UN TRES BON TEXTE
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UN TRES BON TEXTE
L'échec intellectuel du néoconservatisme, par Sylvain Cypel
LE MONDE | 22.11.08 | 13h28 • Mis à jour le 22.11.08 | 13h29 Réagissez (9) Classez Imprimez Envoyez Partagez
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Avant son décès, en février, William Buckley, le vulgarisateur-rénovateur de la pensée conservatrice américaine, inspirateur d'une génération d'intellectuels et de politiciens, avait dit combien la chaîne de télévision Fox News, qui se revendique de son autorité morale, lui faisait "honte" : pour sa propagande vulgaire, sa réduction caricaturale du conservatisme à quelques clichés. Bien sûr, la crise économique explique pour beaucoup la large victoire électorale de Barack Obama. Mais des voix conservatrices s'élèvent pour émettre l'idée que leur mouvance n'a pas échoué conjoncturellement : celle-ci et Fox, son bras médiatique, ont - ce qui est plus grave - subi une défaite intellectuelle.
Soit parce que ses idées fondamentales ne correspondent plus à ce que devient l'Amérique : une société plus métissée, moins industrielle, plus inquiète quant à son identité et à la réalité de son leadership. Soit parce que le conservatisme, sous George Bush, s'est dévoyé dans un culte de la force qui a montré ses limites et dans des "valeurs" surannées. Dans les deux cas, elle a réduit son influence aux catégories sociales les plus "réactionnaires", dans le sens littéral du terme, les moins en phase avec les évolutions du pays.
Une carte du récent scrutin montre, comté par comté, où démocrates et républicains ont gagné des voix. Ces derniers n'ont progressé que sur un arc de cercle qui va du sud-ouest de la Virginie-Occidentale au nord-est du Texas, incluant Tennessee, nord de l'Alabama, Arkansas, Oklahoma et Louisiane. C'est-à-dire la partie de la vieille Amérique sudiste et raciste la plus rétive aux mutations. Partout ailleurs, sur 80 % du territoire, les démocrates ont avancé.
Observant les contributions financières avant l'élection, le chroniqueur conservateur du New York Times, David Brooks, écrivait, dès le 10 octobre : "Les juristes donnent désormais plus au Parti démocrate qu'au républicain dans une proportion de 4 contre 1. Les dirigeants dans la haute technologie à 5 contre 1. Les banquiers d'affaires à 2 contre 1. Il a fallu bien du talent aux républicains pour perdre les banquiers !" Et il annonçait le désastre à venir. Ce qui mène les républicains à leur perte, jugeait-il, c'est l'abandon du terrain intellectuel.
Marginalisés dans l'après-seconde guerre mondiale, "les conservateurs, conduits par le besoin de conquérir les élites, ont bâti un contre-establishment avec des groupes de réflexion et des magazines. Ils méprisaient les idées des professeurs progressistes, mais pas l'idée d'un esprit cultivé", poursuivait-il. Or, dans une Amérique où la matière grise est devenue la première des matières premières, ils ont rétréci leur champ d'influence pour se refermer sur la vénération de ceux que John McCain allait glorifier sous le nom de "Joe le plombier" : l'artisan ou l'ouvrier blanc peu éduqué aux horizons bornés.
Mark Lilla, historien libéral aronien, se désole de ce rabougrissement. "Finita la comedia", écrit-il, quatre jours après le 4 novembre. La désignation de Sarah Palin comme colistière républicaine a été promue et saluée par "les éditeurs de la National Review et du Weekly Standard deux revues néoconservatrices phares, qui se présentent comme les héritiers du conservatisme subtil de William Buckley". Ils ont cherché "un dirigeant populiste jeune auquel ils pourraient raccrocher leur wagon. (...) Après la campagne de Sarah Palin, cette tradition intellectuelle doit être annoncée comme officiellement morte".
Et de se lamenter : tous ces penseurs conservateurs des années 1960-1990, les Buckley, Irving Kristol, Daniel Patrick Moynihan, Gertrude Himmelfarb, Norman Podhoretz, "on était d'accord avec eux ou pas, mais il fallait les prendre au sérieux". Leur conservatisme méprisait le populisme. En considérant les élites comme "un fait de la vie politique et démocratique (...), ils défendaient aussi leur propre statut". Leurs successeurs ont dévoyé leur héritage en prônant les vertus du "bon sens", celles de valeurs rétrogrades (anti-intellectuelles, antimusulmanes, anti-minorités, anti-avortement...) et en flattant l'ignorance qui accompagne naturellement le rejet des élites. Certes, Mme Palin a été l'objet de moqueries déshonorantes, mais elle symbolisait le fait que, chez les conservateurs, "le mépris pour les intellectuels progressistes a glissé vers un mépris pour les classes éduquées en général", écrivait encore David Brooks.
De l'exaltation de l'ignorance à l'exploitation du mensonge sous George Bush, il n'y avait qu'un pas, que les néoconservateurs, convaincus ou cyniques, ont franchi allégrement. Car il fallait une dose d'ignorance pour croire que les Etats-Unis lançaient la guerre à l'Irak parce qu'ils craignaient que son dictateur détienne des armes de destruction massive. Ils l'ont fait précisément parce qu'ils savaient qu'il n'en avait pas : en eût-il possédé qu'ils ne l'auraient pas fait. Les théories de la "guerre préventive", de la "guerre à la terreur" avaient pour avantage de pouvoir être engagées lorsque l'ennemi est sans capacité réelle de rétorsion (d'où la nécessité de mentir sur la menace réelle qu'il constitue). Leur désavantage, comme l'ont montré les cas de la Corée du Nord et de l'Iran, est que, lorsque le risque, militaire ou politique, existe, le primat de la force sans moyens politiques adéquats s'érode.
C'est là que l'alliage ignorance-mensonge a commencé de se fissurer. Aux derniers jours de campagne, face à une supportrice enthousiaste clamant "Obama est un Arabe !", M. McCain avait dû rétorquer : "Non, madame, c'est un homme convenable." Avec la crise économique, cet alliage s'est effondré. Héros absolu du conservatisme, Ronald Reagan avait accédé à la présidence en 1980 en clamant : "L'Etat n'est pas la solution, il est le problème." Vingt-huit ans plus tard, M. McCain a cru possible de mener campagne sur le "moins d'Etat". L'idéologie était nue : de toutes parts fusaient les appels au Trésor pour sauver le système financier.
Le 17 janvier, au début des primaires, M. Obama avait dit : "Je crois que Ronald Reagan a changé la trajectoire de l'Amérique. (...) Il nous a mis sur une voie différente parce que le pays y était prêt, il s'est engouffré dans ce que les gens ressentaient déjà." Les démocrates avaient alors critiqué des propos magnifiant l'ancien président républicain. Or, en l'évoquant, M. Obama signifiait que l'ère reaganienne était close, que lui aussi "s'engouffrait" dans une réalité préexistante - la fin du conservatisme comme idéologie dominante. Certains républicains commencent à craindre qu'il ait eu raison.
Correspondant à New York
Courriel :
cypel@lemonde.fr
Sylvain Cypel
LE MONDE | 22.11.08 | 13h28 • Mis à jour le 22.11.08 | 13h29 Réagissez (9) Classez Imprimez Envoyez Partagez
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Avant son décès, en février, William Buckley, le vulgarisateur-rénovateur de la pensée conservatrice américaine, inspirateur d'une génération d'intellectuels et de politiciens, avait dit combien la chaîne de télévision Fox News, qui se revendique de son autorité morale, lui faisait "honte" : pour sa propagande vulgaire, sa réduction caricaturale du conservatisme à quelques clichés. Bien sûr, la crise économique explique pour beaucoup la large victoire électorale de Barack Obama. Mais des voix conservatrices s'élèvent pour émettre l'idée que leur mouvance n'a pas échoué conjoncturellement : celle-ci et Fox, son bras médiatique, ont - ce qui est plus grave - subi une défaite intellectuelle.
Soit parce que ses idées fondamentales ne correspondent plus à ce que devient l'Amérique : une société plus métissée, moins industrielle, plus inquiète quant à son identité et à la réalité de son leadership. Soit parce que le conservatisme, sous George Bush, s'est dévoyé dans un culte de la force qui a montré ses limites et dans des "valeurs" surannées. Dans les deux cas, elle a réduit son influence aux catégories sociales les plus "réactionnaires", dans le sens littéral du terme, les moins en phase avec les évolutions du pays.
Une carte du récent scrutin montre, comté par comté, où démocrates et républicains ont gagné des voix. Ces derniers n'ont progressé que sur un arc de cercle qui va du sud-ouest de la Virginie-Occidentale au nord-est du Texas, incluant Tennessee, nord de l'Alabama, Arkansas, Oklahoma et Louisiane. C'est-à-dire la partie de la vieille Amérique sudiste et raciste la plus rétive aux mutations. Partout ailleurs, sur 80 % du territoire, les démocrates ont avancé.
Observant les contributions financières avant l'élection, le chroniqueur conservateur du New York Times, David Brooks, écrivait, dès le 10 octobre : "Les juristes donnent désormais plus au Parti démocrate qu'au républicain dans une proportion de 4 contre 1. Les dirigeants dans la haute technologie à 5 contre 1. Les banquiers d'affaires à 2 contre 1. Il a fallu bien du talent aux républicains pour perdre les banquiers !" Et il annonçait le désastre à venir. Ce qui mène les républicains à leur perte, jugeait-il, c'est l'abandon du terrain intellectuel.
Marginalisés dans l'après-seconde guerre mondiale, "les conservateurs, conduits par le besoin de conquérir les élites, ont bâti un contre-establishment avec des groupes de réflexion et des magazines. Ils méprisaient les idées des professeurs progressistes, mais pas l'idée d'un esprit cultivé", poursuivait-il. Or, dans une Amérique où la matière grise est devenue la première des matières premières, ils ont rétréci leur champ d'influence pour se refermer sur la vénération de ceux que John McCain allait glorifier sous le nom de "Joe le plombier" : l'artisan ou l'ouvrier blanc peu éduqué aux horizons bornés.
Mark Lilla, historien libéral aronien, se désole de ce rabougrissement. "Finita la comedia", écrit-il, quatre jours après le 4 novembre. La désignation de Sarah Palin comme colistière républicaine a été promue et saluée par "les éditeurs de la National Review et du Weekly Standard deux revues néoconservatrices phares, qui se présentent comme les héritiers du conservatisme subtil de William Buckley". Ils ont cherché "un dirigeant populiste jeune auquel ils pourraient raccrocher leur wagon. (...) Après la campagne de Sarah Palin, cette tradition intellectuelle doit être annoncée comme officiellement morte".
Et de se lamenter : tous ces penseurs conservateurs des années 1960-1990, les Buckley, Irving Kristol, Daniel Patrick Moynihan, Gertrude Himmelfarb, Norman Podhoretz, "on était d'accord avec eux ou pas, mais il fallait les prendre au sérieux". Leur conservatisme méprisait le populisme. En considérant les élites comme "un fait de la vie politique et démocratique (...), ils défendaient aussi leur propre statut". Leurs successeurs ont dévoyé leur héritage en prônant les vertus du "bon sens", celles de valeurs rétrogrades (anti-intellectuelles, antimusulmanes, anti-minorités, anti-avortement...) et en flattant l'ignorance qui accompagne naturellement le rejet des élites. Certes, Mme Palin a été l'objet de moqueries déshonorantes, mais elle symbolisait le fait que, chez les conservateurs, "le mépris pour les intellectuels progressistes a glissé vers un mépris pour les classes éduquées en général", écrivait encore David Brooks.
De l'exaltation de l'ignorance à l'exploitation du mensonge sous George Bush, il n'y avait qu'un pas, que les néoconservateurs, convaincus ou cyniques, ont franchi allégrement. Car il fallait une dose d'ignorance pour croire que les Etats-Unis lançaient la guerre à l'Irak parce qu'ils craignaient que son dictateur détienne des armes de destruction massive. Ils l'ont fait précisément parce qu'ils savaient qu'il n'en avait pas : en eût-il possédé qu'ils ne l'auraient pas fait. Les théories de la "guerre préventive", de la "guerre à la terreur" avaient pour avantage de pouvoir être engagées lorsque l'ennemi est sans capacité réelle de rétorsion (d'où la nécessité de mentir sur la menace réelle qu'il constitue). Leur désavantage, comme l'ont montré les cas de la Corée du Nord et de l'Iran, est que, lorsque le risque, militaire ou politique, existe, le primat de la force sans moyens politiques adéquats s'érode.
C'est là que l'alliage ignorance-mensonge a commencé de se fissurer. Aux derniers jours de campagne, face à une supportrice enthousiaste clamant "Obama est un Arabe !", M. McCain avait dû rétorquer : "Non, madame, c'est un homme convenable." Avec la crise économique, cet alliage s'est effondré. Héros absolu du conservatisme, Ronald Reagan avait accédé à la présidence en 1980 en clamant : "L'Etat n'est pas la solution, il est le problème." Vingt-huit ans plus tard, M. McCain a cru possible de mener campagne sur le "moins d'Etat". L'idéologie était nue : de toutes parts fusaient les appels au Trésor pour sauver le système financier.
Le 17 janvier, au début des primaires, M. Obama avait dit : "Je crois que Ronald Reagan a changé la trajectoire de l'Amérique. (...) Il nous a mis sur une voie différente parce que le pays y était prêt, il s'est engouffré dans ce que les gens ressentaient déjà." Les démocrates avaient alors critiqué des propos magnifiant l'ancien président républicain. Or, en l'évoquant, M. Obama signifiait que l'ère reaganienne était close, que lui aussi "s'engouffrait" dans une réalité préexistante - la fin du conservatisme comme idéologie dominante. Certains républicains commencent à craindre qu'il ait eu raison.
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Sylvain Cypel
piporiko- Super Star
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Opinion politique : Homme de gauche,anti-imperialiste....
Loisirs : MUSIC MOVIES BOOKS
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Jeu de rôle: L'impulsif
Re: UN TRES BON TEXTE
Se yon bagay dwòl wi.Mesye ann Ayiti yo ki toujou pou ti krik ti krak ap pale popilis ,yo pa vle popilis ann ayiti ,epitou se ak inyoran popilis ameriken yo,yo mare sosis yo .
Si se pasa ,yo peri.
Se Adye pou moun di pou mesye sa yo
Si se pasa ,yo peri.
Se Adye pou moun di pou mesye sa yo
Joel- Super Star
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Re: UN TRES BON TEXTE
OU TELMAN GEN REZON,LI TEKS NANCY ROC LA....
piporiko- Super Star
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