui nous amène aux Duvalier. Le père, tyran notoire, grand pourvoyeur de prisons ou régnaient la torture, la faim, la maladie, Adepte du noirisme, ce qui ne l'a pas empeché de rendre la vie insupportable a la majorité noire et de chouchouter les mulâtres assassins de son entourage. Enlèvements nocturnes, arrestations a l'aube, disparitions, exécutions publiques ou clandestines ont foisonne sous son règne comme disent les haïtiens.

Son fils, "Baby Doc" ne valait guère mieux, malgré qu'il ait cru pouvoir durer en ralliant un secteur de la bourgeoisie, en particulier celui des affaires de toutes sortes, y compris le trafic du sang et des cadavres de ses compatriotes. Le tout, appuyé par des intellectuels plus ou moins dévoyés et bien entendu, l'ambassade US.

C'est le père qui a inauguré l'ère des arrestations brutales de gens en caleçons ou pyjamas de nuit, des femmes et parfois des enfants. La coutume, en Haïti, était de ne jamais mettre les femmes en prison sauf pour crime de droit commun (meurtre en général). Habituellement, on ne maltraitait ni femme ni enfant. Ces derniers, même ceux des pires ennemis, étaient protégés. On fusillait parfois les hommes, on ne les torturait pas. C'est la première occupation US qui a repris, en la modernisant, la torture pratiquée sous la colonisation française, en particulier par le monstre Donatien Rochambeau, fils du héros Jean-Baptiste Vimeur qui a commande le corps expéditionnaire français durant la guerre d'Indépendance des Etats-Unis.

Le peuple que l'on estime tenu de tout accepter, finit par en avoir assez et se remit à protester. D'ou répressions, grèves, manifestations. Départ du couple détesté de "Baby Doc".

Il y a eu au cours des années quelques massacres perpétrés par des généraux au service de divers chefs d'Etat ou des divers juntes et gouvernements militaires, jamais bon qu'a réprimer et a faire des élections frauduleuses. Seul le gouvernement d'Eugène Magloire a eu une conduite correcte.

Dans ces conditions, quel projet de société pourrait-on préconiser ?

Sans nul doute, un projet a long terme, visant à une restructuration de l'Etat. Car on n'a jamais eu qu'un gouvernement tantôt autocratique, paternaliste dans le meilleur des cas, ou tyrannique, féroce dans le pire.

Ce sont les mauvaises habitudes héritées de la colonie, la pression des états esclavagistes soi-disant républicains et leur façon d'appuyer tous les faiseurs de coups d'état dans un but intéressé qui nous ont menés à la situation actuelle. A preuve, l'évolution des pays de l'Amérique latine soumis aux mêmes conditions: avalanche de coups d'état, constitutions, dictatures, guerres civiles, massacres, etc. Pourtant, ces pays la sont diriges par des blancs, d'origine européenne. Tel a été le cas, il n'y a pas si longtemps, des pays balkaniques dont les habitants sont en général des slaves. Tel est celui des nouveaux états africains. On constate que les mêmes causes produisent les mêmes effets et que la couleur de la peau, chose superficielle, n'y est pour rien. Ce sont les héritiers des esclavagistes en veine d'hegemonie mondiale qui veulent nous persuader de leur supériorité native. Foutaise qui aboutit droit au crime!

Revenons-en au pouvoir personnel assorti de :

1) Culte de la personnalité (domaine des flatteurs)
2) Clientélisme (favoritisme)
3) Administration incompétente (pots de vin)
4) Aboutissement logique: dictature sanglante soit muselage de la presse, massacres, emprisonnement, tortures...

De toutes façons, tout gouvernement n'ayant d'autre légitimité que la force, un parlement plus ou moins asservi ne peut, s'il n'y aboutit pas, que conduire a la dictature qui lui succédera facilement.

La première démarche serait de réunir un groupe de patriotes appartenant a tous les milieux sociaux, préconisant des mesures générales propres a favoriser toujours et partout un comportement vraiment démocratique et a l'enseigner tant aux jeunes gens des deux sexes qu'aux enfants a naître, aussitôt qu'ils seront en mesure de comprendre ce dont il s'agit. Abandonner tout culte de quelque personnalité que ce soit. Eviter la flatterie. Tacher de protester contre la mauvaise habitude de détruire ou de négliger tout ce qui a été construit par le gouvernement précédent. Exiger de la presse un comportement digne.

Projet a long terme

Un véritable projet de société doit être nécessairement un projet à long terme. Il ne peut être mené a bien que par la conviction, la persévérance de plusieurs générations d'individus conscients, honnêtes. Ceux-la, hommes, femmes, jeunes seront de plus en plus nombreux, si les patriotes actuels se donnent la peine de les éduquer, ce que ne font pas les vendeurs de patrie dont le but est de préparer des valets enthousiastes aux occupants et a d'autres pays riches.

Une reforme démocratique a, par ailleurs des chances de réussir a l'échelle mondiale tout comme celle a qui l'a précédée a réussi avant de se corrompre. S'agissant d'Haiti, il faut des maintenant travailler assidûment a pouvoir en profiter de manière pacifique mais résolue. Il va falloir soutenir tout gouvernement visant à s'occuper du bien-être de sa population plutôt que des avantages de groupes sociaux tels commerçants import-export, de la sous-traitance, gens capables de veiller jalousement a leurs propres intérêts. Par contre, les industriels et tous ceux qui entreprennent de développer le pays doivent être soutenus et protégés, non sans veiller a ce qu'ils n'exploitent pas trop leurs employés et a ce qu'ils respectent les lois concernant salaires, heures légales et syndicats.

Ce ne sont la que des suggestions. Il serait bon de consulter tout ce qui a été préconisé par les hommes valables du 19eme siècle, tout en tachant de mettre leurs programmes a la mesure du 21eme siècle (voir les divers volumes de littérature haïtienne).


Contribution a l'etude d'un plan d'Etat

Au siècle dernier, le PSP avait rédigé une "Contribution a l'étude d'un plan d'Etat" a l'usage d'un pays avide de changement. Les authentiques ont prétendu qu'il avait pour but d'aider Lescot, un président bien incapable de l'exécuter, voire d'en saisir la portée. Les soi-disant révolutionnaires l'ont estimé propre à assurer la perpétuation du régime capitaliste le plus rétrograde. Ils l'auraient voulue faite pour une révolution impossible.

En fait, le but de ce texte était tout simplement, d'indiquer ce qui pouvait être fait sans révolution armée et autre bouleversement immédiat. Cette contribution a été appréciée par les patriotes capables de le lire et de le comprendre mais hélas, eux n'ont pas accès au pouvoir, aux medias, rarement à la fonction publique ou on les empêche d'agir même dans une sphère réduite.

Cette "Contribution à l'étude d'un plan d'état" a été publiée dans le quotidien Le Nouvelliste au mois d'avril 1945.

A l'aube de ce nouveau siècle si tristement commencé pour Haïti, il importe de piocher pour donner une voix a tous ceux qui n'ont en vue qu'un changement en profondeur, favorable a tous ceux qui travaillent dans quelque domaine que ce soit, afin de créer un pays ou tous les Haïtiens puissent vivre dans la paix et le respect mutuel. Il n'y a pas deux manières d'aimer l'humanité et d'aimer ses compatriotes.

Montreal, le 15 novembre 2005

Mme Charlier

Nous vous remercions pour ce texte combien instructif.Il faut ecrire plus souvent ;votre connaissance du pays,votre honnèteté et votre sagesse sont des atouts importants pour l'éducation de la nouvelle génération.J'ai toujours apprécié votre candeur et votre rhetorique sans pedantrie.

Nous demandons au grand architecte de vous donner une santé robuste pour que vous poursuiviez cette noble tache d'instruire les jeunes sur l'histopire de leur pays. Encore une fois merci.