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Haïti : la malédiction blanche

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Haïti : la malédiction blanche Empty Haïti : la malédiction blanche

Message  piporiko Ven 20 Nov 2009 - 13:18

Haïti : la malédiction blanche
Tuesday December 12
PAR EDUARDO GALEA

Le premier jour de cette année, la liberté a fêté deux siècles de
vie dans le monde. Personne ne s’en est rendu compte ou presque.
Quelques jours plus tard, le pays de l’anniversaire, Haïti, occupait
une certaine place dans les médias ; non pas à cause de cet
anniversaire de la liberté universelle, mais parce qu’a été provoqué un
bain de sang qui a fini par faire tomber le président Aristide.

Haïti a été le premier pays où on a aboli l’esclavage. Toutefois, les
encyclopédies les plus répandues et presque tous les textes d’éducation
attribuent à l’Angleterre cet honneur historique. Il est vrai qu’un
beau jour l’empire a changé d’avis, lui qui avait été le champion
mondial du trafic négrier ; mais l’abolition britannique s’est produite
en 1807, trois années après la révolution haïtienne, et s’est avérée
tellement peu convaincante qu’en 1832 l’Angleterre a dû interdire à
nouveau l’esclavage. La négation d’Haïti n’a rien de nouveau.


Depuis deux siècles, elle souffre dédain et punition. Thomas
Jefferson, figure de la liberté et propriétaire d’esclaves, signalait
que d’Haïti provenait le mauvais exemple ; et il disait qu’il fallait
"confiner la peste dans cette île". Son pays l’a écouté. Les Etats-Unis
ont mis soixante ans pour accorder la reconnaissance diplomatique à la
plus libre des nations. Pendant ce temps-là, au Brésil, on appelait
haïtiannisme le désordre et la violence. Les propriétaires des bras
noirs ont été sauvés du haïtianisme jusqu’en 1888. Cette année-là, le
Brésil a aboli l’esclavage. Ce fut le dernier pays dans le monde à le
faire.


Haïti est redevenu un pays invisible, jusqu’à la boucherie
suivante. Pendant qu’il était sur les écrans et dans les pages des
journaux, au début de cette année, les médias n’ont transmis que
confusion et violence et ont confirmé que les Haïtiens sont nés ou pour
faire le mal ou pour mal faire le bien.


Depuis la Révolution, Haïti a seulement été capable d’offrir des
tragédies. Ce fut une colonie prospère et heureuse et maintenant c’est
la nation la plus pauvre de l’hémisphère occidental. Les révolutions,
ont conclu quelques spécialistes, conduisent à l’abîme. Et certains ont
dit, et d’autres ont suggéré, que la tendance haïtienne au fratricide
provient de l’héritage sauvage qui vient de l’Afrique. Le mandat des
ancêtres. La malédiction noire, qui pousse au crime et au chaos. De la
malédiction blanche, personne ne parle.


La Révolution française avait éliminé l’esclavage, mais Napoléon l’avait ressuscité :

— Quel a été le régime le plus prospère pour les colonies ?



Et pour réimplanter l’esclavage à Haïti, il a envoyé plus de
cinquante navires pleins de soldats. Les noirs révoltés ont vaincu la
France et ont conquis l’indépendance nationale et la libération des
esclaves. En 1804, ils ont hérité d’une terre dévastée par les
plantations de canne à sucre et d’un pays ravagé par une guerre féroce.
Et ils ont hérité de "la dette française". La France a fait payer chère
l’humiliation infligée à Napoléon Bonaparte. A peine née, Haïti a dû
s’engager à payer une indemnisation gigantesque, pour les dommages
faits en se libérant.


Cette expiation du péché de la liberté lui a coûté 150 millions de
francs or. Le nouveau pays est né étranglé par cette corde attachée au
cou : une fortune qui équivaudrait actuellement à 21.700 millions de
dollars ou à 44 budgets totaux de Haïti de nos jours. Il lui a fallu
beaucoup plus d’un siècle pour le paiement de la dette, que les
intérêts d’usure multiplièrent. En 1938 on a finalement fêté la
rédemption finale. Mais Haïti appartenait déjà aux banques des
Etats-Unis.


En échange de cette somme faramineuse, la France a officiellement
reconnu la nouvelle nation. Aucun autre pays ne l’a reconnue. Haïti
était né condamné à la solitude.


Simón Bolivar ne l’a pas reconnue non plus, bien qu’il lui doive
tout. Haïti lui donna en 1816 bateaux, armes et soldats quand il arriva
sur l’île, vaincu, et demanda abri et aide. Tout lui avait été donné
par Haïti, à la seule condition de libérer les esclaves, une idée qui
jusqu’alors ne lui était pas passée par la tête. Ensuite, le grand
homme a triomphé dans sa guerre d’indépendance et a exprimé sa
gratitude en envoyant à Port-au-Prince une épée en cadeau. La
reconnaissance, n’en parlons même pas.


En réalité, les colonies espagnoles qui étaient devenues des pays
indépendants continuaient à avoir des esclaves, même si certaines
avaient même des lois qui l’interdisaient. Bolivar a dicté la sienne en
1821, mais la réalité n’en a pas tenu compte. Trente années après, en
1851, la Colombie abolit l’esclavage. Le Venezuela en fit de même en
1854.


En 1915, les marines débarquèrent à Haïti. Ils sont restés dix-neuf
années. La première chose qu’ils firent fut d’occuper la douane et le
bureau de collecte des impôts. L’armée d’occupation a retenu le salaire
du président haïtien jusqu’à ce qu’il se résigne à signer la
liquidation de la Banque de la Nation, qui s’est transformée en
succursale de la Citibank de New-York.


Le président et tous les autres noirs étaient interdits d’entrer
dans les hôtels, restaurants et les clubs réservés au pouvoir étranger.
Les occupants n’ont pas osé réinstaurer l’esclavage, mais ont imposé le
travail forcé pour les travaux publics. Et ils ont beaucoup tué. Ce ne
fut pas facile d’éteindre les feux de la résistance. Le chef partisan,
Charlemagne Péralte, cloué en croix contre une porte, a été exhibé,
comme punition, sur la place publique.


La mission civilisatrice s’est conclue en 1934. Les occupants se
sont retirés laissant à leur place une Garde nationale, fabriquée par
eux, pour exterminer tout ombre possible de démocratie. Ils firent de
même au Nicaragua et en République Dominicaine. Quelque temps plus
tard, Duvalier devint l’équivalent haïtien de Somoza et de Trujillo.


Et ainsi, de dictature en dictature, de promesses en trahisons, se
sont ajoutées les mésaventures et les années. Aristide, le prêtre
rebelle, est arrivé à la présidence en 1991. Cela a duré quelques mois.
Le gouvernement des Etats-Unis a aidé à le faire tomber, ils l’ont
pris, l’ont soumis à un traitement et une fois recyclé l’ont remis à la
présidence, sous la protection des marines. Et une fois encore, ils ont
aidé à le démolir, en cette année 2004. Une fois encore, un massacre a
eu lieu. Une fois encore les marines sont revenus, ils reviennent
toujours, comme la grippe.


Mais les experts internationaux sont beaucoup plus dévastateurs que
les troupes des envahisseurs. Pays soumis aux ordres de la Banque
mondiale et du Fonds monétaire, Haïti avait obéi à leurs instructions
sans mot dire. Ils l’ont payé en lui refusant le pain et le sel. Ils
lui ont gelé les crédits, bien que l’Etat ait été démantelé et que les
barrières douanières et subventions qui protégeaient la production
nationale aient été liquidées. Les paysans cultivateurs du riz, qui
étaient la majorité, se sont transformés en mendiants ou " balseros ".
Beaucoup ont plongé et continuent à plonger dans les profondeurs de la
mer des Caraïbes, mais ces naufragés ne sont pas cubains et rarement
apparaissent dans les journaux.


Maintenant Haïti importe tout son riz depuis les Etats-Unis, où les
experts internationaux, qui sont des gens assez distraits, ont oublié
d’interdire les barrières douanières et les subventions qui protègent
la production nationale.


A la frontière où termine la République dominicaine et commence
Haïti, il y a une grande affiche qui donne un avertissement : El mal
paso - Le mauvais passage. De l’autre côté, c’est l’enfer noir. Sang et
faim, misère, pestes.


Dans cet enfer tellement craint, tous sont des sculpteurs. Les
Haïtiens ont la coutume de récolter des boîtes de conserve et de la
vieille ferraille et avec un savoir-faire ancien, en découpant et en
martelant, leurs mains créent des merveilles qui sont offertes sur les
marchés populaires.


Haïti est un pays jeté à la décharge, par une éternelle punition de
sa dignité. Là il gît, comme s’il était de la ferraille. Il attend les
mains de ses gens.


Source : Patria Grande.

Traduction : Inconnu. Version francophone trouvée sur El Correo. Corrections : RISAL.

Note : Eduardo Galeano est l’un des plus prestigieux écrivains uruguayens.

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